La Révolution française a révélé des généraux de vingt-cinq ans qui partout
en Europe ont triomphé des meilleures armées et sans doute n’y a-t-il jamais eu
d’autres exemples dans l’histoire d’une si belle promotion de génies militaires.
Ce succès a même contraint l’un de ses plus acharnés adversaires, le sourd et
aveuglé Charles Maurras, à
prétendre sans rire que c’était à l’Ancien Régime que l’on devait l’éclosion de tels talents !
Il y eut néanmoins quelques nullités au milieu de la multitude de généraux
apparue après 1789, et l’on attribuera volontiers à l’Ancien Régime la
paternité de celles-ci. Parmi ces nullités, le général Menou (1750-1810) n’est pas la moindre, cumulant
incapacité et ridicule avec un art consommé de la mise en scène.
Rappelons ainsi, pour l’honneur
de notre grande Révolution, que Menou n’en est pas un pur produit, au contraire
d’un Hoche ou d’un Marceau : son nom complet est Jacques-François de Menou,
baron de Boussay, et c’est comme député de la noblesse qu’il assista aux États
généraux de mai 1789. Militaire de carrière, le baron se rallie habilement à la
Révolution dès 1790 (il préside un temps l’assemblée constituante), ce qui le
fait accéder au grade de commandant grâce aux départs des officiers émigrés. Envoyé
en Vendée comme général de
division, il ne tarde pas à révéler son incapacité militaire. Si l’homme fait
preuve de vaillance (blessé à plusieurs reprises), il subit déjà de graves
revers, notamment face à l’armée du jeune La Rochejacquelein qui le chasse de Saumur en juin 1793. Mis à la retraite après ces
prouesses, il revient en grâce à la chute de Robespierre. Menou donne aussitôt des gages de bonne volonté à
la Réaction en réprimant impitoyablement les émeutes sans-culottes du Faubourg
Saint-Antoine (mai 1795). Pour cette entreprise digne d’un
traître, il n’hésite pas à se servir des infâmes Muscadins, ces jeunes royalistes aux affublements grotesques
qui apparurent après Thermidor.
Dès lors, on comprend assez bien pourquoi le même Menou se montre d’une
coupable inertie lorsque le coup d’état royaliste éclate en septembre de la
même année (13 Vendémiaire).
Destitué pour cette trahison, il n’en est pas moins acquitté à la suite de
quelque magouille judiciaire. Et sa carrière continue, hélas !
En 1798, cette ganache de Menou
s’embarque pour l’expédition d’Égypte
que dirige le général Bonaparte.
Quelques semaines après son arrivée, l’homme se convertit à l’islam et épouse
une Égyptienne. Il se fait désormais appeler « Abdallah-Jacques »,
mais les soldats le surnomment plus volontiers « Abdallah le
Renégat ». Une fois Bonaparte
discrètement reparti en France, c’est le général Kléber qui commanda les armées restées en Égypte. On sait
qu’après avoir redressé une situation désespérée, il fut lâchement assassiné
par un fanatique syrien le 14 juin 1800. Le médiocre Menou, jaloux de Kléber
qui le méprisait avec raison, se réjouit ouvertement de sa mort qui lui permet
de devenir général en chef. Mais il fait encore mieux en baptisant aussitôt son
fils du prénom de l’assassin : Soleyman. La grande classe.
Détesté par tous les généraux
qu’il commande, Menou achève en catastrophe l’expédition d’Égypte. Comme
partisan du maintien français, il entame une politique ouvertement colonialiste
et pratique la ségrégation à l’égard des minorités (coptes, juifs et soufis).
Par ailleurs, maintenu dans ses fonctions par le premier consul Bonaparte qui
se méfie des anciens partisans de Kléber, Abdallah le Renégat n’en fait qu’à sa
tête. Il est logiquement écrasé par les Anglais à la bataille de Canope (mars 1801) où un général lui lance avant de
mourir : « Jamais un homme comme toi n’aurait dû commander les armées
françaises. Tu n’étais bon qu’à diriger les cuisines de la
République ! ».
Acculé à la capitulation à la
suite de cette triste bataille, Menou évacue les restes de l’armée et quitte
l’Égypte avec femme et enfant à l’automne 1801. Loin d’être mis à la retraite
malgré sa solide expérience de ganache, il est nommé au Tribunat puis en Italie comme gouverneur de Venise. C’est là qu’il meurt paisiblement en 1810.
KLÉBER*
*Ma signature ne doit pas laisser croire qu’il y a
de la mauvaise foi dans cet article. Menou fut une ganache et tout ce que j’ai
pu rapporter ci-dessus n’est qu’une partie de l’affligeante carrière que mena
cet homme.