Nos lecteurs ne
manqueront pas de constater que si le tableau qui s'offre à leurs regards
admiratifs (voire même émoustillés, qui sait ?) leur est sans aucun doute
vaguement familier, ils auront peut-être plus de difficultés à identifier la
délicieuse adolescente qui pause nue et faussement alanguie sur le divan.
Attardons nous donc
quelques lignes sur la jeune Marie-Louise O'Murphy, dite la belle Morphyse, dont l'entrée
dans la carrière de la galanterie se fit avec la bénédiction de bien étranges
bonnes fées : l'aventurier vénitien Casanova, le peintre Boucher et le roi Louis XV. Trois figures tutélaires de l'aimable libertinage
alors en vogue en France entre la Régence et la Révolution française.
Née le 21 octobre
1737, à Rouen, la jeune demoiselle O'Murphy, fille d'un bas-officier d'origine
irlandaise, après quelques années passées au couvent, serait sans doute restée
reléguée dans une modeste et honnête courtisanerie, à l'instar de sa soeur, si
les hasards de la prostitution n'avait pas conduit cette dernière à rencontrer
Casanova. Celui-ci, qui ne manquait ni de bon goût ni de sens pratique, repéra
quelle beauté se cachait derrière la crasse de "la petite souillon".
Il la décrivit de la sorte dans ses mémoires:
"Blanche comme un lys, Hélène avait tout ce que la nature et l'art des peintres peuvent réunir de plus beau. La beauté de ses traits avait quelque chose de si suave qu'elle portait à l'âme un sentiment indéfinissable de bonheur, un calme délicieux. Elle était blonde et cependant ses beaux yeux bleus avaient tout le brillant des plus beaux yeux noirs".
Et plus loin,
commentant le tableau qui nous occupe :
"La position qu'il [le peintre François Boucher] lui fit prendre était ravissante. Elle était couchée sur le ventre, s'appuyant des bras et du sein sur un oreiller et tenant la tête tournée comme si elle avait été couchée sur le dos. L'artiste habile et plein de goût avait dessiné sa partie inférieure avec tant d'art et de vérité, qu'on ne pouvait rien désirer de plus beau".
Casanova continuant à
se donner le beau rôle, raconte comment enfin il s'entremit avec l'aide du
peintre et d'un valet royal pour conduire la jeune fille au Parc aux Cerfs, où
le roi vint lui-même s'assurer de la ressemblance entre le modèle et le
tableau, et vérifier "de sa royale main que le fruit n'avait pas encore
été cueilli"...
Marie-Louise devint
la favorite du roi pour quelques années, donnant naissance à une fille le 20
juin 1754. Mais son recrutement hors des réseaux habituels de la maîtresse
officielle, la Marquise de Pompadour (qu'elle surnommait de manière peu amène "la vieille"),
rendait sa position précaire à la Cour. Compromise dans les intrigues de Madame
de Valentinois, elle fut disgraciée
dès 1755, année où elle épousa Jacques de Beaufranchet d'Ayat, apportant à celui-ci une coquette dot de 20 000
livres et 1 000 livres de bijoux. Celui-ci aura d'ailleurs le bon goût de se
faire tuer à Rossbach en 1757,
lui laissant une appréciable liberté pour une jeune et belle veuve de 20
ans, ainsi qu'un fils posthume (qui quelques années plus tard,
rallié à la Révolution, s'illustrera lors de la Guerre de Vendée).
Elle se remariera
avec François le Normand, comte
de Flaghac en 1759, dont elle aura
une fille en 1768, avant de convoler une troisième fois en 1795 avec le député
thermidorien Louis-Philippe Dumont, de 30 ans son cadet et dont elle divorcera en
1798.
Elle mourut le 11
décembre 1814 à Paris.
Bruno
FORESTIER
NB: Je profite de
cette rubrique pour ajouter que les manuscrits originaux de l'Histoire de
ma vie de Casanova venant d'être
rachetés par la BNF, seront
prochainement numérisés. La plupart des éditions disponibles étant largement
expurgées, nos lecteurs pourront peut-être glaner de nouvelles révélations sur
la belle Morphyse…