Après Jacques Martin, disparu l’an
dernier, c'est un autre des maîtres de la bande dessinée historique qui a
disparu il y a quelques jours.
Quoique Gilles
Chaillet (1946-2011) soit
toujours demeuré dans les bornes du double classicisme martinien, celui du
dessin et du scénario, et par là même dans l'ombre du grand maître, il convient
de rendre hommage à une œuvre moins connue, mais dont le charme désormais un
peu vieilli contraste toujours aussi heureusement avec le cours actuel de la
bande dessinée historique en France.
Rappelons que
l'auteur, lecteur assidu du Journal de Tintin dans son enfance, fut très tôt influencé
par les dessins de Jacques Martin et par le goût de celui-ci pour
l'Antiquité romaine. Cette imprégnation précoce fut, ainsi qu'il le
reconnaissait volontiers, la cause principale de son entrée dans la carrière.
Celle-ci eut lieu très tôt, lorsque Chaillet juste après son bachot en 1964,
intégra les Studios Dargaud
où il servit comme stagiaire-grouillot, puis maquettiste pendant une longue
période.
C'est
cependant dans ce prestigieux atelier qu'il sera sérieusement initié au métier,
en servant auprès de deux autres grands maîtres de la bande dessinée
franco-belge, René Uderzo
et Albert Goscinny, qui
le formèrent en vue d'en faire un de leurs nègres. Il réalisa entre autres en
1973-1974 les dessins de la série Idéfix destinée aux enfants.
Malgré ses talents évidents, la plupart des projets proposés par Chaillet furent refusés à l'époque par Dargaud, en raison de l'influence martinienne bien trop évidente qui ne correspondait pas à la politique éditoriale de la maison.
Malgré ses talents évidents, la plupart des projets proposés par Chaillet furent refusés à l'époque par Dargaud, en raison de l'influence martinienne bien trop évidente qui ne correspondait pas à la politique éditoriale de la maison.
Ce fut
paradoxalement cette fidélité qui finit par lancer sa carrière, même si
celle-ci devait désormais s'inscrire dans un cadre étroitement limité. En 1977,
Jacques Martin qui subissait les premières atteintes de la maladie qui allait
le contraindre de cesser de dessiner, recherchait alors un dessinateur pour
reprendre une de ses deux séries, en l'occurrence Guy Lefranc. Après un entretien dont la teneur laisse
songeur, le grand homme accepta finalement de prendre Chaillet à son service*.
La longue
collaboration qui s'amorça alors donna naissance à quelques-uns des plus beaux
albums de Lefranc, s'ouvrant notamment par le très réussi Les
Portes de l'Enfer en
1978, dont le thème médiéval annonce déjà la série Vasco, ou encore L'Arme Absolue, paru en 1982, qui marque le zénith de
la série et où le dessin très abouti de Chaillet entre parfaitement en
résonance avec la cristallisation définitive des caractères des principaux
personnages.
C'est
justement un an après cet album majeur que Chaillet, désormais sous le
patronage du maître, fut sollicité pour lancer une nouvelle série "à la
manière de" Martin - série qui conduira, hélas, à la fin de la
collaboration entre Martin et Chaillet dans les années 90.
Prenant
quelques distances de forme avec les titres phares de Martin, la série
Vasco, qui relate les aventures de Vasco Baglioni, jeune commis d'une banque siennoise au XIVe siècle,
ne connaîtra jamais qu'un succès relatif par rapport à des séries comme Alix et Lefranc, ou même Jhen, malgré quelques très bons albums (outre le
premier album, L’Or et le Fer, citons par exemple Le Diable et le Cathare en 1988). La faute en revient sans doute à
l'influence trop prégnante du classicisme inspiré par Martin. Ainsi, même si
son héros Vasco sera aussi brun que les héros martiniens étaient blonds, et
même si en inscrivant les aventures de celui-ci dans un contexte résolument
médiéval, le dessin, très maîtrisé, se fera plus réaliste, notamment avec des
décors très travaillés et des scénarios plus politiques, Chaillet restera
incapable de s'émanciper définitivement du trait et de l’esprit de l'école
de Bruxelles.
Surtout, la
série Vasco donne trop souvent aux lecteurs un sentiment de
"déjà-lu", avec son héros solaire contrastant avec la noirceur ou le
cynisme de ses adversaires et la création de liens ambigus entre héros
et anti-héros.
Du reste,
Chaillet était un tard-venu dans l'école de Bruxelles et son œuvre qui avait
patiemment mûrie et poussée à l'ombre des grands maîtres fut atteinte par le
même déclin qui balaya toute l'ancienne école dans les années 90 avec le
surgissement d'un lectorat nouveau, plus avide de réalisme en matière de bande
dessinée historique et en tout cas moins sensible à l'équilibre du dessin et de
l'histoire.
Si nous
louons assurément l'auteur pour sa fidélité à ses maîtres, nous regrettons tout
autant le manque d'audace dont il fit preuve par rapport à ceux-ci, faiblesse
coupable qui nous permet de penser qu'après Martin s'éteint définitivement avec
Chaillet l'école de Bruxelles.
Bruno FORESTIER
NB : les
archéologues et les passionnés d'urbanisme lui doivent aussi la gigantesque Rome
des Césars, ouvrage de
référence reconstituant la carte de la Rome antique de manière très précise.
Grâce lui en soit rendue.
NB (2) : nous
n'avons pas évoqué quelques albums de bande dessinée « ésotérique »,
ayant jugé ceux-ci fort mauvais par rapport aux productions du genre, et de peu
d'intérêt dans notre propos.
*
« J'étais très impressionné d'ailleurs. Il avait mon essai dans la main,
avec des coups de correction en rouge dessus. Il m'a dit "Vous ne dessinez
pas très bien, mais ce qui est étonnant c'est que vous situez mon monde comme
si c'est moi qui le dessinais. Si vous acceptez d'être corrigé, je vais vous
donner les premières pages d'un scénario de Lefranc, et si ça me plaît on fera
un album ensemble" ». Entretien avec Gilles Chaillet en 2006 par
Sceneario.com