Abraham Mazel, dont le prénom biblique indique déjà la qualité, fut
l'une des figures les plus importantes et les plus émouvantes de la Révolte
des Camisards qui eut lieu à l'aube
du XVIIIe siècle. Cette révolte,
également appelée guerre des Cévennes, opposa plusieurs années durant le monarque le plus puissant d'Europe
au petit peuple des montagnes cévenoles, attaché à défendre sa foi et la
liberté de conscience.
Trahis par la noblesse
protestante, abandonnés par la bourgeoisie des villes, leurs temples rasés et
leurs pasteurs exilés ou exécutés, ces laboureurs, pâtres et artisans suscitèrent, à l'exemple des hébreux persécutés, des prophètes et des chefs de
guerre. Quelques uns devinrent célèbres dans l'Europe entière comme Jean
Cavalier ou Pierre Laporte dit Rolland.
Moins connu est
Abraham Mazel, issu d'une famille de paysans illettrés, qui à 24 ans, lors
d'une assemblée clandestine au "désert" devint un
"inspiré", un Prophète. Possédé par l'esprit saint qui le guidait par
des songes et des transes, ce tout jeune homme va avec quelques compagnons
lancer la révolte.
Le soir du 24 juillet
1704, un groupe d'Inspirés et une cinquantaine de montagnards se
rendent au Pont-de-Montvert où ils entrent en chantant des psaumes. Ils sont
venus délivrer des prisonniers détenus par l'Abbé du Chayla, archiprêtre des Cévennes, considéré par tous comme
le plus cruel et le plus farouche des persécuteurs de la région. La maison
prise d'assaut, l'abbé est sauvagement massacré. C'est le début d'un conflit
qui va ensanglanter les Cévennes et dont la violence répond à plus de vingt
années de persécutions.
Dans les jours qui
suivent, Mazel et sa troupe écument le pays, tuant les persécuteurs, les
traîtres et les délateurs. Les églises catholiques sont brûlées en réponse aux
temples rasés depuis la Révocation de l’édit de Nantes en 1685.
Le prophétisme et
l'iconoclasme de Mazel illustrent bien la nature du conflit. Les songes et les
prophéties servent de lois et de discipline militaire aux insurgés, qui souvent
n'ont pas vingt ans et n'ont jamais reçu d'éducation religieuse ni
d'instruction. Mazel comme les autres chefs prient sans cesse, avant chaque
action, et attendent d'être saisis par l'Esprit qui leur commande de porter
sans trêve le fer et le feu contre les persécuteurs et de renverser les idoles
de l'Église Romaine.
De 1702 à 1704 la
guerre des Camisards est marquée par la très grande mobilité des insurgés, les
opérations militaires spectaculaires (coups de mains ou batailles rangées) et l'extrême
violence de la répression.
En 1704, la guerre
proprement dite s'achève par les négociations entre Jean Cavalier, l'un des
principaux chefs, et le maréchal de Villars dépêché spécialement sur place pour mettre un terme
à la révolte. Ces négociations où le jeune Cavalier sera dupé brisent l'unité
du camp des "Enfants de Dieu".
Les chefs camisards renoncent à la lutte, s'exilent ou sont tués comme Rolland.
Le peuple protestant est lui aussi à bout après deux ans de guerre et le "Grand
Brûlement des Cévennes" en 1703
qui a fait des milliers de victimes.
Mazel, lui, est
finalement capturé en janvier 1705. Il obtient la vie sauve de justesse, grâce
à l'intercession d'un prêtre qu'il avait lui-même épargné auparavant. Il est
conduit dans la Tour de Constance
qui depuis 1686 est devenu le symbole de l'horreur pour nombre de protestants
enfermés pour faits de religion. Entouré de marécages malsains, Aigues-Mortes
est considéré comme un mouroir isolé du monde. Mazel ne tarde pourtant pas à
s'en évader de manière spectaculaire avec une quinzaine de complices et devant
autant de témoins, le 24 juillet, jour anniversaire de la révolte.
Il doit cependant s'exiler peu
après au Refuge, les
États protestants qui accueillent et protègent volontiers les huguenots. En Suisse,
il fait parti quelques temps de ces bandes qui guerroient contre les troupes
françaises occupant la Savoie. On le retrouve à Londres en 1708 où ses
anciens compagnons, appelés les "French Prophets", drainent les foules par leurs transes
spectaculaires et leurs discours millénaristes. L'Europe entière attisée par la
guerre et le "Grand Hiver" est parcourue de prophéties annonçant
l'accomplissement final de "l'oeuvre de Dieu".
Abraham Mazel décide
de rentrer en France pour y relancer la révolte, car la mort n'effraye pas les élus
de Dieu. Il arrive dans le Vivarais,
accablé de famine et de misère, et où se trouve également une forte présence
protestante. Le mécontentement est à son comble et c'est une véritable guerre
de classes qui se développe dans le pays. Mazel, avec d'anciens camisards, va
tenter d'unir et d'encadrer les Nouveaux-Convertis et les Vieux-Catholiques
dans une révolte religieuse et anti-fiscale. Un manifeste est écrit réclamant le rétablissement des clauses de l'édit de Nantes, la libération
des prisonniers pour la foi, et le retour des exilés. Mais il vise aussi à la
suppression des impôts nouveaux. Les révoltés veillent à ne pas inquiéter leurs
voisins catholiques et respectent les églises. En revanche, comme dans les
Cévennes, ils abattent impitoyablement les persécuteurs ou les représentants du
pouvoir royal et du clergé.
Le pouvoir est
d'autant plus inquiet que la plupart des régiments présents, mal équipés, mal
nourris et impayés sont au bord de la mutinerie. Mazel le sait et donne pour
consigne dans les combats de ne viser que les officiers.
Mais la Révolte fait
long feu. Echaudé, l'intendant du Languedoc, le sinistre Basville, organise une véritable armée contre moins d'une
centaine de révoltés. De plus ceux-ci ne jouissent pas d'un soutien populaire
comparable aux années 1702-1704. Battu dans le Vivarais, Mazel, malade et
blessé, doit se réfugier dans les Cévennes où malgré les dragonnades qui se poursuivent les assemblées du Désert se maintiennent avec plus de ferveur que jamais. En
septembre 1709, Mazel reprend contact pour relancer à nouveau le combat.
Pendant toute l'année qui s'écoule, le prophète prêche et affirme que la
chute de "Babylone" est
proche. En 1710, encore le 24 juillet, un débarquement anglais semble lui
donner raison. Hélas, c'est une opération sans lendemain et l'étau se ressert
autour de lui.
Finalement, le 14
octobre 1710, il est trahi et tué au Mas de Couteau. Avec lui s'achève la Guerre des Camisards.
Paul LAMARE
Source : Abraham Mazel, le dernier camisard de Jean-Paul Chabrol, excellente biographie publiée en mai 2009 aux éditions Alcide.
Images tirées de la bande-dessinée "La révolte des Camisards" de Paul Astruc (Presses du Languedoc, 1984).