Il y a parfois des signes qui ne
trompent pas. Le général Maxime Weygand,
dont la naissance de père et mère inconnus a toujours suscité les plus folles
hypothèses — il serait le fils adultérin de l’impératrice Charlotte, épouse du malheureux empereur Maximilien mort au Mexique — et sur le compte duquel on est
allé jusqu’à supposer qu’il était le descendant de Napoléon Ier, le général Weygand, donc, fut déclaré à l’état
civil comme né le 21 janvier 1867 à Bruxelles, boulevard de Waterloo. Quel plus funeste signe pour un futur
généralissime des armées françaises ?
Entré à Saint-Cyr comme "élève étranger", le jeune Maxime
obtient la nationalité française en 1888 grâce à la reconnaissance d’un dénommé
François Weygand qui, faute d’être
son père, même spirituel, lui donne au moins un nom et une patrie. Ses qualités
d’officier lui valent d’être nommé lieutenant-colonel de hussards peu avant le
début de la Première Guerre mondiale. C’est à la suite des limogeages en série opérés par cette vieille
baderne de Joffre que Maxime
Weygand accède au titre de colonel, avant d’obtenir en 1916 le grade de
général. Il entre alors à l’état major du général Foch dont la gloire ne doit pas faire oublier qu’il fut
à ses heures un impitoyable partisan de l’offensive à tout prix, avec toutes
les conséquences que cela implique. Très vite, Weygand devient l’âme damnée du
futur maréchal et l’accession au poste de généralissime des armées alliées de
ce dernier le propulse sur le devant de la scène, notamment lors des
négociations pour l’armistice en 1918. La brusque célébrité de Weygand ne doit
donc rien à son intrépide courage à la tête des troupes…
En 1920, il est envoyé en Pologne
pour venir en aide à Pilsudski dont les
troupes se débandent devant l’armée rouge de Trotski. Dès son arrivée, la situation se rétablit
miraculeusement avec la bataille de Varsovie. Mais les Polonais ne reconnaissent pas lui devoir
quoi que ce soit. Et le rôle de Weygand reste une fois de plus secondaire…
Chef d’état-major général de
l’armée en 1930, notre homme succède à Joffre au club des ganaches, puisqu’il
entre à l’Académie française le 11 juin
1931. Ses mises en garde contre le réarmement de l’Allemagne nazie ne doivent
pas faire oublier qu’en juillet 1939, il déclare avec la tranquille
assurance des grands stratèges :
« Je crois que l’armée française a une valeur plus grande qu’à aucun moment de son histoire. Elle possède un matériel de première qualité, des fortifications de premier ordre, un moral excellent et un Haut-Commandement remarquable. Personne chez nous ne désire la guerre, mais j’affirme que si on nous oblige à gagner une nouvelle victoire, nous la gagnerons. »
Justement la guerre éclate. Et
dès le 19 mai 1940, lorsque la percée allemande est devenue inéluctable, on rappelle
à grands cris Weygand, 73 ans, qui se trouve alors en Syrie où il a reçu le commandement des troupes françaises
du Moyen-Orient. Reconnaissons honnêtement qu’il est déjà trop tard pour
réparer le désastre enclenché par son prédécesseur, le misérable Gamelin dont nous reparlerons bientôt. Mais faut-il pour
autant oublier le rôle que tient Weygand dans cette historique débâcle ?
Tandis que les panzers allemands font la course sur les routes de France
grand ouvertes, que le Luftwaffe
bombarde à qui mieux mieux les civils et les soldats en déroute, le général
Weygand se charge de signer une importante instruction sur le tir au fusil
contre les chars dans laquelle il explique sans rire que le fusil Lebel
constitue une arme redoutable pour venir à bout d’un panzer. Une fois de plus,
notre général en chef a une guerre de retard…
Début juin, après avoir pontifié
une dernière fois — « La bataille de France est commencée. […]
Accrochez-vous au sol. Ne regardez qu’en avant. En arrière, le commandement a
pris ses dispositions pour vous soutenir » — Weygand fait pression auprès
du chef du gouvernement Reynaud pour
obtenir un armistice plutôt qu’une capitulation qui déshonorerait l’armée (mais
comment était-ce encore possible ? se dit-on). Il est récompensé de ses
efforts par un poste de ministre de la Défense nationale au gouvernement de Vichy. Puis, expédié en Algérie, il s’occupe d’y
appliquer avec zèle les lois raciales, ce qui n’a finalement rien de surprenant
de la part d’un ancien antidreyfusard (il signa en son temps la souscription en faveur de la veuve du colonel
Henry, l’auteur du « faux
patriotique »). Pour autant, cette ganache trouve le moyen de se brouiller
avec tout le monde, Anglais comme Allemands, tant il s’imagine que la France a
encore une importance de premier plan dans la guerre. Son cas est momentanément
réglé lorsque les Allemands le font prisonnier après l’occupation de la zone
libre en novembre 1942. Mais libéré en 1945, il passe devant la Haute-Cour
de justice où il bénéficie d’un non-lieu malgré les sévères accusations qui pèsent sur lui. Le général Weygand n’est pas plus inquiété pour
son siège à l’Académie, alors même que Maurras ou Pétain en ont été chassés. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à relever
qu’il meurt en 1965, à l’âge de 98 ans, après une paisible retraite passée à
écrire ses mémoires et à défendre l’honneur du maréchal Pétain.
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