samedi 31 octobre 2009

Pin-up du mois : Juliette Récamier

Juliette Récamier (1777-1849) sut sa vie durant entretenir à merveille son nom et son image dans la bonne société européenne. Égérie des peintres, sculpteurs et hommes de lettres, elle eut le bon goût de se lier sur la fin à Chateaubriand qui laissa d’elle quelques pages flatteuses contrebalançant fort à propos les jugements peu amènes de Benjamin Constant et de « Sainte-Bave ». À l’instar de son dernier amant, elle nous semble une figure bien oubliée aujourd’hui, malgré une récente et heureuse exposition à Lyon
Née de l'union  supposée d’un notaire lyonnais et de sa peu cruelle épouse, elle fut mariée à 15 ans au richissime banquier – et futur régent de la banque de France – Jacques Récamier, qui était en fait son très probable père naturel… Un moyen comme un autre pour transmettre son nom et sa fortune à sa fille. Celle-ci ignora longtemps l'identité réelle de son père-époux, qu'elle aima d'un amour dit-on chaste.

Les succès de la belle dans le « Moôonde » débutèrent alors que la Réaction triomphait après l’affreux drame du 9 Thermidor. La bourgeoisie française qui avait manifestement épuisé sa part de vertu sous la Terreur, entendait alors jouir de ses succès. C’est le moment où les « Merveilleuses », règnent sur les Salons corrompus du Directoire où se côtoient pêle-mêle banquiers, agioteurs, généraux conspirateurs, Jacobins renégats et royalistes fraîchement rentrés de l'émigration. Quelques artistes et hommes de lettres aussi. Parmi eux, les peintres David et Gérard qui la représenteront dans une pose lascive à souhait en tenue néo-classique : la fameuse toilette « à l’antique » qui « dévoile sans dénuder », des seins menus mais fermes et des bras blancs et graciles, le tout surmonté d’un délicieux visage de patricienne romaine de la décadence. Hum…
Notons, que la belle garda – on ne sait trop pourquoi – une surprenante réputation de chasteté tout le long de sa vie, peut-être due au nombre élevé d’admirateurs qui rampèrent en vain pour obtenir ses faveurs. Un destin cruel mais juste la fit finalement périr à Paris du choléra à l’âge respectable de 71 ans.

Bruno FORESTIER

Images : Juliette Récamier par Gérard, 1805 (source ici) et par David, 1800 (source ici).
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mercredi 28 octobre 2009

Dur comme du Bloy

Lecture vivifiante que celle de Bloy quand il ne sombre pas trop dans la piété, par exemple dans La femme pauvreÉcrit en 1901, son Exégèse des lieux communs s’ouvre malgré tout sur un appel à saint Jérôme, père de l’Église, interprète inspiré des textes saints et surtout patron des traducteurs. Car c’est bien de traduction qu’il s’agit sous la plume de Léon Bloy, celle du discours bourgeois (Bloy définit le bourgeois ainsi : « qui ne fait aucun usage de la faculté de penser » et se trouve : « borné dans son langage ») et de ses expressions toutes faites, qu’il va passer à la moulinette afin « d’arracher la langue aux imbéciles, aux redoutables et définitifs idiots de ce siècle ». Tout un programme !
On le voit, cette exégèse est rédigée dans le style pamphlétaire et polémiste qu’on lui connaît, et qu’on a toujours beaucoup de plaisir à lire, même si l’intéressé s’en défendait dans son Journal 
« M'en a-t-on assez servi du “grand pamphlétaire” ! Quand messieurs les journalistes sont forcés de me nommer (...), ils n'ont à dire que cela (...) Pamphlétaire ! Ah ! je suis autre chose, pourtant, et on le sait bien. Mais quand je le fus, c'était par indignation et par amour, et mes cris, je les poussais, dans mon désespoir, sur mon idéal saccagé ! »
Le texte de Bloy n’est pas d’un abord évident, bardé de références historiques, littéraires, mythologiques et religieuses, à moins que vous ne connaissiez intimement les célèbres Cynégire et Éson, que vous ne sachiez fort bien ce qu’est l’alopécie, etc.

Comme le titre l’indique, Bloy passe en revue des expressions telles que « le mieux est l’ennemi du bien », « la pluie et le beau temps », « l’argent n’a pas d’odeur »... Il moque ainsi le rapport des bourgeois surfins (sa principale cible, on l’aura compris) au monde, et en particulier aux réminiscences évangéliques, à l’argent. C’est aussi l’occasion pour lui de s’insurger contre le règne de l'apparence et des propos convenus : être comme il faut équivaut au sacre de la Multitude (déjà !). La bien-pensance est naturellement à la fête, mais il n’y a que la vérité qui offense, car pour le bourgeois le mensonge serait « une espèce d’oncle dont il espère toujours hériter et pour lequel il n’a pas assez de caresses ».
Dénonçant les marchands de produits frelatés, comme Lafargue dénonçait vingt ans avant dans Le droit à la paresse « l’âge de la falsification », Bloy laisse percer sa hargne contre les épiciers, les protestants, les juifs, les banquiers, souvent sous forme de petites fables immorales censées rendre compte de l’esprit bourgeois. Ainsi, le bourgeois (toujours lui) encourage les beaux arts : « sa soif intime, son désir profond, sa croisade à lui, c’est de mettre le Beau par terre, au-dessous de la pire des ordures, et rien ne vaut les cochons d’artiste pour cette besogne ». La science en prend aussi pour son grade, Bloy méconnaissant à cette occasion ce qu’elle doit dans son développement aux monothéismes et plus particulièrement au christianisme.
On trouve aussi quelques attaques en règle contre les auteurs de son temps (passons sur «les gueules néfastes » de Zola et Drumont), notamment l’inénarrable Paul Bourget qualifié « d’eunuque par vocation » et « d’adepte illustre des lieux communs », et sur le plan du style : « dont les écrits ressemblent à une diarrhée de colle de poisson ». Charmant ! Ce n’est pas sans rappeler Louis-Ferdinand Céline qui eut lui aussi l’occasion d’exprimer tout le bien qu’il pensait du style de Bourget (sous la forme « tout le monde peut écrire comme Paul Bourget »).
L’exégèse des lieux communs est donc un de ces livres où Bloy pratique à grande échelle ses exercices de détestation, cet art où malgré qu’il s’en défendît, il excelle le plus. En plaçant la bêtise au coeur de son livre, il préfigure le célèbre Dictionnaire des idées reçues (encore inédit à l’époque) de Flaubert, écrivain que le même Bloy avait naturellement éreinté dans ses chroniques à la revue du Chat noir… ! On ne se refait pas.

GV

Exégèse des lieux communs de Léon Bloy, réédition récente dans la collection Rivages Poche.
Images : Léon Bloy (source ici) et un bourgeois du XIXe siècle, caricature de Daumier (source ici).
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vendredi 23 octobre 2009

Vampire Weekend CONTRAttaque

Le groupe américain Vampire Weekend était hier soir en concert à Paris, dans la petite salle du Nouveau Casino. Après un excellent premier album Vampire Weekend qui avait fait découvrir une musique rock aux sons africains, les quatre membres au style "preppy" de ce groupe originaire de New-York s’apprêtent à sortir un nouvel album, Contra, le 11 janvier 2010. C’est officiellement pour le présenter qu’ils ont annoncé voici trois semaines plusieurs dates de concert dans le monde dont celle à laquelle nous avons eu le privilège d’assister (étant donné le peu de places). Probablement en raison du court laps de temps entre l’annonce et l’événement, le concert se jouait à un horaire inhabituel (23h30) ce qui n’a évidemment pas empêché les fans dont nous sommes de se précipiter pour y assister (les 400 places ont été vendues en une journée).

Que dire de ce concert ? Signalons tout d’abord qu’il a fallu presque une heure d’attente dans la rue et sous la pluie avant de pouvoir entrer au compte goutte à l’intérieur des lieux. Il était donc minuit et demi passé lorsque le concert a enfin commencé. Dans cette salle extrêmement intimiste du Nouveau Casino, les quatre cents spectateurs ont dû jouer des coudes pour trouver une bonne place. Nous ne dirons jamais assez que les géants chevelus devraient subir un régime spécial de placement, tout particulièrement lorsqu’ils sautent plus haut que tout le monde en agitant une crinière à la propreté bien douteuse. Mais telles sont les affres d’un concert !
Dans une ambiance agréable, même si les spectateurs étaient peut-être un peu trop passifs par moments, Vampire Weekend a donc interprété plusieurs des titres qui composent l’album Contra et notamment Horchata, morceau offert en téléchargement gratuit il y a peu.

Mais nous retiendrons surtout les morceaux Run et Cousins qui d’après leur qualité en live promettent d’être aussi toniques que Oxford Comma ou A-Punk et s’inscrivent parfaitement dans leur continuité.

C’est naturellement lors des reprises de leurs morceaux bien connus (Mansard Roof, Campus, M79) que le public s’est laissé complètement transporté. Il faut dire que les quatre New-Yorkais, le chanteur Ezra Kœnig en tête, jouent à la perfection leur répertoire, jusques aux titres les moins faciles à interpréter comme le magnifique Walcott qui a clôturé le concert.
Ceux qui avaient pu assister comme nous au concert donné il y a un an à La Cigale regretteront sans doute une moins grande proximité entre le groupe et son public… Peut-être à cause de l’horaire, nous avons eu le sentiment que Vampire Weekend était pressé de terminer sa prestation : pas de rappel, pas de morceau cadeau (comme la reprise très réussie de Ça plane pour moi à La Cigale) et un absent de taille, le morceau Ottoman, récent chef d’œuvre composé pour le film, plutôt passé inaperçu lui, Une nuit à New-York (en anglais Nick and Norah's Infinite Playlist).
Quoi qu’il en soit, Vampire Weekend fait toujours plaisir à voir, groupe vraiment unique en cette époque pourtant fertile en talents musicaux, et c’est avec impatience que nous attendons la sortie de Contra en janvier.

Lucien JUDE

Image et vidéos : salle du concert (photo LJ), Horchata (vidéo LJ) et Cousins (vidéo LJ).
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mardi 20 octobre 2009

Les mauvaises notes

Quoi de plus désagréable que de connaître la fin d’un roman qu’on est en train de lire ? Il semble pourtant que cette vieille et insupportable manie qu’ont certains de vouloir raconter toute l’intrigue d’un livre au malheureux lecteur soit en passe de devenir la règle dans le monde de l’édition. En effet, à travers les préfaces, introductions, quatrièmes de couverture et tout particulièrement les notes, on assiste aujourd’hui à une véritable frénésie de révélations. Certes, on objectera qu’une préface a toujours été une source de potentielles divulgations pour le lecteur, son auteur se livrant en fait à une critique du livre. Mais pourquoi s’obstiner à faire des préfaces ? Pourquoi ne pas précisément faire des postfaces, comme c’est le cas parfois, et donner enfin sa véritable place à la critique, après le texte ? Vaste question ! Reste que l’on peut aisément sauter une préface pour y revenir une fois le roman terminé, ce qui représente encore un avantage important. Il n’est donc pas nécessaire de s’appesantir sur ce simple manque de bon sens éditorial…

Nous ne pouvons en revanche pas être d’accord sur le reste du « travail éditorial ». Ainsi, censée nous donner envie de lire, la quatrième de couverture est devenue, tout particulièrement dans la collection Folio, ou bien une arnaque, ou bien un piège. Arnaque quand elle se contente de citer un passage du texte qui très souvent ne signifie rien pour le lecteur. Piège quand elle se met à citer un morceau de la fameuse préface qui se plaît à tout raconter ! Exemple entre tant d'autres, la quatrième de couverture de Quatrevingt-treize de Victor Hugo dans la collection Folio, où le sort de tous les personnages nous est gentiment confié ! Que l’on n’invoque pas la célébrité du roman, car il y a toujours une première lecture et l’intrigue, chez Hugo en particulier, est primordiale. C’est une simple crétinerie d’éditeur qui, hélas, n’est pas isolée. La meilleure preuve en est que le service des éditions Folio à qui nous n’avons pas manqué d’exprimer notre mécontentement au sujet de la quatrième de couverture d’un autre livre, L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, reconnait une « quatrième trop explicite »,  promettant de « corriger cela lors de la prochaine réimpression ».
Mais venons en à l’essentiel. À supposer que le lecteur ait eu la présence d’esprit de s’emparer en fermant les yeux du livre (et ce à chaque fois qu’il le reprendra, ce qui est parfois difficile), à supposer encore qu’il ait astucieusement passé la préface, peut-être aussi l’introduction qui aime à en dire plus que de raison, voici qu'il se retrouve nez-à-nez avec le plus machiavélique guet-apens des éditeurs : les notes. Sous prétexte qu’un livre ne vaut rien sans « paratexte », sous prétexte qu’il se distingue tout au contraire par son édition, il n’est presque plus un livre de poche qui ne sorte grossi de notes et commentaires ! Le terrible résultat ne s’est pas fait attendre : la cohorte des spécialistes a ravagé le livre. Les vieilles ganaches de la Sorbonne et d’ailleurs sont venues truffer les textes de leur prose. L’asservissement est total. La collection de la Pléiade, naguère si simple, est devenue l’épicentre de ce fléau. Que l’on jette un coup d’œil aux nouvelles éditions des œuvres complètes de Rimbaud ou de Lautréamont qui comptent un quart d’œuvre pour trois quarts de paratexte ! 
Donc, notre lecteur a passé la quatrième de couverture, la préface, l’introduction et se retrouve face à une note. Il peut naturellement la passer elle aussi, à moins qu’elle ne figure en bas de page, inévitable, et parfois d’une désopilante utilité ainsi que le prouve celle-ci :

Si donc la note n’est pas en bas de page mais renvoie à la fin du livre, le lecteur peut refuser de s’y reporter. Mais comment peut-il résister lorsque sur une même page il voit fleurir les numéros de notes ? Comment ne peut-il pas penser que les notes indiquées vont lui fournir de solides explications sans lesquelles il ne comprendrait rien au texte ? Hélas ! Rien de tout cela ne s’offre à lui. Arrivé non sans mal à la fin du livre, le lecteur découvre avec consternation qu’on lui donne l’historique de tel obscur bistrot cité par l’auteur puis, parce que cette information reste inoffensive malgré tout, voici qu’il lit, avec épouvante cette fois, une note dans le genre de celles-ci :





Que penser de pareilles notes ? Non seulement la lecture du livre est hachée menue par l’abondance des renvois, mais en plus ces renvois nous ruinent l’intrigue. Qu’on ne dise donc pas que ces notes sont de nécessaires apports à l’œuvre ! Elles le seraient si elles restaient confinées au strict nécessaire (éléments biographiques sur tel ou tel personnage par exemple) mais leur systématisation en vient à obscurcir la lecture au lieu de l’éclairer. C’est donc pour des éditions dépourvues de ces « apparats critiques » délirants qui ne font plaisir qu’à ceux qui connaissent l’œuvre par cœur que nous oserons militer ici, étant bien souligné que certaines notes et une bonne post-face demeurent de salutaires additions à l’œuvre lorsqu’elles ont le bon sens d’en respecter l’essence.

Lucien JUDE

Images : quatrième de couverture de Quatrevingt-treize de Victor Hugo (édition Folio), page extraite du recueil du Horla de Maupassant (édition Folio), note extraite de Sodome et Gomorrhe de Proust (édition Folio), note extraite des Déracinés de Barrès (édition Bouquins).
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dimanche 18 octobre 2009

Vues de la Révolution

La Révolution, encore elle ! Jusqu’au 3 janvier 2010, le musée Carnavalet de Paris lui consacre une exposition. Étalée sur cinq petites salles, celle-ci a pour but de dévoiler les trésors cachés du musée qui rappelle détenir « la plus ancienne et la plus importante collection au monde » sur la période.
La visite est plutôt agréable et bien organisée par ordre chronologique, tout en laissant place à quelques « séquences thématiques » sur le rôle des femmes, la mode ou les grandes figures politiques. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de ces « trésors cachés », il s’agit très majoritairement de dessins, gravures ou peintures et les objets d’époque restent relativement rares ; on peut cependant admirer un fusil de « vainqueur de la Bastille » et le diplôme allant avec, les habits du Dauphin Louis XVII, plusieurs piques de sans-culottes et, détail très curieux, une chaussure de la reine Marie-Antoinette arrachée au pied de celle-ci lors de la journée du 10 août 1792 ! En revanche, on est donc étonné de ne pas trouver un plus grand nombre de ces reliques insolites comme par exemple la fameuse Bastille de Palloy que le musée a préféré laisser dans ses salles traditionnelles (réplique miniature réalisée en série à partir des pierres de la forteresse et vendue à profit par ce petit génie surnommé étrangement le Patriote)… De même, la petitesse des lieux s’accommodant mal avec l’immensité du sujet, il faut se contenter des deux cents pièces exposées (sur un catalogue initial de 25 000 œuvres) et chaque événement révolutionnaire (10 août, 21 janvier, 2 juin, etc.) n’a dès lors droit qu’à une ou deux représentations. Les Septembriseurs qui nous sont chers n’apparaissent ainsi que sur une unique gravure illustrant le massacre des prisonniers enfermés à la prison de l’Abbaye. On sait pourtant que ces événements furent autrement complexes, et, nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir dans un plus vaste article…

Saluons en tout cas l’inhabituelle honnêteté des présentations historiques qui jalonnent l’exposition. À l’heure où Robespierre est chassé de Paris, il est en effet louable de lire que les Montagnards ne sont pas les bêtes assoiffées de sang que le public se plaît à imaginer, et que les Girondins, si brillants qu’ils fussent, ne sont pas plus les martyrs d’une révolution qu’ils n’avaient que trop trahie.
Un petit tour (gratuit) par les salles du musée permet de compléter utilement cette intéressante visite. Il faut enfin regretter, d’un point de vue bassement mercantile, l’absence complète de cartes postales ou reproductions en affiches des superbes tableaux que donne à voir l’exposition (et l’on pense en particulier aux illustrations du calendrier révolutionnaire). Il y a là un marché en or que le citoyen Palloy n’aurait certainement pas délaissé de la sorte…

KLÉBER

La Révolution française, trésors cachés du musée Carnavalet, Hôtel Carnavalet, 23 rue de Sévigné, 75004 Paris, du mardi au dimanche de 10h à 18h (entre 2,5 et 5 euros).
Images : affiche de l'exposition (source ici) et drapeau révolutionnaire (source ici).
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vendredi 16 octobre 2009

Une vie : Abraham Mazel (1677-1710)

Abraham Mazel, dont le prénom biblique indique déjà la qualité, fut l'une des figures les plus importantes et les plus émouvantes de la Révolte des Camisards qui eut lieu à l'aube du XVIIIe siècle. Cette révolte, également appelée guerre des Cévennes, opposa plusieurs années durant le monarque le plus puissant d'Europe au petit peuple des montagnes cévenoles, attaché à défendre sa foi et la liberté de conscience.
Trahis par la noblesse protestante, abandonnés par la bourgeoisie des villes, leurs temples rasés et leurs pasteurs exilés ou exécutés, ces laboureurs, pâtres et artisans suscitèrent, à l'exemple des hébreux persécutés, des prophètes et des chefs de guerre. Quelques uns devinrent célèbres dans l'Europe entière comme Jean Cavalier ou Pierre Laporte dit Rolland.
Moins connu est Abraham Mazel, issu d'une famille de paysans illettrés, qui à 24 ans, lors d'une assemblée clandestine au "désert" devint un "inspiré", un Prophète. Possédé par l'esprit saint qui le guidait par des songes et des transes, ce tout jeune homme va avec quelques compagnons lancer la révolte.

Le soir du 24 juillet 1704, un groupe d'Inspirés et une cinquantaine de montagnards se rendent au Pont-de-Montvert où ils entrent en chantant des psaumes. Ils sont venus délivrer des prisonniers détenus par l'Abbé du Chayla, archiprêtre des Cévennes, considéré par tous comme le plus cruel et le plus farouche des persécuteurs de la région. La maison prise d'assaut, l'abbé est sauvagement massacré. C'est le début d'un conflit qui va ensanglanter les Cévennes et dont la violence répond à plus de vingt années de persécutions.
Dans les jours qui suivent, Mazel et sa troupe écument le pays, tuant les persécuteurs, les traîtres et les délateurs. Les églises catholiques sont brûlées en réponse aux temples rasés depuis la Révocation de l’édit de Nantes en 1685.
Le prophétisme et l'iconoclasme de Mazel illustrent bien la nature du conflit. Les songes et les prophéties servent de lois et de discipline militaire aux insurgés, qui souvent n'ont pas vingt ans et n'ont jamais reçu d'éducation religieuse ni d'instruction. Mazel comme les autres chefs prient sans cesse, avant chaque action, et attendent d'être saisis par l'Esprit qui leur commande de porter sans trêve le fer et le feu contre les persécuteurs et de renverser les idoles de l'Église Romaine.
De 1702 à 1704 la guerre des Camisards est marquée par la très grande mobilité des insurgés, les opérations militaires spectaculaires (coups de mains ou batailles rangées) et l'extrême violence de la répression.
En 1704, la guerre proprement dite s'achève par les négociations entre Jean Cavalier, l'un des principaux chefs, et le maréchal de Villars dépêché spécialement sur place pour mettre un terme à la révolte. Ces négociations où le jeune Cavalier sera dupé brisent l'unité du camp des "Enfants de Dieu". Les chefs camisards renoncent à la lutte, s'exilent ou sont tués comme Rolland. Le peuple protestant est lui aussi à bout après deux ans de guerre et le "Grand Brûlement des Cévennes" en 1703 qui a fait des milliers de victimes.
Mazel, lui, est finalement capturé en janvier 1705. Il obtient la vie sauve de justesse, grâce à l'intercession d'un prêtre qu'il avait lui-même épargné auparavant. Il est conduit dans la Tour de Constance qui depuis 1686 est devenu le symbole de l'horreur pour nombre de protestants enfermés pour faits de religion. Entouré de marécages malsains, Aigues-Mortes est considéré comme un mouroir isolé du monde. Mazel ne tarde pourtant pas à s'en évader de manière spectaculaire avec une quinzaine de complices et devant autant de témoins, le 24 juillet, jour anniversaire de la révolte.

Il doit cependant s'exiler peu après au Refuge, les États protestants qui accueillent et protègent volontiers les huguenots. En Suisse, il fait parti quelques temps de ces bandes qui guerroient contre les troupes françaises occupant la Savoie. On le retrouve à Londres en 1708 où ses anciens compagnons, appelés les "French Prophets", drainent les foules par leurs transes spectaculaires et leurs discours millénaristes. L'Europe entière attisée par la guerre et le "Grand Hiver" est parcourue de prophéties annonçant l'accomplissement final de "l'oeuvre de Dieu".
Abraham Mazel décide de rentrer en France pour y relancer la révolte, car la mort n'effraye pas les élus de Dieu. Il arrive dans le Vivarais, accablé de famine et de misère, et où se trouve également une forte présence protestante. Le mécontentement est à son comble et c'est une véritable guerre de classes qui se développe dans le pays. Mazel, avec d'anciens camisards, va tenter d'unir et d'encadrer les Nouveaux-Convertis et les Vieux-Catholiques dans une révolte religieuse et anti-fiscale. Un manifeste est écrit réclamant le rétablissement des clauses de l'édit de Nantes, la libération des prisonniers pour la foi, et le retour des exilés. Mais il vise aussi à la suppression des impôts nouveaux. Les révoltés veillent à ne pas inquiéter leurs voisins catholiques et respectent les églises. En revanche, comme dans les Cévennes, ils abattent impitoyablement les persécuteurs ou les représentants du pouvoir royal et du clergé.
Le pouvoir est d'autant plus inquiet que la plupart des régiments présents, mal équipés, mal nourris et impayés sont au bord de la mutinerie. Mazel le sait et donne pour consigne dans les combats de ne viser que les officiers.
Mais la Révolte fait long feu. Echaudé, l'intendant du Languedoc, le sinistre Basville, organise une véritable armée contre moins d'une centaine de révoltés. De plus ceux-ci ne jouissent pas d'un soutien populaire comparable aux années 1702-1704. Battu dans le Vivarais, Mazel, malade et blessé, doit se réfugier dans les Cévennes où malgré les dragonnades qui se poursuivent les assemblées du Désert se maintiennent avec plus de ferveur que jamais. En septembre 1709, Mazel reprend contact pour relancer à nouveau le combat. Pendant toute l'année qui s'écoule,  le prophète prêche et affirme que la chute de "Babylone" est proche. En 1710, encore le 24 juillet, un débarquement anglais semble lui donner raison. Hélas, c'est une opération sans lendemain et l'étau se ressert autour de lui.
Finalement, le 14 octobre 1710, il est trahi et tué au Mas de Couteau. Avec lui s'achève la Guerre des Camisards.

Paul LAMARE

Source : Abraham Mazel, le dernier camisard de Jean-Paul Chabrol, excellente biographie publiée en mai 2009 aux éditions Alcide.
Images tirées de la bande-dessinée "La révolte des Camisards" de Paul Astruc (Presses du Languedoc, 1984).
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lundi 12 octobre 2009

Ganache du mois : Joffre

« Les diplomates les nomment impoliment des niais. Niais ou non, ils augmentent le nombre de ces gens médiocres sous le poids desquels plie la France. Ils sont toujours là ; toujours prêts à gâcher les affaires publiques ou particulières, avec la plate truelle de la médiocrité, en se targuant de leur impuissance qu'ils nomment moeurs et probité. Ces espèces de Prix d'excellence sociaux infestent l'administration, l'armée, la magistrature, les chambres, la cour. Ils amoindrissent, aplatissent le pays et constituent en quelque sorte dans le corps politique une lymphe qui le surcharge et le rend mollasse. Ces honnêtes personnes nomment les gens de talent, immoraux, ou fripons. Si ces fripons font payer leurs services, du moins ils servent ; tandis que ceux-là nuisent et sont respectés par la foule ; mais heureusement pour la France, la jeunesse élégante les stigmatise sans cesse du nom de ganaches. »
Honoré de Balzac, La fille aux yeux d'or
Il est facile sans doute d’inaugurer cette rubrique par un pareil personnage. Mais, le maréchal Joffre (1852-1931) n’est-il pas l’une des plus belles ganaches fournies par l’armée française ? N’est-il pas l’exemple le plus vrai de ce que fut un chef militaire irresponsable ?
Comprenons-nous, car Joseph Joffre n’a tout de même pas été bombardé par hasard à la tête des armées en 1914. Si l’homme a bien eu quelques succès dans sa carrière, s’il a incontestablement été efficace en plusieurs batailles et si même, disons-le, sa ténacité a été pour quelque chose dans la victoire de la Marne, il n’en reste pas moins que son dédain des vies humaines, son retard accablant en stratégie militaire et les idées lumineuses qu’il tirait de ces deux premiers caractères ont coûté fort cher à la France. Ajoutons à cela que le brave homme est mort dans son lit à l’âge respectable de 78 ans, ce qui fait de lui une authentique ganache. De fait, le chef qui meurt au combat à la façon du général de Grandmaison a au moins cette excuse de rejoindre les milliers de malheureux qu’il a condamnés. En revanche, l'embusqué qui envoie ses hommes au petit bonheur comme s’il jouait aux soldats de plomb et se permet de surcroît de déclarer avec volubilité « Je les grignote », celui-là devrait être fusillé séance tenante et, ce vœu étant hélas bien chimérique, mérite pour le moins le titre de ganache.
Joffre, c’est donc l’homme qui limogea sans scrupule le général Lanrezac, vrai sauveur des armées françaises en déroute à la fin du mois d’août 1914. C’est celui qui remporta la bataille de la Marne en très grande partie grâce à l’erreur stratégique commise par les Allemands mais en retira toute la gloire. C’est celui qui envoya à la mort des dizaines de milliers d’hommes dans les délirantes offensives du « grignotage » (Champagne, 1915) qui n’ont jamais grignoté (plutôt dévoré) que nos propres armées. C’est enfin le responsable du fiasco de la Somme, fiasco tel qu’il lui coûta (enfin !) son poste de généralissime. Mais, sa mise à la retraite forcée fut loin d’être douloureuse : fait maréchal de France en 1916, élu à l’Académie française en 1918 (repaire de ganaches, il est vrai), en tournée mondiale au début des années 1920, « médaillé jusqu’aux couilles »[1] ainsi qu’il convient à un si haut gradé, il est mort paisiblement en 1931…
Le maréchal Joffre ne manquant pas d’humour, il aurait eu avant de mourir ces glorieuses paroles : « Je n’ai jamais fait de mal à personne ».
Les centaines de milliers de Poilus tués par sa faute apprécieront le trait.

KLÉBER

[1] L’expression est de Lucien Rebatet dans Les décombres (Denoël, 1942).

Image : le maréchal Joffre (source ici).
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samedi 10 octobre 2009

Les nourritures gidiennes

Lit-on encore Gide aujourd’hui ? C’est la question que l’on pouvait se poser en contemplant le public venu assister ce vendredi 9 octobre au colloque qui lui était consacré à la Bibliothèque François Mitterrand. De fait, les soixante à soixante-dix personnes présentes dans le Petit Auditorium montraient très majoritairement des têtes chenues. De quoi se demander si Gide, si prisé en son temps par la jeunesse française, est encore un auteur capable de lui plaire. Mais il faut certes reconnaître que ce colloque, programmé à l’occasion du 140e anniversaire de la naissance de l’écrivain (et à l’occasion de la nouvelle édition de ses œuvres dans la Pléiade), visait bien plus un public de spécialistes qu’un public de simples amateurs, qui plus est un jour de semaine…

M. Alain Goulet, qui présidait la séance matinale de ce colloque, a d’abord tenu à exprimer quelques regrets à-propos du caractère « incomplet » de la nouvelle édition des « Romans et récits, œuvres lyriques et dramatiques » au sein de la Bibliothèque de la Pléiade, édition à laquelle il a lui-même activement collaboré. Nous ne serons pas aussi désappointés, car nous désapprouvons trop la politique de gavage pratiquée depuis quelques temps par cette collection pour partager de tels regrets. Aussi faut-il à notre avis surtout saluer l’ajout de textes essentiels qui manquaient encore au volume en question et notamment Corydon que Gide considérait, à la fin de sa vie, comme son œuvre majeure.

Après que Marie-Odile Germain, conservateur général du département des Manuscrits à la BNF, a présenté quelques manuscrits de La porte étroite ainsi que d’intéressants fragments de la dernière phrase des Faux-monnayeurs, M. Jean Claude est intervenu assez longuement sur le thème « Gide et le théâtre : une tentation impossible ». Si ce sujet pouvait a priori séduire, il faut dire sans ambages que ce ne fut pas le cas, en dépit de quelques intéressants propos sur la conception que se faisait Gide du théâtre (il se croyait d’ailleurs un « acteur excellent »). La lecture d’extraits fort ennuyeux de Bethsabé et du monologue d’Œdipe par deux comédiens n’a hélas fait qu’aggraver la fâcheuse impression que l’intervention de M. Claude avait commencé à répandre parmi l’assistance. Ayant déjà été échaudés par une lecture soporifique de Saül, nous nous permettrons d’en conclure très sommairement que Gide n’est pas un auteur de théâtre, ce que beaucoup, à commencer par ledit spécialiste, semblent reconnaître !
Cette mauvaise passe a heureusement été dissipée par le passionnant discours de M. Jean-Michel Wittmann. Prenant l’exemple d’une page supprimée par Gide lors de la réimpression vers 1920 de son Paludes, celui-ci s’est attaché à montrer comment l’écrivain, vingt-cinq ans après la première publication, avait en fait cherché à modifier le sens trop politique de son livre. En effet, alors même que l’escamotage de cette page pouvait paraître uniquement causé par un souci artistique (et l’on sait combien Gide tenait à bien écrire), M. Wittmann a brillamment démontré que l’auteur avait ici agi pour se conformer à son opinion du moment, différente de celle du temps de l’écriture. Ainsi, cette fameuse page qui contenait un dialogue du narrateur avec un certain Baldakin était l’occasion pour Gide d’ironiser sur la théorie de la décadence développée par Paul Bourget à la fin du XIXe siècle. Or, d’après M. Wittmann, le rapprochement de Gide de cette théorie lui fit choisir de retirer la page litigieuse lors de la réédition des années 1920. On trouve d’ailleurs un écho de ce revirement dans Les faux-monnayeurs qui datent de la même époque et où Gide va jusqu’à citer Paul Bourget : « La famille…, cette cellule sociale ».

Enfin, dernier intervenant de cette matinée à laquelle nous avons assisté, M. Pierre Masson a donné un savant exposé sur les « histoires de portes » dans l’œuvre d’André Gide. Il n’était pas seulement question de La porte étroite bien que le « Schaudern » de la rue de Lecat fût au centre de ce développement, notamment les variations qu’en donne Gide dans les brouillons de ce récit et de ses mémoires (Si le grain ne meurt).
Sans avoir pu assister à l’ensemble du colloque, les interventions ci-dessus rapportées nous ont en tout cas incités à relire certains livres (et surtout Paludes, et les incontournables Faux-monnayeurs dont une adaptation télévisée est paraît-il en cours). La publication des actes du colloque devrait satisfaire sous peu les passionnés de Gide qui n’ont pu assister à cette journée. Nous espérons de notre côté qu’un colloque moins spécialisé ouvrira l’œuvre extraordinaire de cet écrivain à de nouveaux lecteurs dont nous ne doutons pas de l’existence.

Lucien JUDE

Images : programme du colloque André Gide (photo LJ) et couverture de la nouvelle édition dans la Bibliothèque de la Pléiade (source ici).
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mercredi 7 octobre 2009

Notre erreur

Compte-rendu d’un fiasco
Vendredi soir dernier, appâté par d'élogieux compte-rendus parus dans la presse nationale, j'avais réussi à entraîner l'un de mes camarades jusqu'au théâtre de la Colline, où se donne encore pour quelques jours la pièce collective Notre Terreur mise en scène par M. Sylvain Creuzevault.
Après une sanglante mêlée dans le métro, dont le narrateur et les siens s'extrayèrent à grand peine, nous débouchâmes finalement devant le temple de nos désirs. Tel se présente le théâtre de la Colline, à la lueur des réverbères : une belle bâtisse composite verre et béton, sans décorations intérieures, qui donne un aspect résolument moderne et prolétarien à un lieu de culture fréquenté quasi-exclusivement par la petite-bourgeoisie intellectuelle, le tout enchâssé dans un ancien quartier populaire, non loin du Père Lachaise.

À l'entrée, de courageux jeunes gens distribuaient à titre gracieux des exemplaires d'un quelconque canard sur la vie culturelle parisienne, que nous ne lirons pas de toute manière. Une fois, le seuil passé, nous observâmes avec effroi que les guichets étaient tous fermés. Nous n'eûmes pas le temps de nous alarmer plus longtemps car les gardiens des lieux, tout de noir vêtus, (il est intéressant de constater cette résurgence du goût pour les uniformes fascistes qui touche quasiment tous les personnels des lieux culturels aujourd'hui… Où sont donc passées les belles livrées dorées, rehaussées de couleurs chatoyantes ?), nous poussèrent vers les étages.
Escaladant les marches quatre à quatre nous arrivâmes devant les portes. Une foule de bobos, en uniformes réglementaires (barbe de plusieurs jours, chemises au col ouvert et soigneusement froissée, jean diesel pour ces messieurs, robes et jupes assorties du cuir obligatoire pour ces dames) patientaient en bavardant d'autant plus gaiement, qu'ils avaient vue directe sur le purgatoire. Le purgatoire en question, n'était autre qu'un comptoir où les malheureux qui comme nous n'avaient pas pris le soin de réserver à l'avance, devaient s'inscrire sur une liste d'attente (20 élus par soir maximum) auprès des gardiens susmentionnés qui, prenant l'air important, expliquaient qu'il était nécessaire de s'y prendre longtemps à l'avance. Les escrocs ! Non contents de vendre les places à des prix qui feraient rougir de honte un bon sans-culotte et affichant sans vergogne la fatuité propre à leurs fonctions, tout indiquait en outre que ces vils laquais se payaient le luxe d'annoncer à tel ou tel de leurs amis – après un bruyant claquage de bise – qu'on se faisait fort de les faire entrer !
Ecoeurés par ce système de privilégiés, vos serviteurs zélés décidèrent de fuir manu militari un pareil spectacle pour aller se régaler d'un bon film de guerre hollywodien, à un prix nettement plus abordable.
Que demande le peuple ?

Bruno FORESTIER (en compagnie de Lucien JUDE)

Image : le théâtre de la Colline (source ici)
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samedi 3 octobre 2009

Robespierre à la rue

Le Conseil de Paris a pour habitude de voter la nomination des rues, places ou avenues de la capitale et s’acquitte généralement sans encombre de cette tâche. La proportion de ces attributions est d’ailleurs si élevée qu’il est rare aujourd’hui de trouver un carrefour, fût-il misérable et même imaginaire, qui ne porte le nom d’un quidam. Le malheureux Ben Barka, enlevé en plein Saint-Germain-des-Près, peut se réjouir ainsi de voir son nom fiché sur un piquet à l’intersection des rues du Four et Bonaparte. Sartre et Beauvoir ont leur place toute fictive sur l’emplacement du carrefour Rennes-Saint-Germain. Joséphine Baker a droit à un vague élargissement de trottoir devant le Monoprix de Montparnasse. Etc.
Il n’empêche que certains noms demeurent voués aux gémonies et pour ceux-là pas même un bout d’impasse ne leur sera cédé ! Ainsi en est-il, très particulièrement, de Maximilien de Robespierre. La principale figure de la Révolution passe aujourd’hui pour l’un des plus grands dictateurs de l’Histoire. Toute la tourbe idéologique vomie par la Réaction depuis Thermidor recouvre son nom et paraît l’engloutir.

Malgré tout, une proposition d’attribution de son nom à un lieu parisien a été faite devant le Conseil de Paris, mercredi 30 septembre 2009. Elle émanait de Georges Sarre et du groupe MRC, soutenue par les conseillers communistes et quelques élus verts et socialistes. En face, c’est une coalition PS-UMP qui a donc obtenu, sans surprise (mais à une courte majorité cependant), le rejet de la proposition. M. Bertrand Delanoë, maire « socialiste » de Paris, a naturellement voté contre ce projet éminemment scandaleux ! Il faut dire que les soi-disant héritiers de Jaurès n’ont désormais plus peur d’afficher ouvertement leur mépris pour la Révolution française. À l’heure où un Livre noir peut sans contestation répandre les pires calomnies, à l’heure où des députés UMP déposent un projet de loi visant à reconnaître le prétendu génocide vendéen, il n’y a plus de raison pour que le PS fasse semblant d’aimer la Révolution. Si l’on se risque à la citer, ce n’est que par morceaux, contredisant la célèbre formule attribuée à Clémenceau ; il n’est que de voir Ségolène Royal qui parle haut et fort de 89 mais craindrait de se compromettre en parlant de 93, voire même de 92 !
Tout ceci a une explication. À droite, traditionnellement, c’est le vieux fond royaliste et bourgeois pour l’ordre et la réaction qui voit dans Robespierre, et avec raison, un ennemi redoutable. À gauche, c’est une vision de l’Histoire de France à l’aune des sentiments contemporains qui justifie ce revirement. Pour ces naïfs politicards, le moindre sang versé est un scandale ! La Terreur et sa répression sanglante des mouvements contre-révolutionnaires ne peut donc plus être acceptée. On oublie pour cela que la République française a été sauvée par cette politique. On oublie aussi que les royalistes étaient prêts à égorger les patriotes avec l’aide d’une coalition européenne. On oublie encore que pour instaurer les principes de liberté et d’égalité, il fallait lutter contre ceux qui voulaient le retour à l’ordre féodal. Tout ceci n’a aucun poids pour les idéalistes d’aujourd’hui qui se parent de vertu en invoquant les droits de l’homme et poussent des cris d’orfraie devant la guillotine. La droite a donc beau jeu de récupérer cette vision « humaniste » de l’histoire afin de justifier son rejet. Digne porte-parole de la Réaction, M. Bournazel (UMP), dans son discours au Conseil de Paris, a ainsi stigmatisé le « criminel » Robespierre en n’omettant aucune des comparaisons habituelles avec Staline, pendant que M. Caffet (PS) disait avec un sourire que « si Robespierre a été opposé à la peine de mort, je crois me rappeler quand même qu’il l’a fait appliquer à tour de bras ». Une pareille ignorance de l’Histoire laisse pantois…
M. Corbière, conseiller communiste, a hélas été un mauvais porte-parole même si son discours avait du bon. Après avoir énuméré les combats de Robespierre (suffrage universel, droit de pétition, abolition de l’esclavage, vote des Juifs, etc.), il a rappelé que la plupart des Thermidoriens, ce ramassis de lâches et d’escrocs, ont leur nom dans Paris. Il a aussi souligné que les traîtres Mirabeau (corrompu jusqu’à la moelle) et Lafayette (fusilleur du Champ de Mars) sont eux aussi à l’honneur.

Il y a en effet quelque paradoxe à vouloir, sous le fallacieux prétexte du sang répandu par la Terreur, refuser à Robespierre l’attribution d’un nom de rue quand tant de vrais criminels ont le leur dans Paris. Que penser par exemple des lieux qu’on a baptisés « Adolphe Thiers » ? La répression de la Commune de Paris organisée par ce dernier fit plus de 20 000 morts en moins d’un mois, soit sept fois plus que l’ensemble des exécutions en un an de Terreur à Paris ! On serait donc curieux de connaître l’avis du citoyen Bournazel sur ce « criminel » honoré par une rue et un square…

KLÉBER

Pour voir en intégralité le débat au Conseil de Paris, c'est ici.
Images : portrait de Robespierre, musée Carnavalet (source ici), plaque de la rue Thiers à Paris (image Google street view).
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