mercredi 31 mars 2010

Ganache du mois : Weygand

Il y a parfois des signes qui ne trompent pas. Le général Maxime Weygand, dont la naissance de père et mère inconnus a toujours suscité les plus folles hypothèses — il serait le fils adultérin de l’impératrice Charlotte, épouse du malheureux empereur Maximilien mort au Mexique — et sur le compte duquel on est allé jusqu’à supposer qu’il était le descendant de Napoléon Ier, le général Weygand, donc, fut déclaré à l’état civil comme né le 21 janvier 1867 à Bruxelles, boulevard de Waterloo. Quel plus funeste signe pour un futur généralissime des armées françaises ?
Entré à Saint-Cyr comme "élève étranger", le jeune Maxime obtient la nationalité française en 1888 grâce à la reconnaissance d’un dénommé François Weygand qui, faute d’être son père, même spirituel, lui donne au moins un nom et une patrie. Ses qualités d’officier lui valent d’être nommé lieutenant-colonel de hussards peu avant le début de la Première Guerre mondiale. C’est à la suite des limogeages en série opérés par cette vieille baderne de Joffre que Maxime Weygand accède au titre de colonel, avant d’obtenir en 1916 le grade de général. Il entre alors à l’état major du général Foch dont la gloire ne doit pas faire oublier qu’il fut à ses heures un impitoyable partisan de l’offensive à tout prix, avec toutes les conséquences que cela implique. Très vite, Weygand devient l’âme damnée du futur maréchal et l’accession au poste de généralissime des armées alliées de ce dernier le propulse sur le devant de la scène, notamment lors des négociations pour l’armistice en 1918. La brusque célébrité de Weygand ne doit donc rien à son intrépide courage à la tête des troupes…
En 1920, il est envoyé en Pologne pour venir en aide à Pilsudski dont les troupes se débandent devant l’armée rouge de Trotski. Dès son arrivée, la situation se rétablit miraculeusement avec la bataille de Varsovie. Mais les Polonais ne reconnaissent pas lui devoir quoi que ce soit. Et le rôle de Weygand reste une fois de plus secondaire…
Chef d’état-major général de l’armée en 1930, notre homme succède à Joffre au club des ganaches, puisqu’il entre à l’Académie française le 11 juin 1931. Ses mises en garde contre le réarmement de l’Allemagne nazie ne doivent pas faire oublier qu’en juillet 1939, il déclare avec la tranquille assurance des grands stratèges : 
« Je crois que l’armée française a une valeur plus grande qu’à aucun moment de son histoire. Elle possède un matériel de première qualité, des fortifications de premier ordre, un moral excellent et un Haut-Commandement remarquable. Personne chez nous ne désire la guerre, mais j’affirme que si on nous oblige à gagner une nouvelle victoire, nous la gagnerons. »
Justement la guerre éclate. Et dès le 19 mai 1940, lorsque la percée allemande est devenue inéluctable, on rappelle à grands cris Weygand, 73 ans, qui se trouve alors en Syrie où il a reçu le commandement des troupes françaises du Moyen-Orient. Reconnaissons honnêtement qu’il est déjà trop tard pour réparer le désastre enclenché par son prédécesseur, le misérable Gamelin dont nous reparlerons bientôt. Mais faut-il pour autant oublier le rôle que tient Weygand dans cette historique débâcle ? Tandis que les panzers allemands font la course sur les routes de France grand ouvertes, que le Luftwaffe bombarde à qui mieux mieux les civils et les soldats en déroute, le général Weygand se charge de signer une importante instruction sur le tir au fusil contre les chars dans laquelle il explique sans rire que le fusil Lebel constitue une arme redoutable pour venir à bout d’un panzer. Une fois de plus, notre général en chef a une guerre de retard…
Début juin, après avoir pontifié une dernière fois — « La bataille de France est commencée. […] Accrochez-vous au sol. Ne regardez qu’en avant. En arrière, le commandement a pris ses dispositions pour vous soutenir » — Weygand fait pression auprès du chef du gouvernement Reynaud pour obtenir un armistice plutôt qu’une capitulation qui déshonorerait l’armée (mais comment était-ce encore possible ? se dit-on). Il est récompensé de ses efforts par un poste de ministre de la Défense nationale au gouvernement de Vichy. Puis, expédié en Algérie, il s’occupe d’y appliquer avec zèle les lois raciales, ce qui n’a finalement rien de surprenant de la part d’un ancien antidreyfusard (il signa en son temps la souscription en faveur de la veuve du colonel Henry, l’auteur du « faux patriotique »). Pour autant, cette ganache trouve le moyen de se brouiller avec tout le monde, Anglais comme Allemands, tant il s’imagine que la France a encore une importance de premier plan dans la guerre. Son cas est momentanément réglé lorsque les Allemands le font prisonnier après l’occupation de la zone libre en novembre 1942. Mais libéré en 1945, il passe devant la Haute-Cour de justice où il bénéficie  d’un non-lieu malgré les sévères accusations qui pèsent sur lui. Le général Weygand n’est pas plus inquiété pour son siège à l’Académie, alors même que Maurras ou Pétain en ont été chassés. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à relever qu’il meurt en 1965, à l’âge de 98 ans, après une paisible retraite passée à écrire ses mémoires et à défendre l’honneur du maréchal Pétain.

KLÉBER

Images : le général Weygand dans toute sa splendeur (source ici) et en peinture (source ici). Une du Figaro du 20 mai 1940 annonçant l'entrée en fonction du général Weygand à la tête des armées (source Gallica).
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samedi 27 mars 2010

Pin-up du mois : la Vénus hottentote





Mise à jour du 29 octobre 2010 
La sortie du film Vénus noire d'Abdellatif Kechiche a provoqué un regain d'affluence sur cette page. La nature des commentaires laissés montre que la plupart des visiteurs lisent malheureusement en diagonale. En effet, est-il besoin de préciser que cet article est ironique ?
Il est donc demandé à ceux qui voudraient commenter cet article de peser leurs mots avant de parler de "honte". Le lecteur vigilant notera par ailleurs que cet article fait partie de notre rubrique des Pin-up du mois qui entend donner chaque mois la courte biographie d'une femme dont la beauté a marqué l'histoire.

Née en Afrique du Sud, aux alentours de 1789, issue d'une famille d'éleveurs Khoïkhoï (surnommés Hottentots, c'est-à-dire bègues, par les colons Afrikaners), Saartje Baartmann a connu une certaine notoriété dans les premières années du XIXe siècle, avant de mourir misérablement à Paris en 1815. Exposée dans les foires aux monstres de son vivant, elle eut le douteux honneur de poursuivre sa carrière après sa mort, en étant exposée (en plusieurs morceaux) dans une vitrine du Musée de l'Homme, avant d'être finalement enterrée selon d'obscurs rites tribaux, après son retour au pays natal.
Fille d'un berger khoikhoi et d'une mère buchimane, semble-t-il (il n'existe aucun document fiable), elle devint orpheline dès sa petite enfance et se retrouva dans un "kraal" voisinant la ferme du fermier boer Peter Caesar, non loin du Cap. L'histoire veut également qu'elle ait eu un fils d'un jeune Bochiman, enfant mort peu après la naissance. 
En 1807, elle quitta le kraal de Peter Caesar pour celui du frère de ce dernier Hendryck Caesar. Ce dernier recevait alors la visite d'un hôte anglais, le chirurgien de marine, Alexander Dunlop, qui selon les qualités propres aux Anglo-saxons alliait à la fois curiosité et esprit d'entreprise. Aussi put-il persuader sans difficulté Hendryck Caesar de s'embarquer pour la verte Angleterre avec sa protégée afin de monter une entreprise d'exhibition de la jeune "Ssehoura". 
Il faut préciser à ce stade du récit que la jeune femme montrait certaines caractéristiques physiques proprement étonnantes pour des Européens : en effet sa petite taille (1m 39) comme la finesse de son buste et la gracilité de son visage contrastaient avec ses hanches généreuses, ses fesses aux proportions aussi démesurées que voluptueuses et un "tablier génital" particulièrement allongé.
Las, arrivée en Angleterre en 1810, Ssehoura, chrétiennement baptisée Saartjie (petite Sarah) Baartman, avec dispense spéciale de l'évêque de Chester, ne suscita pas l'engouement escompté dans les milieux du spectacle… Heureusement, Hendrick Ceasar (traîtreusement abandonné par Dunlop qui lui avait revendu ses parts) sut faire montre d'initiative et organisa lui-même l'exhibition de Saartjie. Après quelques annonces publicitaires dans la presse londonienne, sa "Vénus hottentote", parvint à faire affluer des foules de curieux qui dix heures par jour se pressaient autour de cette "belle négresse" en tenue traditionnelle et à l'intéressant enbompoint. Les amateurs ne se privaient pas parait-il de pincer ou piquer la croupe de Saartje. 
Le succès fut tel, que quelques sociétés morales s'en émurent (après tout l'esclavage avait été aboli depuis 1807) et diligentèrent une enquête. Interrogée par deux greffiers parlant le bas-néerlandais, Saartje Baartman déclara s'exhiber de sa propre volonté et loua encore Hendrick Caesar de sa prévenance. Ce dernier, choisit cependant de s'éloigner quelques temps de la capitale et lui fit commencer une tournée d'exhibition et de prostitution de plusieurs années en Angleterre et en Hollande.

On retrouve finalement le duo dans le Paris de la première Restauration, mais pour peu de temps seulement puisque Saartjie fut vendue à un certain Reau, ancien ci-devant comte devenu dompteur d'animaux exotiques, près du Palais-Royal. Ce fut  d'ailleurs là qu'elle contracta une maladie pulmonaire qui devait l'emporter en quelques mois. Sa mort, le 29 décembre 1815, devait être cependant l'occasion de couvrir de gloire l'esprit scientifique français. 
Elle avait déjà eu en effet, l'insigne honneur d'être réclamée en mars 1815, par le professeur Etienne Geoffroy Saint-Hilaire qui entendait "profiter de la circonstance offerte par la présence à Paris d'une femme bochimane pour donner avec plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour, les caractères distinctifs de cette race curieuse". La consultation qui eut lieu dans un amphithéâtre bondé, fut des plus profitables pour la recherche, puisque dans son rapport du 1er avril 1815, Saint-Hilaire pouvait comparer avec profit le visage de Saartjie à celui des orangs-outangs et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills.
De son côté, le zoologue Cuvier put prouver grâce à elle l'infériorité définitive de certaines races, et peu de temps après son décès il entendit la disséquer. Ce fut lui qui réalisa le moulage complet du corps et préleva squelette, cerveau et organes génitaux soigneusement conservés dans le formol. Le public parisien put contempler ces restes jusqu'en 1974, date où le moulage et le squelette furent retirés de la galerie d'anthropologie physique du Musée de l'Homme
En 1994, l'Afrique du Sud, fraichement sortie de l'Appartheid, exigea la restitution des restes, ce qui fut chose faite en 2002, après une héroïque défense de la communauté scientifique française qui ne céda que par une loi scélérate spécialement votée pour l'occasion.

Bruno FORESTIER

Images : carte postale et gravure représentant la Vénus hottentote (source ici), autre représentation de la Vénus hottentote (source ici).
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mardi 23 mars 2010

Polanski en ses oeuvres

Je suis allé voir, un peu par hasard, le dernier film de Roman Polanski, dans une salle d'un multiplex de Montparnasse. Le public, composé majoritairement de jeunes retraités dynamiques s'esclaffant gaiement aux facéties de quelques jeunes gens pleins d'esprit, qui avaient bizarrement décidé de sécher leurs cours pour aller s'enfermer au cinéma par ce premier après-midi printanier, était agréablement silencieux et concentré, se contentant de quelques rires discrets aux bons moments.
Inutile de revenir sur l'accueil triomphal de The Ghost-writer  par la critique et son récent prix au festival de Berlin, ni sur les récents déboires du réalisateur, autant d'éléments qui m'avaient tout d'abord rendu méfiant face à cette douteuse unanimité. Ceci dit, force est de reconnaître que si The Ghost-writer n'est pas le chef-d'oeuvre proclamé par d'aucuns et qu'on peut d'ores et déjà craindre un vieillissement difficile, il vaut tout de même son pesant de cacahouètes. 
L'intrigue tout d'abord : beaucoup de critiques se sont plus à insister sur l'aspect hitchcockien du film, ce qui relève soit de la flatterie soit du lieu-commun, puisque c'est tout le genre du Thriller (hollywodien s'entend) qui découle peu ou prou du cinéma d'Hitchcock... Polanski y excellant tout comme le Maître, il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'on y retrouve les influences du second chez le premier.

Remarquons plutôt au passage que le scénario tiré d'un roman de Robert Harris (qui est également le co-scénariste) a les défauts et les qualités des oeuvres de ce dernier : assez malin, avec un rythme rapide et des personnages convenus mais taillés de telle sorte qu'ils suscitent la sympathie du lecteur moyen, l'ensemble ficelé par une trame romanesque suffisamment classique pour ne pas trop surprendre le pékin moyen tout en maintenant le suspens jusqu'au bout. Du reste Robert Harris écrit ses romans comme un honnête tâcheron d'Hollywood réaliserait des blockbusters, ce qui explique sans doute que l'intrigue tout en étant assez prometteuse (allusion transparente à la politique de Tony Blair), rendra le film passablement obscur d'ici quelques années par son absence d'explications politiques claires et son moralisme attendu. 
C'est sur cette fruste et solide assise que Polanski va bâtir son film, et mâtin quel travail ! The Ghost-writer est un thriller à l'ancienne, où aucun plan n'est superflu, chaque scène s'agençant harmonieusement du début à la fin  (à l'exception d'un temps mort ou deux peut-être) ; surtout on y retrouve rapidement l'atmosphère très spéciale des grands films de Polanski - c'est-à-dire ceux d'avant Le Pianiste - faite de scène anodines où s'insèrent des petits bruits, les personnages bizarrement figés, les regards dont on ne sait s'ils sont inquiétants ou simplement vides, etc. Tous ces éléments  qui permettent à Polanski de composer dès le début un climat de malaise diffus qui finit par la crise de paranoïa habituelle et la conclusion fatalement absurde et cruelle. L'ultime scène qui clôt le film doit d'ailleurs être considérée comme la  véritable signature du cinéaste, qui sort enfin de l'académisme de ses dernières oeuvres. 

Le choix comme principal lieu de l'intrigue de l'île de Nantucket et de sa Villa-Bunker, qui semble devenir l'idéal de vie de la bourgeoisie américaine, mélange de baies vitrées ouvertes sur une mer hostile, de murs de bétons nus, d'espace et de minimalisme, est des plus judicieux pour développer cette impression d'étouffement et de piège. De ce point de vue, on pourrait presque voir The Ghost-writer comme une variation sur les Dix petits nègres d'Agatha Christie
L'influence agatha-christique est d'ailleurs renforcée par un habile casting, notamment avec Olivia Williams qui si elle est peu connue au cinéma se montre très convaincante dans son rôle quand Pierce Brosnan s'acharne à se rendre antipathique sans y parvenir tout à fait. Mais c'est surtout Ewan McGregor qu'on aurait pu croire définitivement perdu pour la Cause, qui renoue brillamment avec le genre dans lequel il avait été découvert (Shallow Grave, 1994). 

Bruno FORESTIER

Images : affiche et photos du film (source Allociné).
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dimanche 21 mars 2010

Gide et la tribu des Ouled Naïl

A lire les titres des ouvrages du méconnu Pierre Gordon, on ne s’étonne pas que celui-ci ait choisi l’anonymat. En 1946, il publie L’initiation sexuelle et l’élévation religieuse et, en 1950, ne reculant pas devant le "chiendent des préjugés", il s’attaque à La nuit des noces.
Un mot d’abord sur ce mystérieux auteur : Gordon est un nom de plume et l’on a beau questionner Google à son sujet, on ne trouve pas de réponse, si ce n’est qu’il serait mort en 1951 (d’après son éditeur), qu’il avait des connections dans les milieux catholiques et qu’il fut un élève de Durkheim. D’aucuns pensent qu’il s’agirait d’un homme que ses fonctions interdisaient d’écrire sur ce genre de sujets.
Rien que d’honorable pourtant et la préface de La nuit des noces met en garde le lecteur : ceci est un ouvrage à vocation scientifique et l’on scrutera avec méthode les vieilles coutumes nuptiales des sauvages pour s’apercevoir de leur extraordinaire élévation, à l’opposé des brutalités de l’instinct qu’on leur prête.  Gordon recense dans cette optique toutes les pratiques liées à la défloration et d’une manière générale à la sexualité autour du mariage.

Mais quel est donc le rapport avec Gide ? Nous ne reviendrons pas ici sur son supposé mariage blanc avec Madeleine, dont Gordon n’aurait pas grand-chose à dire. Mais, lecteurs attentifs, nous nous étions quelque peu arrêtés, dans Si le grain ne meurt, devant la description de la tribu des Ouled Naïl qui : "exporte, à peine nubiles, ses filles, qui, quelques années plus tard, reviennent au pays avec la dot qui leur permet d’acheter un époux". En clair, cette tribu du Maghreb prostitue ses jeunes filles. Étrange et fascinante coutume relatée par Gide qui fait ainsi la connaissance de la belle Mériem : "de peau ambrée, de chair ferme, de formes pleines, mais aussi presque enfantines encore, car elle avait à peine un peu plus de seize ans". Nous ne ferons pas non plus ici de débat sur Gide et la philopédie, cependant, il est intéressant de noter que la jeune fille est remplie de talents et trouve à apaiser l’écrivain : "Mériem m’avait, d’emblée, fait plus de bien que tous les révulsifs du docteur". Le voilà un peu tranquille vis-à-vis de ses troubles nerveux, mais le destin de Mériem et des jeunes femmes de sa tribu ne cesse pas de nous questionner. Comment ne pas voir dans cette pratique de prostitution une grossière et avilissante coutume mercantile ?

M. Gordon aborde cette question dans son chapitre intitulé "Les différentes modalités, et l’extension de la prostitution prénuptiale". Là, surprise, on retrouve les Ouled Naïl. L’auteur les cite en exemple afin de montrer comment le monde moderne peut lourdement se tromper en faisant du seul motif économique la raison de la prostitution de ces jeunes femmes. Et Gordon d’ajouter qu’il est ridicule d’imaginer qu’on les force soudainement à se prostituer pour gagner leur dot ; il faut tenir compte de l’évolution sociologique ! En effet, à l’origine de la rémunération, il y a l’offrande. La perte de la virginité dans les temps anciens (Gordon remonte jusqu’à l’antique) était alors rattachée très fortement au domaine du divin. C’est traditionnellement le déflorateur, dans le cadre d’une cérémonie rituelle, qui recevait un don pour son acte, mais la femme ainsi sacralisée recevait par la suite des offrandes de la part des hommes avec qui elle entrait en relation avant son mariage. C’est donc une déformation de ce principe religieux qui est à l’origine de la prostitution des Ouled Naïl dont notre prix Nobel de littérature 1947 a profité. Mais en le lisant, on observe à quel point il lui fut indifférent de savoir d’où provenait cette coutume, tant son désir était ailleurs : "et si, dans cette nuit auprès de Mériem, je fus vaillant, c’est que, fermant les yeux, j’imaginais serrer dans mes bras Mohammed".
Il ne faut donc pas s’y tromper : selon Gordon toutes les interprétations frustes des pratiques anciennes sont à mettre sur le compte d’une "décadence progressive de l’intelligence humaine". D’ailleurs le livre recèle nombre d’exemples plus exotiques les uns que les autres avec notamment un chapitre intitulé "Coutumes aberrantes relatives à la défloration" que la décence, malgré sa haute valeur scientifique, nous interdit de reproduire ici.
Soyons donc reconnaissants à Gordon d’avoir, par son érudition, pu éclairer un peu la lecture d’André Gide.

GV

Images : couverture de La nuit des noces de Pierre Gordon aux éditions Dervy, 1950, 123 pages (source GV), André Gide en 1893 à Biskra (source ici), Fathma, de la tribu des Ouled Naïl, vers 1910 (source ici).
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jeudi 18 mars 2010

Mort d'Alex Chilton



Le chanteur américain Alex Chilton est mort hier, mercredi 17 mars. Célèbre dans le monde entier dès l'âge de 16 ans grâce au tube "The Letter" avec le groupe The Box Tops (1967), il restera surtout dans les mémoires pour son second groupe, Big Star, qui, malgré le succès commercial mitigé de ses trois albums, exerça une influence considérable sur le rock.

Vidéo : "September Gurls", sur l'album Radio City (1974), source youtube.
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lundi 15 mars 2010

Les DVD perdus de Costa-Gavras

M. Costa-Gavras est aujourd’hui suffisamment connu pour que l’on s’épargne de le présenter au lecteur. La sortie de ses films s’accompagne d’un tapage médiatique à la hauteur de sa célébrité et la rareté de ceux-ci n’en augmente que plus les éloges. La dimension politique que possèdent la plupart de ses réalisations provoque par ailleurs des polémiques aux effets commerciaux certains, comme ce fut le cas pour Amen ou Eden à l’ouest, deux de ses plus récentes œuvres. C’est justement à l’occasion des comptes-rendus laudatifs qui se succèdent pendant ces glorieuses périodes de promotion que l’élite journalistique française, toujours prodigue en circonlocutions, ne manque pas d’étaler ses références en désignant M. Costa-Gavras comme  "l’auteur de Z" ou encore "le réalisateur de L’Aveu".
Z et L’Aveu, deux films essentiels qui renvoient aux débuts de la carrière de Costa-Gavras, deux films considérés comme des classiques du cinéma politique, mais aussi deux films introuvables aujourd’hui…

Z (1968) dénonce le régime des colonels qui s’installa par la force en Grèce au milieu des années 60. Porté par Yves Montand et surtout Jean-Louis Trintignant, ce fut un considérable succès (oscar du meilleur film étranger et oscar du meilleur montage). Le critique François Vinneuil, plus connu sous le doux nom de Lucien Rebatet, s’insurgea à l’époque contre cette œuvre de grossière propagande antifasciste, écrivant que "c’est lorsque nos cinéastes oseront traiter [des dérives marxistes] que nous pourrons croire à leur sincérité". Aussitôt ce défi lancé et Costa-Gavras sortait L’Aveu (1970) qui relate avec talent les procès de Prague de 1952 au cours desquels le Parti communiste obtint les complets aveux d’une ribambelle d’anciens dirigeants que plusieurs mois de préparation physique dans les geôles de la police stalinienne avaient rendu admirables de conviction. Le même Vinneuil, enfin ému par la sincérité de Costa-Gavras, salua "la puissance d’impact" de ce film qu’il n’hésita pas à porter au pinacle en le comparant aux piètres tentatives du malheureux Godard (Vent d’Est), "une pauvre cervelle gâchant ses dons par ses prétentions politiques et intellectuelles". De fait, avec Montand et Signoret en vedettes, L’Aveu fut un nouveau triomphe, dépassant sans doute Z en notoriété. Deux aussi belles réussites devaient convaincre Costa-Gavras de poursuivre dans le genre politique, ce qu’il ne manqua pas de faire.

État de siège, sorti en 1973, transporte le spectateur dans un pays d’Amérique du sud aux mains d’une junte militaire. Yves Montand, à nouveau acteur principal, y endosse cette fois-ci un mauvais rôle en la personne de Philip Michael Santore, membre de la CIA chargé de  "mystérieuses" activités auprès de la junte, qu’une guérilla d’extrême gauche enlève afin de révéler ses agissements. Ce film, bien que moins fort que les deux précédents, notamment par son intrigue, assez prévisible, obtint le prix Louis Delluc et un relatif succès d’estime. Il est aujourd’hui considéré comme le troisième volet de ce que certains appellent à tort la "trilogie politique" de Costa-Gavras. En effet, il faudrait plutôt parler de tétralogie car État de siège fut aussitôt suivi de Section spéciale (1975) qui appartient incontestablement au même cycle que les trois films précédents. Ce dernier raconte la mise en place par le gouvernement de Vichy d’une section spéciale près la cour d’appel chargée de juger sans recours les "terroristes", i.e. les résistants ou les otages communistes et juifs. Née après l’attentat du métro Barbès (août 1941), on sait que cette mascarade juridique fut organisée pour complaire à l’occupant allemand qui se trouva heureusement surpris par tant d’empressement. La principale vertu de ce film est de montrer avec précision les tergiversations qui s’emparèrent des magistrats et fonctionnaires chargés de créer la section spéciale au mépris de toutes les règles de droit. Contrairement à beaucoup trop de films sur l’Occupation, celui-ci a le grand mérite de ne pas céder aux lourds clichés manichéens en vigueur. C’est pourquoi Section spéciale est peut-être aussi abouti que Z ou L’Aveu dans sa mise en scène de la mécanique judiciaire, point commun autour duquel tous ces films s’articulent.

Un autre point commun peut cependant être trouvé entre ces quatre grands films : aucun n’est aujourd’hui disponible en DVD. Certes, les deux plus connus, Z et L’Aveu, ont eu droit aux honneurs de la numérisation, respectivement en 2001 et 2004. Mais depuis ces dates, l’absence de toute réédition des DVD, en dépit de leur épuisement dans le commerce, a entraîné une augmentation délirante des prix sur le marché de l’occasion : Z se négocie à près de 50 euros et L’Aveu à 30 euros. Quant à État de siège et Section spéciale, ces deux films sont en passe d’entrer au paradis des raretés n’ayant jamais eu droit à la moindre version DVD alors même qu’ils étaient autrefois disponibles en cassette VHS. Il suffit de voir quelques-unes des recherches menées par nombre d’internautes pour mesurer les pertes économiques que ces curieux oublis entraînent. Même s’il est évident que tous les films ne peuvent pas exister en DVD, il est quand même devenu extrêmement rare que des œuvres aussi célèbres n’y aient pas droit ou plus droit.
Faut-il croire que M. Costa-Gavras se désintéresse de ses œuvres de jeunesse ? Cela paraît douteux si l’on songe à la gloire qu’il leur doit… Mais il n’est pas moins étrange de constater que "le réalisateur de Z et de L’Aveu" est l’actuel président de la Cinémathèque française dont la mission est de "conserver et restaurer les films", ce qu’une numérisation donne évidemment l’occasion de faire. Lorsque l’on interroge les libraires de ladite Cinémathèque, ceux-ci sont les premiers à convenir de l’incongruité de cette absence dont ils n’ont pas la moindre explication. Pour faire bonne figure, ils assurent que la remarque sera transmise au patron et père de ces œuvres introuvables, mais on doute fort que ces bonnes intentions n'engendrent le plus petit effet. En attendant, il faut admettre que cette situation donne le meilleur des prétextes à la seule solution restante pour voir ces films au moindre prix : le téléchargement illégal.

Lucien JUDE

Images : affiches de Z, L’Aveu, État de siège et Section spéciale.
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samedi 13 mars 2010

Daeninckx vs Brigneau sur le Ring

L’affaire Brigneau qui a récemment défrayé la chronique mériterait un article à part entière. Cependant, la vie trépidante des auteurs de ce blog a empêché de livrer à temps notre point de vue sur la question. Fort heureusement, nous pouvons renvoyer notre lectorat vers le très bon article d’Alain Jamot sur le Ring qui résume assez bien la position qui est la nôtre. Si l’affaire devait avoir quelques suites, nous ne manquerons pas d’y revenir avec plus d’empressement.

La rédaction

Image : couverture du livre qui fait polémique suite à sa réédition par les éditions de La Baleine (source ici).
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mercredi 10 mars 2010

Notes de lecture : Chevallier, Cami, Une femme à Berlin

La Peur
Censé être un roman, ce livre de 1931 est le récit fidèle de la Grande guerre telle que la vécut pendant ses cinq années son auteur, Gabriel Chevallier. Déjà dans l’excellent Clochemerle qui le rendit célèbre, on entrevoyait cet antimilitarisme qui fait l’originalité du récit. La Peur se distingue en effet des autres romans sur la Première Guerre Mondiale par son refus complet de l’exaltation du courage ou de l’héroïsme, ainsi que l’indique sans détour le titre. Chevallier y raconte ce que fut la guerre des sans grades, des milliers de soldats qui n’avaient rien demandé et ne savaient même pas ce qu’ils faisaient là. Loin des rodomontades nationalistes à la Henry Bordeaux ou de la fascination guerrière à la Ernst Jünger, il se montre, lui et ses camarades, tremblant de peur sous le bombardement, cherchant par tous les moyens à couper au combat, se défilant devant les missions périlleuses…. C’est la réalité du front déjà décrite par le tonnelier Louis Barthas dans ses magnifiques Carnets de guerre publiés après sa mort. On y retrouve d’ailleurs beaucoup de points communs, notamment le même esprit antimilitariste, la même haine des galonnés imbéciles et incapables, mais aussi le même respect pour les courageux, les "convaincus", et les rares héros. Il n’empêche que cette apologie de l’embusqué (l’embusqué tout relatif d’ailleurs, car les soldats décrits sont en première ligne) fut en son temps une œuvre aussi novatrice que provocatrice en même temps qu’un courageux témoignage sur l’enfer de la Grande guerre.
K.

Une femme à Berlin
Dans un style clair et concis, parfois plein d’humour, une jeune femme anonyme raconte le Berlin assiégé et dévasté de 1945 et l'arrivée des Russes dans la capitale qui se délite. Évitant le pathos, elle décrit les privations et les violences. Au coeur de ce livre, l'effraction, la porosité des limites, la ville comme une plaie ouverte où tout s'infiltre... Les rues sont éventrées, les immeubles béants, les appartements sans fenêtres, les portes cèdent à la moindre sollicitation : Berlin ville ouverte. Il y a, dans le même temps, la violation des domiciles et des corps de presque toutes les femmes. Dans une ville où les hommes se cachent, les soldats russes boivent l'alcool sciemment laissé par les Allemands afin de désorganiser l'armée rouge ; il n'en résulte que de la brutalité. Les femmes doivent prendre des protecteurs dans les rangs des officiers ennemis pour survivre et éviter les viols collectifs. Ainsi se pose la question de la prostitution, mais ce ne sont plus les mêmes valeurs, ça n'a plus d'importance, et, comme une rengaine dans les files d'attente, la question "combien de fois ?" finit par devenir une plaisanterie. Dans ce monde sans limites, le temps ne compte pas, il n'y a plus d'obligations, l'anarchie parfois présente ne s'installe pas. Un très bon livre sur la guerre du point de vue des civils.
GV

Les Nuits de la Tour de Nesle
Le nom de Cami ne dit probablement rien à personne aujourd’hui. Il fut pourtant considéré par Charlie Chaplin comme le "plus grand humoriste in the world", compliment flatteur s’il en fut. Ce titre de gloire n’en est pas moins bien exagéré comme le démontre la lecture du recueil qui prend le nom de son premier conte ("Les nuits de la Tour de Nesle"), l’un des rares qui vaille vraiment quelque chose au milieu d’une formidable collection de ratés. Rédigés à la galopade sous forme de courtes scènes (avec didascalies dans tous les coins), ces historiettes reposent pour la plupart sur l’absurde. Hélas ! C’est l’absurde fin de siècle, celui des Allais et Courteline, qui, s’il marche parfois, finit très vite par lasser… (ah ! les désopilantes aventures de la famille Rikiki…). Comme nous sommes bons princes, reconnaissons une trouvaille osée à défaut d’être drôle ("Le désenglandé de la forêt vierge") et un énième pastiche de Sherlock Holmes, astucieusement rebaptisé Loufock Holmès, plutôt réussi ("Le plafond noir"). Pour couronner le tout, le mythique baron de Crac est aussi de la partie, réexploité par Cami pour des aventures où cette fois-ci l’humour rappelle les impayables récits d’un académicien en goguette.
LJ

Images : La Peur de Gabriel Chevallier, réédition au Dilettante, 2008, 349 p. (photo LJ de l'édition livre de poche épuisée), Une femme à Berlin, anonyme, éditions folio, 391 p. (source ici), Les Nuits de la Tour de Nesles de Cami, éditions 10-18, 1966, 187 p. (source ici).
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