samedi 3 octobre 2009

Robespierre à la rue

Le Conseil de Paris a pour habitude de voter la nomination des rues, places ou avenues de la capitale et s’acquitte généralement sans encombre de cette tâche. La proportion de ces attributions est d’ailleurs si élevée qu’il est rare aujourd’hui de trouver un carrefour, fût-il misérable et même imaginaire, qui ne porte le nom d’un quidam. Le malheureux Ben Barka, enlevé en plein Saint-Germain-des-Près, peut se réjouir ainsi de voir son nom fiché sur un piquet à l’intersection des rues du Four et Bonaparte. Sartre et Beauvoir ont leur place toute fictive sur l’emplacement du carrefour Rennes-Saint-Germain. Joséphine Baker a droit à un vague élargissement de trottoir devant le Monoprix de Montparnasse. Etc.
Il n’empêche que certains noms demeurent voués aux gémonies et pour ceux-là pas même un bout d’impasse ne leur sera cédé ! Ainsi en est-il, très particulièrement, de Maximilien de Robespierre. La principale figure de la Révolution passe aujourd’hui pour l’un des plus grands dictateurs de l’Histoire. Toute la tourbe idéologique vomie par la Réaction depuis Thermidor recouvre son nom et paraît l’engloutir.

Malgré tout, une proposition d’attribution de son nom à un lieu parisien a été faite devant le Conseil de Paris, mercredi 30 septembre 2009. Elle émanait de Georges Sarre et du groupe MRC, soutenue par les conseillers communistes et quelques élus verts et socialistes. En face, c’est une coalition PS-UMP qui a donc obtenu, sans surprise (mais à une courte majorité cependant), le rejet de la proposition. M. Bertrand Delanoë, maire « socialiste » de Paris, a naturellement voté contre ce projet éminemment scandaleux ! Il faut dire que les soi-disant héritiers de Jaurès n’ont désormais plus peur d’afficher ouvertement leur mépris pour la Révolution française. À l’heure où un Livre noir peut sans contestation répandre les pires calomnies, à l’heure où des députés UMP déposent un projet de loi visant à reconnaître le prétendu génocide vendéen, il n’y a plus de raison pour que le PS fasse semblant d’aimer la Révolution. Si l’on se risque à la citer, ce n’est que par morceaux, contredisant la célèbre formule attribuée à Clémenceau ; il n’est que de voir Ségolène Royal qui parle haut et fort de 89 mais craindrait de se compromettre en parlant de 93, voire même de 92 !
Tout ceci a une explication. À droite, traditionnellement, c’est le vieux fond royaliste et bourgeois pour l’ordre et la réaction qui voit dans Robespierre, et avec raison, un ennemi redoutable. À gauche, c’est une vision de l’Histoire de France à l’aune des sentiments contemporains qui justifie ce revirement. Pour ces naïfs politicards, le moindre sang versé est un scandale ! La Terreur et sa répression sanglante des mouvements contre-révolutionnaires ne peut donc plus être acceptée. On oublie pour cela que la République française a été sauvée par cette politique. On oublie aussi que les royalistes étaient prêts à égorger les patriotes avec l’aide d’une coalition européenne. On oublie encore que pour instaurer les principes de liberté et d’égalité, il fallait lutter contre ceux qui voulaient le retour à l’ordre féodal. Tout ceci n’a aucun poids pour les idéalistes d’aujourd’hui qui se parent de vertu en invoquant les droits de l’homme et poussent des cris d’orfraie devant la guillotine. La droite a donc beau jeu de récupérer cette vision « humaniste » de l’histoire afin de justifier son rejet. Digne porte-parole de la Réaction, M. Bournazel (UMP), dans son discours au Conseil de Paris, a ainsi stigmatisé le « criminel » Robespierre en n’omettant aucune des comparaisons habituelles avec Staline, pendant que M. Caffet (PS) disait avec un sourire que « si Robespierre a été opposé à la peine de mort, je crois me rappeler quand même qu’il l’a fait appliquer à tour de bras ». Une pareille ignorance de l’Histoire laisse pantois…
M. Corbière, conseiller communiste, a hélas été un mauvais porte-parole même si son discours avait du bon. Après avoir énuméré les combats de Robespierre (suffrage universel, droit de pétition, abolition de l’esclavage, vote des Juifs, etc.), il a rappelé que la plupart des Thermidoriens, ce ramassis de lâches et d’escrocs, ont leur nom dans Paris. Il a aussi souligné que les traîtres Mirabeau (corrompu jusqu’à la moelle) et Lafayette (fusilleur du Champ de Mars) sont eux aussi à l’honneur.

Il y a en effet quelque paradoxe à vouloir, sous le fallacieux prétexte du sang répandu par la Terreur, refuser à Robespierre l’attribution d’un nom de rue quand tant de vrais criminels ont le leur dans Paris. Que penser par exemple des lieux qu’on a baptisés « Adolphe Thiers » ? La répression de la Commune de Paris organisée par ce dernier fit plus de 20 000 morts en moins d’un mois, soit sept fois plus que l’ensemble des exécutions en un an de Terreur à Paris ! On serait donc curieux de connaître l’avis du citoyen Bournazel sur ce « criminel » honoré par une rue et un square…

KLÉBER

Pour voir en intégralité le débat au Conseil de Paris, c'est ici.
Images : portrait de Robespierre, musée Carnavalet (source ici), plaque de la rue Thiers à Paris (image Google street view).
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8 commentaires:

  1. Il faut cependant mentionner qu'il existe une rue Saint-Just à Paris, dans le XVIIIe il me semble. La jeunesse de ce révolutionnaire et son action militaire (Fleurus) peuvent expliquer qu'on l'ait épargné…
    De même, il a existé à Paris, en 1945, une place Robespierre qui a été débaptisée aussitôt les communistes partis de la municipalité, en 1948.

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  2. La rue Saint-Just est dans le 17ème entre la porte de Clichy et le boulevard périphérique; les connaisseurs apprécieront !
    Aussi mal lotie que la rue André Gide qui longe les voies ferrées de la gare Montparnasse...

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  3. Il est vrai que la rue André Gide a très mauvaise mine… Quand l'on songe que pour Michel Debré on a débaptisé le carrefour de la Croix Rouge (dont le nom remontait au Moyen-âge)… C'est toute la politique des nominations de rues qui devrait être révisée à Paris.

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  4. Proposons une votation citoyenne ! C'est à la mode !

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  5. Il semblerait que la rue Saint-Just du XVIIe arrondissement n'ait rien à voir avec le révolutionnaire… Aucune rue parisienne pour les grands Montagnards donc !

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  6. Merci pour cet article. Toutefois, vous êtes sévère avec moi écrivant que j'ai été un "mauvais porte parole" de cette juste bataille. Je ne disposais que de 2 mn, et la droite (et certains socialistes hélas) vociférait contre moi durant mon intervention... Pas simple donc d'être parfait dans ces conditions, mais j'entends vos critiques.

    Continuons à agir pour réhabiliter la mémoire des révolutionnaires de 93.

    Respectueusement,

    Alexis Corbière
    Conseiller de Paris
    Parti de gauche (PG)

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  7. Par "mauvais porte-parole", j'entendais souligner le fait que vous lisiez trop votre texte pour être convaincant… Mais il est vrai que vous n'aviez que peu de temps et les cris d'une majorité du Conseil contre vous. Je salue quoi qu'il en soit votre intervention et votre tentative.

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  8. J'ai créée un groupe Facebook "Pour une rue Robespierre à Paris" : j'aimerais que les gens viennent y débattre, parce que je pense que c'est surtout cela qui a manqué : un vrai bon débat sur Robespierre : http://www.facebook.com/group.php?gid=370708933509

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