Grand retour de la caricature mystère, avec cette fois-ci pour l'accompagner un portrait mystère. Point commun entre cette caricature et ce portrait, ils appartiennent à la même période historique. Rien de bien compliqué si l'on observe attentivement les images, la première fourmillant d'indices, la seconde montrant un profil peu banal… À vous de jouer.
jeudi 30 septembre 2010
mardi 28 septembre 2010
Crazy cinématographe à Beaubourg
Nos lecteurs qui
auraient eu comme moi l'occasion de baguenauder ce dimanche, en dépit de la
pluie et du vent, à proximité du centre Beaubourg n'auront sans doute pas manqué de remarquer le
curieux spectacle qui se donnait aux alentours de 19h devant le centre
Wallonie-Bruxelles.
Juché sur une
estrade, curieusement accoutré, un homme muni d'un porte-voix interpelle les
passants en leurs promettant sur un ton des plus graveleux des plaisirs inédits
et à bon compte ("Du cul, du cul, du cul !", "Deux euros, c'est
moins cher qu'un peep-show", etc).
Les rares badauds
attroupés - dont votre serviteur - rient de bon coeur et sans méfiance à cette
curieuse harangue. Las, me voilà poussé de l'avant par le mouvement d'une forte
troupe de touristes américains qui a été entre temps lestement rabattue par les
acolytes du bonimenteur.
À l'intérieur, après
s'être acquittés de la somme nécessaire, les curieux sont répartis en fonction
de leur sexe, toujours sous les lazzis des organisateurs, et conduits à l'intérieur
d'un chapiteau où l'on s'entasse sur les bancs. Au fond de la pièce un écran
blanc, à l'arrière le projectionniste fait ronronner sa machine, sur le côté un
pianiste qui égrène une musique guillerette. Après une petite introduction
musicale et dansée, l'affaire sérieuse commence.
On va assister à une
représentation du "Crazy cinématographe érotique", c'est-à-dire à la projection de plusieurs films érotiques,
en noir et blanc et muet, datant de 1905 à 1920, le tout assorti de musique,
bruitages et commentaires divers de la part de la Compagnie des bonimenteurs de Namur.
Ce soir-là, il est
certain que le succès de ces très courts métrages (quelques minutes), français,
autrichien, ou américain, tous assez datés, est avant tout dû à leur dimension
humoristique et aux commentaires des bonimenteurs, plutôt qu’à leur charge érotique,
passablement affaiblie par le passage des années, l'évolution des canons de la
beauté féminine et la libéralisation des moeurs (à ce titre, La coiffure ou La confession, films français de 1905 semblent aujourd'hui
totalement anodins)
Un sentiment de gêne
se fait peut-être un peu plus palpable dans le public devant le seul film authentiquement
pornographique Le Mousquetaire au restaurant (France, 1919), qui semble bien plus proche de ses
homologues contemporains par son traitement, sans disposer évidemment d'autant
de moyens techniques. Reste enfin, le plus curieux, un film d'animation
pornographique américain de 1920, qui utilise déjà le caractère des toons et
les gags invraisemblables, alors que ce genre ne surgira aux États-Unis qu'à
partir du milieu des années 1930.
Après ce distrayant
programme, le public se sépare, toujours sous les invectives de ces
bonimenteurs décidément inépuisables, avant de se disperser rapidement sous la
pluie.
Bruno
FORESTIER
NB : Il va de soi que
ce blog, soucieux de la moralité d'autrui n'aurait pas publié cet article, si
la séance de dimanche soir, n'avait pas été la dernière. Inutile donc de courir
à Beaubourg.
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vendredi 24 septembre 2010
Retour de Rio
Depuis
plus d’un siècle et la célèbre phrase attribuée à Clemenceau, on sait que le Brésil est un pays d’avenir ; mais pour combien de
temps encore ? Coupe du monde, Jeux olympiques, pétrole, le pays est à la
mode en ce moment et Rio de Janeiro
est en première ligne. À l’heure des élections, on nous assure que tout va bien
depuis que Lula l’a remis sur les
rails. Les chiffres le prouvent, les indicateurs sont au vert, et l’on craint
même la surchauffe.
Rio
est la vitrine de ce Brésil, nouveau géant de la planète qui entend jouer sa
partie dans le concert des nations. Les récentes découvertes de vastes réserves
de pétrole au large de « la plus belle baie du monde » promettent au
« Fleuve de Janvier » des lendemains qui chantent, même si le Christ
de Corcovado a toujours les bras
entrouverts, attendant que les Cariocas se mettent au travail pour applaudir.
Cependant,
en se rendant sur place, on s’aperçoit du chemin qu’il reste à parcourir avant
que la ville ne ressemble définitivement à la carte postale qu’on ne cesse de
nous vendre. Ainsi le récent hors série du Monde titre à propos de Rio : Sur la voie de la
renaissance, l’article se concluant
par cette assertion : « le moral au zénith, sûre de son éternelle
beauté, Rio attend avec confiance ses futurs rendez-vous avec le sport. »
S’il
est vrai qu’on n’obtient pas par hasard l’organisation des deux plus grands
évènements sportifs de la planète à deux ans d’intervalle (2014 : coupe du
monde, 2016 : les JO), sur place les mutations de la ville sont
impressionnantes mais vont surtout dans le sens d’une ségrégation génératrice
de violence.
En
1942, Bernanos disait déjà à
propos du quartier Botafogo de Barbacena (son lieu de résidence) :
« Je n’ai pas besoin d’être un prophète pour vous prédire, à coup sûr, quel est le destin réservé à Botafogo. Les villas des gens riches de Barbacena, d’un style déplorablement américain — de ce style que Hollywood a rendu populaire —, monteront bientôt à l’assaut de ma colline et viendront étaler au soleil leurs vérandas de ciment, leurs mosaïques de couleurs tendres… Une fois de plus le monde moderne aura triomphé non de la misère, mais des misérables. »
Car
c’est bien ce que l’on observe tout autour du centre-ville de Rio et notamment
dans l’ouest vers Barra et
maintenant Recreio. Des condominiums (ensembles de tours ou de maisons construits afin
d’assurer la sécurité de leurs habitants, surveillés 24 h/24 par des gardes,
des caméras et entourés de hautes palissades) poussent comme des champignons,
rejetant les habitants des favelas toujours plus loin ou, pire encore, leur
infligeant l’étalage vulgaire de galeries commerciales auxquelles ils ne
peuvent accéder. Car c’est là l’une des particularités du Brésil et de Rio en
particulier : la misère y côtoie la richesse, voire le luxe.
Ainsi,
traverser Rio en voiture c’est passer, en quelques secondes, des quartiers très
huppés aux favelas, zones toujours dangereuses, car les braquages y sont
nombreux. Les vitres teintées ne sont pas une option, la plupart des
automobiles en sont pourvues, les plus riches prenant l’hélicoptère. Le
gouvernement, devant la recrudescence de ces braquages de voitures par des
individus à motos, a envisagé un temps d’interdire le transport des passagers
sur les deux roues, mais a dû renoncer face au tollé général.
Pourtant,
circuler en voitures c’est aussi faire face à un autre danger redoutable :
les embouteillages ! La ville se trouve en ce moment saturée, matin et
soir, et l’on imagine mal comment elle pourrait faire face à l’afflux de
touristes et de visiteurs généré par des évènements tels que les JO. Cependant
si vous êtes pris d’un petit creux, vous trouverez facilement des vendeurs
(parfois en fauteuil roulant) au milieu de l’autoroute pour vous proposer
cacahuètes chaudes, boissons, etc.
On
peut certes incriminer les travaux gigantesques qui ont lieu en ce moment sur
le réseau routier, mais au-delà de cette constatation, on note aussi la
difficulté de se déplacer en transport en commun. Il n’y a qu’une ligne de
métro qui se partage heureusement en deux. Certes, les bus sont nombreux, mais
il n’existe aucun plan.
Pour
revenir au problème de la violence, il ne faut pas compter sur l’entraide. Le
réflexe commun en cas d’agression d’un tiers dans la rue est de se baisser
(pour éviter les balles perdues) et de courir sans se retourner.
Bien
sûr, vous pouvez aussi entendre d’aucuns, de retour de Rio, ayant vécu à Copacabana et circulé en taxi, dire qu’il n’y a aucun problème
et que la vie n’est qu’un long fleuve tranquille jusqu'à Ipanema. Ce sont là ceux que Bernanos appelait « les
conférenciers d’Europe » qui « ne connaissant de cette terre immense
qu’un petit nombre de jardins botaniques et de casinos (…) en ont fait au naïf
public de snobs une peinture aussi facile, aussi accablante de monotonie dans
la fausse splendeur, que les écœurants paysages californiens popularisés par
les cinémas de Hollywood (oui, Bernanos n’aime pas ce grand pourvoyeur de
films !), et qui doivent correspondre si exactement à l’idée qu’un
milliardaire méthodiste peut se faire du paradis terrestre. »
Sur
le plan culturel, peu de choses… Il faut tout de même visiter le Musée international d’art naïf à côté du Corcovado. Attention à ne pas le
manquer, car une dizaine de mètres plus loin, ce sont les favelas qui vous
attendent. Un employé vient gentiment ouvrir le cadenas qui ferme les grilles
d’entrée. Sur trois étages d’une vieille maison, on peut y voir une fresque (la
plus grande peinture d’art naïf au monde !) qui reconstitue l’histoire du
Brésil. Ne pas oublier de lire aussi le brillant exposé du directeur qui oppose
l’art populaire (qui ne fait que reproduire les mêmes figures sans originalité)
à l’art naïf (qui lui puise son inspiration dans une profonde liberté). Bref,
il ne faut pas confondre les peintures de la rue avec les tableaux exposés. Au
sous-sol, une salle est réservée au Douanier Rousseau dans laquelle on peut admirer de belles photos
reproduisant ses chefs-d'œuvre.
On
attend donc avec impatience de voir quel visage Rio va donner de lui-même dans
les prochaines années, même si, comme Bernanos, nous ne doutons pas que « le monde moderne
triomphera des misérables ».
GV
Images : vue de Rio prise depuis le Corcovado, vue de Rio depuis le Pain de sucre, photo prise depuis le Musée international d'art naïf (GV).
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dimanche 19 septembre 2010
Au temps des duels
C’est bien connu, on trouve de
tout sur internet. Ainsi, des films datant d’un siècle et montrant plusieurs
duels à l’épée entre quelques personnalités de la Belle époque ont été mis en ligne sur Youtube voici quelques mois. Malgré l’interdiction du duel,
il apparaît donc que les caméras étaient déjà là pour immortaliser ces glorieux
moments de virilité.
Parmi la myriade de vidéos, on
trouvera notamment de quoi s’amuser avec un duel opposant Charles Maurras au député Paul de Cassagnac (fils d’un grand duelliste du même nom). Le petit
teigneux qui s’agite beaucoup pour rien n’est autre que l’illustre directeur de
L’Action française. Son amateurisme en matière d’escrime fait plaisir à voir ;
il est évidemment blessé.
En octobre 1912, Léon Blum, alors critique dramatique, se bat en duel avec
l’écrivain Pierre Veber en
raison d’un « dissentiment littéraire suivi de voies de fait ». Tout
de noir vêtu, on admirera sa classe et sa vivacité dignes de Zoro. Il l’emporte après avoir
blessé au bras son adversaire.
Les amateurs de ce sport dont Gaston Deferre fut l’un des derniers pratiquants consulteront avec profit ce lien.
samedi 11 septembre 2010
En route pour l'an II
Ce blog entre aujourd’hui dans sa
deuxième année. Voici donc un an que la rédaction des Septembriseurs (Bruno
Forestier, GV, Paul Lamare, Loulotte, Lucien Jude, Kléber) est à l’œuvre.
Pendant cette période plus de cent articles ont été publiés, en majorité liés à
l’histoire (46), la littérature (25) et le cinéma (20). Cette tendance devrait
se confirmer et certains thèmes moins abordés (peinture, musique, édition) mieux s’affirmer. Quelques rubriques se sont installées et
continueront. Cependant, de même que le rythme d’articles sera un peu moins
soutenu qu’auparavant (une demi-douzaine par mois), la fréquence mensuelle des
« Pin-up » et « Ganache » se relâchera un peu. Pareillement, la
« caricature mystère » sera proposée suivant les
hasards de nos découvertes. Que nos fidèles lecteurs se rassurent, ces
ralentissements ne trahissent aucun désengagement ! Imposés par les tâches
estudiantines ou professionnelles de vos serviteurs, ils deviennent le gage
d’une plus grande qualité rédactionnelle. En outre, preuve de notre volonté de
renouvellement, de nouveaux comptes-rendus de rencontres sont à venir. Bref,
autant de bonnes raisons pour continuer à fréquenter ces lieux ! En
remerciant nos lecteurs pour leur fidélité, c’est donc avec confiance que nous
entamons l’an II de l’ère septembriste.
La rédaction
Image : représentation du mois de Fructidor (18 août-16 septembre) dans le calendrier révolutionnaire (source ici).
Libellés :
la rédaction
dimanche 5 septembre 2010
Exposition Cabanel : portrait d'un peintre sans caractère
« Nous allons voir l’art
pompier rejaillir soudain plus
vivant, frais comme la rose », annonce en 1967 Salvador Dali, avec jubilation. La prophétie va effectivement se
réaliser peu de temps après, puisque concomitamment à l’essoufflement de plus
en plus manifeste de l’art contemporain et à son exil hors du berceau parisien,
on assistera dès le début des années 80 à une vaste entreprise de
réhabilitation de l’art pompier en France. Dernière étape de ce surprenant
phénomène, l’intéressante exposition que consacre le Musée Fabre de Montpellier à Alexandre Cabanel
(1823-1889), gloire du Salon sous le Second Empire, et quasi-peintre officiel
de la cour.
Les organisateurs de
l’exposition, sans doute encore embarrassés de quelques scrupules relatifs à
l’art pompier, se gardent bien de proclamer ouvertement le génie de Cabanel
(mais ce n’est sans doute qu’une question de temps), et insistent
intelligemment sur l’intérêt historique de l’œuvre. La débauche de moyens
consacrés, avec près de 280 pièces — ce qui est remarquable quand on sait que
la plupart des oeuvres de Cabanel ont été largement dispersées à l'étranger —,
une muséographie moderne et une décoration de style très second empire, permet
une visite instructive et utile qui souligne le lien entre la carrière de
Cabanel et ses choix artistiques (tant dans les sujets que dans la forme) et
l'évolution de la société bourgeoise qui atteint alors son apogée en France.
En effet, alors que
dans la seconde moitié du XIXe siècle les premières « Avant-gardes »
artistiques (romantiques, naturalistes, impressionnistes…) remettent de plus en plus violemment en cause
l’art académique et que les développements technologiques provoqués par la
seconde révolution industrielle commencent à se faire sentir dans le domaine
des arts (avec le développement de la photographie notamment, puis du cinéma un
peu plus tard), Cabanel persistera sa vie durant à rester dans les bornes du «
bel Idéal ».
Or, la peinture académique,
dès le début du XIXe siècle, a déjà atteint ses limites au niveau plastique, et
les références aux temps héroïques de l’antiquité gréco-romaine ou de la
Révolution et de l’Empire ne sont plus de mise à l’époque où triomphe le doux
commerce. Un célèbre contemporain de Cabanel n’écrit-il pas à l’époque où le
jeune peintre commence à s’imposer : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands
événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il
a oublié d'ajouter: la première fois comme tragédie, la seconde fois comme
farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le
neveu pour l'oncle » (Marx, Le
18 brumaire de Louis Bonaparte).
Alexandre Cabanel pour Louis David
serait-on presque tenté d’ajouter.
Le parallèle entre
les deux hommes est d’autant plus frappant que Cabanel — qui fit ses premières
armes dans l’atelier d’un disciple de David, François Picot — présida des années durant l’institution que David
avait plus qu’aucun autre contribué à faire fermer en 1793.
De même, le séjour de
plusieurs années qu’il effectue à Rome en tant que lauréat du Grand prix de 1845 laisse songeur. Affirmant se consacrer « à la peinture,
[sa] seule maîtresse » — ce qui est tout à son honneur — il s'appliquera certes
trois ans durant à imiter les grands maîtres de la Renaissance, tout en
entretenant de médiocres intrigues galantes, mais n’entreprendra pas une seule
fois de quitter la ville pour visiter l'Italie. De même, il reste totalement imperméable
à l'agitation révolutionnaire qui fermente dans tout le pays.
Il faudra finalement
l'occupation de la Villa Médicis
en Mai 1849 par les troupes de Garibaldi qui luttent héroïquement contre le corps expéditionnaire envoyé par
l'ignoble président Bonaparte
pour rasseoir sur son trône l'infâme Pie IX, pour contraindre le jeune homme à un court
exil à Florence, en compagnie de
toute la colonie franco-romaine.
Il est intéressant de
remarquer que durant ses fiévreuses journées révolutionnaires, Cabanel
s'inquiète lui de son Saint-Jean Baptiste, laissé sur place et duquel il escompte enfin
obtenir l'approbation du Salon.
Il est vrai que ses précédents envois ont passablement déconcerté le jury et
les critiques.
En effet, les
lauréats du prix de Rome doivent réaliser pour leurs premières années de
pensionnat un certain nombre d'œuvres (« une figure peinte d'après
nature et de grandeur naturelle ; plus un dessin très étudié d'après une
peinture de grand maître de deux figures au moins ; plus un dessin d'après
l'antique, soit statue ou bas relief ») qui expédiées à Paris, sont examinées par le jury du Salon. Or ses
premiers envois ont été fort mal accueillis. Ainsi de son miltonien Ange
Déchu (1847), assez réussi
pourtant, mais dont le sujet par trop romantique est considéré comme
parfaitement déplacé pour un résidant de la cité papale !
C'est donc un Cabanel
à l'ambition passablement échaudée qui s’en retourne dans Rome libérée en
juillet 1849, pour aussitôt se plonger dans un labeur de plus d’un an et demi
qui aboutira au monumental et très michel-angelesque tableau intitulé La
mort de Moïse. Revenu à temps à
Paris pour assister au second 18
brumaire, il reçoit la consécration
du Salon en 1852.
C'est le début d'une
carrière triomphale qui verra les commandes affluer, notamment pour des
peintures murales effectuées à l'Hôtel de ville ou dans la chapelle du château de Vincennes. Si la peinture murale est le genre noble par
excellence, bien plus lucratif est l’art du portrait, catégorie intimement
associée à la civilisation bourgeoise, où d’ailleurs Cabanel obtiendra ses
meilleurs résultats. Certes son portrait civil de Napoléon III, plaisamment surnommé « Madame est servie »
n'est pas ce qu’il y a de plus admirable, mais la faute est manifestement
imputable à la fadeur du modèle. En revanche, sa série de portraits des dames
de la haute société, notamment les épouses ou filles des magnats yankees,
détonne par le contraste qui surgit entre les poses hiératiques des modèles,
engoncés dans leurs lourdes robes de bal, et l’intensité des visages.
La marche vers les
poubelles de l’histoire de l’art de ce peintre talentueux mais sans caractère
n’aurait cependant pas été si prompte s'il s'était sagement borné à rester le
portraitiste officiel de la haute bourgeoisie et à accepter quelques commandes
murales de bon goût ; mais notre homme, prisonnier des lubies de l'époque,
persévéra dans la peinture d'histoire jusqu’à la fin de sa vie et l’imposa
comme discipline à ses élèves. Malheureusement la peinture académique manquait
de plus en plus cruellement de sujet possibles — qui voudrait peindre la
dégoûtante campagne de brigandages mexicaine ? — ce qui contraignit les
artistes à se rabattre sur les mêmes thèmes mythologiques ou bibliques en vogue
depuis des siècles, sans évidemment parvenir au niveau des maîtres passés,
remplaçant la passion religieuse ou amoureuse par la plate contemplation de la
bigoterie ambiante jointe à un érotisme frelaté. Le Salon des Vénus de 1863, astucieusement reconstitué dans
l’exposition, en est un bel exemple. Cette impasse était du reste perceptible
dès le dernier quart du XIXe siècle,ainsi qu’en témoigna l’inexorable déclin du
Salon après la chute de Napoléon III, ce qui n’empêcha pas Alexandre Cabanel
d’y siéger en pleine gloire jusqu’en 1888, avant de mourir le 23 janvier 1889.
Bruno
FORESTIER
Images : Portrait de l'artiste par lui-même (à 29 ans), 1852 ; La Nymphe Écho, 1874 ; L'Ange déchu, 1847 ; Portrait d'Olivia Peyton Murray Cutting, 1887 ; La naissance de Vénus, 1863 (sources ici ainsi que d'autres œuvres).
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