« Nous allons voir l’art
pompier rejaillir soudain plus
vivant, frais comme la rose », annonce en 1967 Salvador Dali, avec jubilation. La prophétie va effectivement se
réaliser peu de temps après, puisque concomitamment à l’essoufflement de plus
en plus manifeste de l’art contemporain et à son exil hors du berceau parisien,
on assistera dès le début des années 80 à une vaste entreprise de
réhabilitation de l’art pompier en France. Dernière étape de ce surprenant
phénomène, l’intéressante exposition que consacre le Musée Fabre de Montpellier à Alexandre Cabanel
(1823-1889), gloire du Salon sous le Second Empire, et quasi-peintre officiel
de la cour.
Les organisateurs de
l’exposition, sans doute encore embarrassés de quelques scrupules relatifs à
l’art pompier, se gardent bien de proclamer ouvertement le génie de Cabanel
(mais ce n’est sans doute qu’une question de temps), et insistent
intelligemment sur l’intérêt historique de l’œuvre. La débauche de moyens
consacrés, avec près de 280 pièces — ce qui est remarquable quand on sait que
la plupart des oeuvres de Cabanel ont été largement dispersées à l'étranger —,
une muséographie moderne et une décoration de style très second empire, permet
une visite instructive et utile qui souligne le lien entre la carrière de
Cabanel et ses choix artistiques (tant dans les sujets que dans la forme) et
l'évolution de la société bourgeoise qui atteint alors son apogée en France.
En effet, alors que
dans la seconde moitié du XIXe siècle les premières « Avant-gardes »
artistiques (romantiques, naturalistes, impressionnistes…) remettent de plus en plus violemment en cause
l’art académique et que les développements technologiques provoqués par la
seconde révolution industrielle commencent à se faire sentir dans le domaine
des arts (avec le développement de la photographie notamment, puis du cinéma un
peu plus tard), Cabanel persistera sa vie durant à rester dans les bornes du «
bel Idéal ».
Or, la peinture académique,
dès le début du XIXe siècle, a déjà atteint ses limites au niveau plastique, et
les références aux temps héroïques de l’antiquité gréco-romaine ou de la
Révolution et de l’Empire ne sont plus de mise à l’époque où triomphe le doux
commerce. Un célèbre contemporain de Cabanel n’écrit-il pas à l’époque où le
jeune peintre commence à s’imposer : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands
événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il
a oublié d'ajouter: la première fois comme tragédie, la seconde fois comme
farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le
neveu pour l'oncle » (Marx, Le
18 brumaire de Louis Bonaparte).
Alexandre Cabanel pour Louis David
serait-on presque tenté d’ajouter.
Le parallèle entre
les deux hommes est d’autant plus frappant que Cabanel — qui fit ses premières
armes dans l’atelier d’un disciple de David, François Picot — présida des années durant l’institution que David
avait plus qu’aucun autre contribué à faire fermer en 1793.
De même, le séjour de
plusieurs années qu’il effectue à Rome en tant que lauréat du Grand prix de 1845 laisse songeur. Affirmant se consacrer « à la peinture,
[sa] seule maîtresse » — ce qui est tout à son honneur — il s'appliquera certes
trois ans durant à imiter les grands maîtres de la Renaissance, tout en
entretenant de médiocres intrigues galantes, mais n’entreprendra pas une seule
fois de quitter la ville pour visiter l'Italie. De même, il reste totalement imperméable
à l'agitation révolutionnaire qui fermente dans tout le pays.
Il faudra finalement
l'occupation de la Villa Médicis
en Mai 1849 par les troupes de Garibaldi qui luttent héroïquement contre le corps expéditionnaire envoyé par
l'ignoble président Bonaparte
pour rasseoir sur son trône l'infâme Pie IX, pour contraindre le jeune homme à un court
exil à Florence, en compagnie de
toute la colonie franco-romaine.
Il est intéressant de
remarquer que durant ses fiévreuses journées révolutionnaires, Cabanel
s'inquiète lui de son Saint-Jean Baptiste, laissé sur place et duquel il escompte enfin
obtenir l'approbation du Salon.
Il est vrai que ses précédents envois ont passablement déconcerté le jury et
les critiques.
En effet, les
lauréats du prix de Rome doivent réaliser pour leurs premières années de
pensionnat un certain nombre d'œuvres (« une figure peinte d'après
nature et de grandeur naturelle ; plus un dessin très étudié d'après une
peinture de grand maître de deux figures au moins ; plus un dessin d'après
l'antique, soit statue ou bas relief ») qui expédiées à Paris, sont examinées par le jury du Salon. Or ses
premiers envois ont été fort mal accueillis. Ainsi de son miltonien Ange
Déchu (1847), assez réussi
pourtant, mais dont le sujet par trop romantique est considéré comme
parfaitement déplacé pour un résidant de la cité papale !
C'est donc un Cabanel
à l'ambition passablement échaudée qui s’en retourne dans Rome libérée en
juillet 1849, pour aussitôt se plonger dans un labeur de plus d’un an et demi
qui aboutira au monumental et très michel-angelesque tableau intitulé La
mort de Moïse. Revenu à temps à
Paris pour assister au second 18
brumaire, il reçoit la consécration
du Salon en 1852.
C'est le début d'une
carrière triomphale qui verra les commandes affluer, notamment pour des
peintures murales effectuées à l'Hôtel de ville ou dans la chapelle du château de Vincennes. Si la peinture murale est le genre noble par
excellence, bien plus lucratif est l’art du portrait, catégorie intimement
associée à la civilisation bourgeoise, où d’ailleurs Cabanel obtiendra ses
meilleurs résultats. Certes son portrait civil de Napoléon III, plaisamment surnommé « Madame est servie »
n'est pas ce qu’il y a de plus admirable, mais la faute est manifestement
imputable à la fadeur du modèle. En revanche, sa série de portraits des dames
de la haute société, notamment les épouses ou filles des magnats yankees,
détonne par le contraste qui surgit entre les poses hiératiques des modèles,
engoncés dans leurs lourdes robes de bal, et l’intensité des visages.
La marche vers les
poubelles de l’histoire de l’art de ce peintre talentueux mais sans caractère
n’aurait cependant pas été si prompte s'il s'était sagement borné à rester le
portraitiste officiel de la haute bourgeoisie et à accepter quelques commandes
murales de bon goût ; mais notre homme, prisonnier des lubies de l'époque,
persévéra dans la peinture d'histoire jusqu’à la fin de sa vie et l’imposa
comme discipline à ses élèves. Malheureusement la peinture académique manquait
de plus en plus cruellement de sujet possibles — qui voudrait peindre la
dégoûtante campagne de brigandages mexicaine ? — ce qui contraignit les
artistes à se rabattre sur les mêmes thèmes mythologiques ou bibliques en vogue
depuis des siècles, sans évidemment parvenir au niveau des maîtres passés,
remplaçant la passion religieuse ou amoureuse par la plate contemplation de la
bigoterie ambiante jointe à un érotisme frelaté. Le Salon des Vénus de 1863, astucieusement reconstitué dans
l’exposition, en est un bel exemple. Cette impasse était du reste perceptible
dès le dernier quart du XIXe siècle,ainsi qu’en témoigna l’inexorable déclin du
Salon après la chute de Napoléon III, ce qui n’empêcha pas Alexandre Cabanel
d’y siéger en pleine gloire jusqu’en 1888, avant de mourir le 23 janvier 1889.
Bruno
FORESTIER
Images : Portrait de l'artiste par lui-même (à 29 ans), 1852 ; La Nymphe Écho, 1874 ; L'Ange déchu, 1847 ; Portrait d'Olivia Peyton Murray Cutting, 1887 ; La naissance de Vénus, 1863 (sources ici ainsi que d'autres œuvres).
Je frémis : "pour rasseoir sur sont trône l'infâme Pie IX, pour contraignent le jeune homme"
RépondreSupprimerBien vu et corrigé ; la fougue de M. Forestier lui a fait perdre son orthographe !
RépondreSupprimer"Affirmant se consacrer « à la peinture, [sa] seule maîtresse » — ce qui est tout à son honneur — il s'appliquera certes trois ans durant à imiter les grands maîtres de la Renaissance, tout en entretenant de médiocres intrigues galantes, mais n’entreprendra pas une seule fois de quitter la ville pour visiter l'Italie. De même, il reste totalement imperméable à l'agitation révolutionnaire qui fermente dans tout le pays."
RépondreSupprimerUn paradoxe dans ce paragraphe. N'est-ce pas au contraire logique de voir Cabanel mépriser l'agitation politique après avoir dit qu'il se consacrait à la seule peinture ? Pourquoi voudriez-vous qu'il court sur les barricades (voire même après de moins médiocres amours !) alors qu'il ne pense qu'à peindre ?
Je n'ai sans doute pas assez développé ce passage. Je voulais seulement indiquer que Cabanel à l'époque où il séjourne à la Villa Médicis, joue volontiers les dandys, ce qui prouve qu'il a d'autres maîtresses que la peinture, mais reste totalement aveugle à son environnement immédiat, ce qui est tout de même fâcheux pour un peintre... et plus encore pour un peintre d'histoire.
RépondreSupprimerOn peut signaler qu'à la même époque, RIchard Wagner n'hésitait pas, lui, à faire le coup de feu sur les barricades à Dresde.
Si longtemps après...je m'autorise à ajouter cette petite remarque. Votre texte me plait, jouant d'une verve décalée juste ce qu'il faut pour engager un dialogue avec les commentateurs de l'époque.... Par contre notre ami anonyme, prompt à vous signifier quelques fautes dues j'imagine à l'empressement, oublie de corriger dans son propre commentaire "Pourquoi voudriez-vous qu'il court" en "Pourquoi voudriez-vous qu'il coure...."
SupprimerDe plus, dans votre phrase débutant par "De même, il reste...." il n'y avait en rien la présence du moindre paradoxe, juste la confirmation renforcée (de même) de ce qui précédait dans votre argumentation....
Bref, tout ceci n'intéresse sans doute plus personne....
UN GRAND MERCI Monsieur FORESTIER pour ce très bon éclairage concernant un peintre que je decouvre.
RépondreSupprimerEncore une vision qui se gargarise de lieux communs ! C'est épuisant de constater que les peintres qui ont eu le malheur ou la bêtise de s'acoquiner avec le pouvoir (qui plus est un pouvoir ridicule!) sont éternellement malmenés par des commentaires qui ne font que se reproduire à l'infini. Quand donc les pauvres hères que nous sommes auront le respect qui nous est dû ? Où sont les penseurs ? tous remplacés par des répétiteurs ? La force et l'intelligence de Cabanel est loin de résider dans ses sujets ou sa touche mais à regarder de plus près ses structures de composition, on s'aperçoit d'une finesse certaine. L'art n'est pas toujours (et j'irais même jusqu'à dire qu'il s'y trouve rarement) dans le visible immédiatement... il est le plus souvent dans les subtilités qui nécessitent temps et patiente analyse. Le regard formaté est d'un ennui...
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