samedi 25 juin 2011

Paul Wenz, l’écrivain du bout du monde

En Australie, la littérature eut une naissance difficile. Sur ce continent découvert à la fin du XVIIIe siècle, l’administration anglaise ne se préoccupa d’abord que de bâtir des colonies pénitentiaires avant que le « golden rush » de 1851 n’en fasse une importante terre d’immigration. Lointaine, immense, désertique, ce n’était a priori pas la contrée la plus hospitalière pour un écrivain désireux de populariser son œuvre. Si son exotisme en faisait bien un idéal lieu d’aventure pour les auteurs européens (Les Enfants du capitaine Grant de Jules Verne par exemple), ses natifs ou ses immigrés se souciaient avant tout d’y faire fortune en partant à la conquête des infinis territoires qu’elle recélait. À la fin du XIXe siècle, l’émergence des deux grandes villes, Melbourne et Sydney, favorisa le développement de foyers culturels. Les premiers mouvements littéraires y apparurent bientôt, notamment sous l’impulsion d’une revue, The Bulletin, qui contribua par ailleurs à forger le nationalisme australien en exaltant le « bush », ces terres sauvages de l’intérieur où les colons partaient s’aventurer.
À cette même époque, un jeune Français d’origine rémoise, Paul Wenz (1869-1939), débarquait en Australie pour les besoins du commerce familial. Enchanté par le pays, bientôt marié à une fille de squatter*, il décida finalement de s’y installer à l’âge de 28 ans. Au cœur de la Nouvelle Galles du Sud, à Forbes, il bâtit sa propriété, vivant de l’élevage de moutons et du développement local de l’entreprise familiale de lainage. Deux ans plus tard, en 1900, ses premières nouvelles paraissaient dans L’Illustration, ayant principalement pour thème et lieu l’Australie.

Qui est Paul Wenz ? Né au sein d’une riche famille protestante de Reims, grand ami de Joseph Krug (héritier de la célèbre marque de champagne), il fut envoyé par ses parents à Paris afin d’effectuer sa scolarité à l’École alsacienne. C’est là qu’il eut pour camarades André Gide et Pierre Louÿs, ce premier évoquant d’ailleurs furtivement la figure du « grand Wenz » dans ses mémoires (Si le grain ne meurt, p. 81). Élève assez médiocre, Paul Wenz rêvait déjà de partir et ne brillait apparemment qu’en composition. Dès 18 ans, il entreprit ses premiers voyages vers l’Amérique et l’Afrique avant de faire de l’Australie sa terre d’adoption. Bien qu’à la tête d’une propriété, son éducation devait finir par le porter vers l’écriture et, les circonstances l’ayant placé sur des terres largement inconnues du public français, il eut la bonne idée d’exploiter cette opportunité. Son premier recueil ne cache d’ailleurs pas l’orientation décidée puisqu’il s’intitule À l’autre bout du monde (1905, publié sous le pseudonyme de Paul Warrengo).
Peu après ce coup d’essai, Paul Wenz publia son premier livre en anglais, Diary of a New Chum (Melbourne, 1908), sorte de bréviaire pour ce qu’on appelait les « new chums », ces gens nés hors de l’Australie qui venaient s’y installer pour travailler dans les stations et grandes propriétés. Lui-même « new chum », Wenz y décrit en quelques courtes scènes les péripéties habituelles rencontrées par cette catégorie d’immigrés. Dans ce récit sans grand relief, une intrigue des plus fantomatiques est reléguée derrière les descriptions du quotidien du « new chum ». Du fait de son caractère pointu, l’ouvrage eut une publication plutôt confidentielle et exclusivement locale.

La carrière de Paul Wenz prit un important tournant au cours des premières années du XXe siècle. Ayant rencontré Jack London de passage à Sydney, il se lia d’amitié avec celui-ci et entreprit la traduction de son livre Love of Life. En 1909, au cours d’un voyage en France, il reprit contact avec son ancien camarade André Gide qui venait tout juste de lancer la Nouvelle Revue Française et commençait à se faire connaître. Wenz qui achevait la rédaction d’un nouveau recueil de « contes australiens », Sous la Croix du Sud (Plon, 1910), en profita pour lui en soumettre les épreuves avec l’espoir que l’entregent de son illustre ami puisse lui donner une plus large visibilité en France. De fait, Gide fut enthousiasmé par Le Charretier, nouvelle qu’il fit aussitôt publier dans la Nouvelle Revue Française. Sans être à notre avis extraordinaire, il est vrai que cette nouvelle et quelques autres du recueil montrent de belles qualités, promenant le lecteur à travers l’Australie du bush et jusqu’à l’île d'Upolu où repose Stevenson.

Comme le premier recueil publié en 1905, ce second livre en français eut un certain succès et fut réédité dès l’année suivante. Encouragé par ce bon début, Paul Wenz entreprit alors l’écriture d’une œuvre plus ambitieuse, confiant à Gide dans une lettre du 16 novembre 1912 qu’il s’agirait peut-être d’un roman, même s’il craignait que son français « ne sente terriblement l’eucalyptus ou la menthe ». Ce fut bien un roman, L’Homme du soleil couchant, mais la Première Guerre Mondiale en repoussa la parution à 1923. Resté en France durant toute la durée du conflit, Paul Wenz collabora à la Croix Rouge avant d’être envoyé à Londres comme officier de liaison. C’est là que sa relation avec Gide atteint probablement son apogée puisque ce dernier, précisément en train de découvrir la langue anglaise, était curieux de tout ce qui avait trait à la vie littéraire locale et multipliait les contacts sur place (on sait qu’il fit un voyage en Angleterre en 1918 avec Marc Allégret). Par l’entremise de Gide, Wenz rencontra ainsi Joseph Conrad, Arnold Bennett et John Galsworthy.

Dès 1919, ce fut le retour en Australie, tandis qu’en France paraissaient Au pays de leurs pères, écrit durant la guerre, et, peu après, L’Homme du soleil couchant. Ce dernier livre, adoptant une trame semblable à celle de Diary of a New Chum, montre un jeune Anglais que l’amour a poussé à la poursuite d’une femme en Australie. Là, désespérant de la conquérir, il entame une improbable carrière de « new chum », alternant les petits « jobs » avant de se lancer à la recherche de l’or. À parler franchement, c’est un roman plutôt médiocre et languissant qui n’a pour seule valeur que l’atmosphère qu’il parvient à rendre. En effet, comme dans ses nouvelles, Wenz exploite les particularismes et mœurs de l’Australie avec un certain talent : solitude des espaces, menaces de la nature (feux, serpents, sécheresse…) et folies humaines en sont les composantes. La fièvre de l’or, par exemple, est fort bien restituée :
« Le reste de la soirée se passa à raconter des histoires de découvertes d’or : chacun avait la sienne à dire. On cita les hasards étranges qui montrèrent de l’or dans un trou de lapin ; dans les incisives d’un mouton qui avait brouté là où plus tard il y eut un champ d’or. On rappela l’or qu’on avait trouvé dans une rue de Ballarat, dans une brique d’une maison de Bendigo. Chacun s’en fut coucher, la tête tournée par tous ces récits de fortunes faites en se baissant. »

Isolé à l’autre bout du monde, Wenz ne tarda pas à perdre contact avec son puissant allié de la NRF. Il faut dire que de son côté, André Gide ne se faisait plus beaucoup d’illusions sur les qualités littéraires de son ami qui continuait inlassablement à lui envoyer ses manuscrits. Sans jamais rompre avec lui, Gide exprima ses doutes et tenta de le conseiller avant d’espacer plus longuement ses réponses. D’après Michaël Tilby, auteur d’un article assez cruel dans Le Bulletin des Amis d’André Gide (n°129, janvier 2001), il ne savait comment se débarrasser de cet encombrant ami dont Rivière et Gallimard avaient condamné les œuvres sans appel. Abandonné par eux, Wenz fut dès lors moins productif pendant plusieurs années, avant de publier en 1929 Le Jardin des Coraux et surtout L’Écharde en 1931. S’il y a bien un roman de Wenz à lire, c’est peut-être celui-ci, son dernier : pour une fois, l’intrigue est bien construite, l’écriture est agréable et le charme des descriptions du bush australien toujours là. Racontant l’arrivée d’une « house-keeper » belle et ambitieuse au sein d’une ferme tenue par trois célibataires, ce roman décrit l’évolution d’une jalousie qui, comme une écharde, poursuivra toute sa vie le héros qui en est victime. Si l’on peut déplorer tout au plus quelques précipitations dans le déroulement du récit, il y a là un beau roman.
Ce devait être son chant du cygne. Après un dernier voyage en France en 1938-1939, Paul Wenz rentra à Forbes où il mourut d’une fièvre subite le 23 août 1939, à l’âge de soixante-dix ans.

La question s’est posée de savoir si Paul Wenz doit être considéré comme un écrivain français ou australien. Contrairement à d’autres cas célèbres, aucun des deux pays concernés n’a jamais vraiment cherché à se disputer sa nationalité. Il est par ailleurs faux de dire, comme on peut hélas le lire sur Internet, qu’il est un « classique » en Australie. Toutes les librairies que nous avons pu visiter à Melbourne ou à Sydney sont vides de la moindre œuvre de Paul Wenz. La colossale Histoire de la littérature australienne que nous avons consultée se paie le luxe de ne pas même mentionner cet auteur. Rien toutefois de très étonnant lorsque l’on sait que Wenz écrivit toute son œuvre, sauf un livre et quelques nouvelles, en langue française et à destination du public français.
S’il reste assurément un écrivain amateur par le ton convenu de ses récits et l’écriture trop classiquement appliquée qu’il y emploie, ses livres n’en restent pas moins fort instructifs sur toute une époque de l’Australie. La vie du bush, ses métiers (les « boundary riders », « swaggies » et tondeurs des stations), les Noëls fêtés par 35°c, la ruée vers l’or, la sécheresse et les feux, tout ce folklore inconnu pour les lecteurs français est retracé dans son œuvre. Unique écrivain français en son domaine, il apparaît donc comme un lecture nécessaire sinon indispensable pour tout Français curieux de littérature qui passe en Australie.

Mais laissons à André Gide le soin de conclure par ce beau portrait qu’il fit de Paul Wenz :
« Je contemple avec admiration ce colosse superbe, sous qui tous les fauteuils semblent plier. Son visage puissant exprime une énergie calme et douce ; il est beau tout entier. (…) Il parle de Java, de Pékin, des silences profonds dans les forêts de Nouvelle-Zélande ; et, dans l’île du Pacifique, de la tombe de Stevenson. Il parle de sa ferme aux pacages immenses où des eucalyptus géants se dressent, isolés, arbres abandonnés, en ruines, dont l’intérieur pourri forme cheminée jusqu’au ciel ; pour fêter l’arrivée d’un ami on en sacrifie quelques-uns qu’on allume ; il parle de la sauvage étrangeté, dans la nuit vaste, de ces torches immenses. Il m’invite à l’aller retrouver là-bas. »

Lucien JUDE

NB : En France, les éditions de La Petite Maison ont réédité la plupart de ses livres à la fin des années 1980. Il y a peu, L’Écharde a reparu aux éditions Zulma (2010). En Australie, un petit club d’érudits franco-australiens entretient la mémoire de Paul Wenz, tout récemment encore en cherchant à sauver sa bibliothèque à Forbes.

* à l'origine occupants sans titre d'une terre de la couronne devenus peu à peu l'équivalent d'une sorte d'aristocratie terrienne (source P.W. dans L'Homme du soleil couchant).

Images : portrait de Paul Wenz par son frère en 1905 (source ici), Paul Wenz (à droite) et son "partner" Dobson fêtant l'achèvement de la maison de Nanima à Forbes, en 1898, avec une caisse de champagne Krug (source ici), photographie de Paul Wenz et Jack London à Sydney vers 1906 (source ici), couverture de la NRF en mars 1911 mentionnant une note à propos de Sous la croix du Sud de Wenz (source ici), portrait de Paul Wenz par Paul Laurens (source ici), couverture de L'Écharde, réédité chez Zulma en 2010 (source ici), photo de Wenz sous un gumtree de Nanima (source ici).
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mardi 14 juin 2011

Le quart d'heure fatidique

Le 14 juin 1800 est une célèbre date à double titre. À Marengo, le premier consul Bonaparte remporte une victoire capitale grâce au renfort du général Desaix tout juste revenu d’Égypte. Ce dernier, sauveur et héros, est tué à la tête de ses hommes lors des combats. Le même jour, en Égypte précisément, le général Kléber qui vient de rétablir une situation militaire et politique des plus compromises est lâchement assassiné. Ce hasard qui fait mourir en même temps et à des milliers de kilomètres deux des meilleurs soldats de la Révolution est l’une des coïncidences les plus frappantes de l’Histoire. Tâchons d’expliquer comment ces deux hommes disparurent après avoir chacun transformé une défaite en victoire.

On sait que Bonaparte abandonna deux fois son armée dans l’intérêt de son destin personnel. La seconde fois, ce fut en Russie, peu après la Bérézina, lorsqu’ayant appris le complot du général Malet il décida de rentrer dare-dare à Paris pour y rétablir l’ordre. Cette fabuleuse fuite en traîneau a été racontée par son unique témoin, le Grand-écuyer Caulaincourt, dans un récit inoubliable (De Moscou à Paris avec l’Empereur, extrait de ses mémoires publié par 10/18). La première fois eut donc lieu en Égypte, lorsque voyant son expédition condamnée à l’état de colonie, il quitta nuitamment le pays avec quelques fidèles, laissant Kléber se charger seul des troupes. Ce dernier goûta assez peu cette promotion découverte en même temps que le départ de Bonaparte qui s’était bien gardé de l’avertir de quoi que ce soit avant d’être déjà loin. C’est ainsi que le général Kléber dut bon gré mal gré prendre la direction de tout un corps expéditionnaire démoralisé et pressé de quitter ces parages exotiques tout en faisant face aux menaces anglaises et turques.

Les Anglais, disons-le, tentèrent d’user contre Kléber d’une fourberie à la hauteur de l’immense réputation que l’histoire leur reconnaît en la matière : ayant conclu avec lui la convention d’El-Arich, qui en échange de l’évacuation de toute l’Égypte permettait à l’armée de rentrer en France avec les honneurs, ils décidèrent tout simplement de ne point l’appliquer alors même que les troupes françaises venaient d’abandonner leurs places conformément à leurs engagements. On conviendra que cette interprétation toute spéciale de leurs obligations contractuelles tenait au moins de la goujaterie. L’honnête signataire de la convention qu’était l’amiral Smith eut pourtant le mérite de désapprouver ce procédé scélérat tout droit venu de Londres et en avertit illico le général Kléber. Celui-ci ayant reçu dans le même temps une lettre péremptoire de la part de l’amiral Keith, commandant de la flotte anglaise, qui exigeait ni plus ni moins sa capitulation, il entra dans une légitime colère en se voyant duper si effrontément. Décidé à ne pas se rendre malgré les irréparables pertes résultant de l’exécution de la convention par ses troupes, il fit mettre la lettre de Keith à l’ordre de l’armée et y ajouta ces fameux mots :
« Soldats, on ne répond à une telle insolence que par des victoires. Préparez-vous à combattre ! »
Ni une, ni deux, Kléber prit ses dispositions et marcha aussitôt avec 10 000 hommes pour faire face à l’armée turque que téléguidaient les Anglais (on admirera là encore le génie anglais qui non content de ne pas respecter ses engagements est assez malin pour envoyer des étrangers se battre à sa place). Les Turcs plus de trois fois supérieurs en nombre prirent une mémorable raclée à Héliopolis. Fort de ce succès, Kléber reconquit dans la foulée toute la Haute-Égypte puis reprit Le Caire en pleine révolte après 10 jours de siège. C’est sur ces nouvelles bases inespérées qu’il s’attacha alors à restaurer la paix tout en développant une colonie française. Il est probable que celle-ci aurait perduré s’il avait vécu. Mais le 14 juin 1800, au faîte de sa gloire, il fut assassiné par le misérable Soleyman, étudiant en sciences islamiques d’origine syrienne, qu’une obscure bande de coupe-jarrets avait fanatisé au nom de l’Islam. L’incapable général Menou allait par la suite se charger de brader ce que Kléber avait sauvé.

Quelques semaines auparavant, en mars 1800, le général Desaix, fidèle de Bonaparte, avait quitté l’Égypte pour reprendre du service auprès du nouveau premier consul. Cet excellent général, par ailleurs lettré, surnommé le « sultan-juste » par les populations locales, entendait précisément profiter de la convention d’El-Arich qui à cette époque semblait encore une heureuse affaire. Hélas, à peine débarqués par les Anglais à Livourne sous le fallacieux prétexte du renouvellement de leurs passeports (la fourberie anglaise n’avait décidément aucune limite), Desaix et les soldats qui l’accompagnaient comprirent enfin que cette convention n’était qu’une vaste arnaque lorsqu’ils furent arrêtés par l’amiral Keith. Ce dernier, pontifiant comme Olrik devant ses prisonniers, lança au général français qu’il recevrait le traitement d’un simple soldat en hommage à l’égalitarisme révolutionnaire. On ne doute pas qu’il dut partir d’un grand éclat de rire après ce trait machiavélique. Dans un autre genre que Kléber, Desaix aurait alors eu ces mots cinglants à l’adresse de cette canaille d’Anglais :
« Je ne vous demande rien, que de me délivrer de votre présence. Faites, si vous le voulez, donner de la paille aux blessés qui sont avec moi. J'ai traité avec les Mamelucks, les Turcs, les Arabes du grand Désert, les Éthiopiens, les noirs du Darfour, tous respectaient leur parole lorsqu'ils l'avaient donnée, et ils n'insultaient pas aux hommes dans le malheur. »
Voilà qui était dit et bien dit. Il faut croire que ces bonnes paroles ébranlèrent un tant soit peu l’amiral Keith puisqu’il finit par accorder la délivrance au général Desaix au bout d’un mois de captivité. Rentré à Toulon début mai, notre homme y attendit son ordre de mission et en repartit incontinent pour rejoindre Bonaparte qui guerroyait déjà en Italie.

Trois jours avant la bataille de Marengo, Desaix arriva au quartier général où il lui fut confié le commandement de la réserve. Bonaparte, qui ne manquait pas d’air, profita de ses retrouvailles pour faire la morale à son fidèle lieutenant en lui reprochant d’avoir signé cette damnée convention d’El-Arich, qui, appliquée ou non, était à ses yeux une scandaleuse capitulation. De la part de celui qui avait filé à l’anglaise — c’est le cas de le dire —, qui plus est sans un mot d’adieu, c’était culotté. Mais Desaix répliqua qu’il signerait à nouveau la convention si c’était à refaire, les circonstances étant telles qu’elle était apparue comme le meilleur moyen de quitter l’Égypte en bon ordre. Il est regrettable de voir qu’un mois de prison chez les Anglais ne l’avait pas dégoûté de signer quoi que ce soit avec eux…

Le 14 juin 1800, donc, Bonaparte l’envoya en reconnaissance sur la route de Gênes ignorant que les Autrichiens étaient déjà devant lui. L'ennemi, constatant sa supériorité numérique en hommes et en canons, ce qui reste le suprême secret en stratégie militaire, choisit ce moment pour attaquer. Il tomba à l’improviste sur les forces françaises qui, surprises à leur réveil, furent très vite débordées. Pour une fois, Bonaparte s’était fait berner en beauté et allait le payer par une défaite. Le cœur battant de joie, le général en chef autrichien fila immédiatement sur les arrières pour concocter un retentissant bulletin de victoire à l’adresse de toute l’Europe.

Cependant, à quelques kilomètres de là, le bruit du canon décidait le général Desaix qui, contrevenant aux ordres, fit volte-face pour revenir à marche forcée vers Marengo (un certain Grouchy n’eut pas ce réflexe salutaire 15 ans plus tard, presque jour pour jour). C’est ainsi qu’à 17 heures, ses troupes de réserve surgirent sur le champ de bataille pour le plus vif soulagement de Bonaparte qui commençait à battre piteusement en retraite. Ce renfort s’avéra en effet décisif en ne tardant pas à mettre en déroute des Autrichiens trop sûrs de leur victoire.
Le brave général Desaix n’eut hélas pas même le temps de savourer l’opportunité de son intervention puisqu’à peine arrivé sur le champ de bataille, il fut frappé d’une balle en plein cœur et mourut aussitôt. Bonaparte, à qui tout le prix de la victoire revint, n’eut que ce mot en apprenant la mort de Desaix : « Pourquoi ne m’est-il pas permis de pleurer ! ».
Le succès de Marengo entraîna la signature de la convention d’Alexandrie qui força l’Autriche à évacuer la Lombardie et le Piémont pendant que les armées françaises investissaient plusieurs places fortes sans coup férir. Inutile de préciser que cette convention signée entre gens respectables fut respectée à la lettre.

Ainsi finirent le 14 juin 1800 deux grands généraux. Peut-être faut-il voir dans ce jour la fin d’une époque. En mourant, Kléber et Desaix rejoignaient Marceau, Hoche, Championnet et bien d’autres héros de l’armée révolutionnaire. Rien d’étonnant, dès lors, que la légende ait tenté d’embellir le hasard en affirmant qu’ils succombèrent dans le même quart d’heure fatidique. Vérification faite, plusieurs heures séparèrent leurs morts.

KLÉBER

Images : gravure représentant l'assassinat de Kléber (source ici), Kléber haranguant ses troupes peu avant la bataille d'Héliopolis (source ici), planche à découper de l'Imagerie d'Épinal représentant l'assassinat de Kléber (source ici), portrait du général Desaix (source ici), image d'Épinal représentant la bataille de Marengo (source ici), gravure représentant la mort de Desaix (source ici).
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