dimanche 27 février 2011

Ganache du mois : Carteaux

Toutes les ganaches se ressemblent-elles ? Une nullité professionnelle établie, un dédain complet des vies humaines, bien souvent une belle moustache et un amour immodéré des décorations unissent profondément cette fraternité aux ramifications internationales. On serait donc tenté de répondre oui. L’armée française fournit pourtant quelques cas d’officiers qui au fond ne furent pas de mauvais bougres mais se trouvèrent chargés de responsabilités dépassant leur faible entendement. Si l’on veut bien oublier quelques instants les incalculables conséquences que leur impéritie aura causées, il en est même qui sous leur qualité de ganache dissimulent de « braves gens ». Le général Jean-François Carteaux (1751-1813) illustrera notre propos.
Né en 1751 en Franche-Comté, fils de militaire, Carteaux s’orienta vers une carrière artistique après avoir été remarqué par le peintre Doyen dont il devint l’élève. Sans pour autant abandonner les armes, son autre passion, il acquit une certaine réputation dans son métier, allant, selon la légende, jusqu’à faire le portrait du roi Frédéric II de Prusse. Lui-même se définissait comme « peintre de bataille » et de fait il commit essentiellement des tableaux d’histoire militaire.
Au commencement de la Révolution, notre homme avait déjà près de 40 ans. Il se rallia volontiers aux nouveaux principes et, tout en servant dans la garde nationale, se chargea de réaliser le portrait équestre de Louis XVI (cette œuvre des plus médiocres, exécutée en 1791, lui valut quelques ennuis sous la Terreur…).

La promotion militaire de Carteaux mérite quant à elle d’être contée tant elle est un bel exemple de la magie révolutionnaire… Lors de la journée du 10 août 1792, Carteaux se fit remarquer par son zèle patriotique et en fut aussitôt récompensé en obtenant le grade d’adjudant-général. On ne sait trop pourquoi, la Convention jugea utile de le remercier encore en l'élevant au grade de commandant et c’est ainsi qu’à force de promotions le brave Carteaux, peintre de profession, se retrouva en toute simplicité à la tête de l’armée chargée de combattre les insurgés du Midi au début de l’été 1793. Ces derniers s’étant débandés à peine les premiers coups de feu échangés, il gagna sans difficulté ses galons de général et entra le 25 août dans Marseille auréolé d’un prestige pour ainsi dire inexistant. Reprendre la ville de Toulon qui venait de se livrer aux Anglais devint dès lors sa nouvelle mission. Comme il fallait s’y attendre, cette mission d’une toute autre dimension permit enfin de reconnaître la totale incapacité du général Carteaux…


Les exemples fourmillent sur les bévues que commit l’infortuné général durant toute la période où il commanda en chef devant Toulon. Qu’il nous suffise de reproduire ci-dessous le plus connu de tous dont fut témoin le jeune Bonaparte tout juste arrivé pour commander l’artillerie du siège. Le maréchal Marmont qui était alors soldat dans cette armée en fit la relation suivante dans ses mémoires :
« [Bonaparte fut mené] chez Carteaux, qui l'engagea à rester à dîner, en lui annonçant, pour la soirée, le spectacle de l'incendie de l'escadre anglaise. Après le dîner, Carteaux et les représentants, échauffés par les fumées du vin et pleins de jactance, se rendirent en pompe à une batterie dont on attendait ces brillants résultats. Bonaparte, en homme du métier, sut à quoi s'en tenir en arrivant : mais, quelles que fussent ses idées sur la stupidité du général, il lui aurait été impossible de deviner jusqu'à quel point elle avait pu aller. Cette batterie, composée de deux pièces de vingt-quatre, était située à huit cents toises de la mer, et le gril pour rougir les boulets avait probablement été pris dans quelque cuisine.
Bonaparte annonça que les boulets n'iraient pas à la mer, et démontra que, dans aucun cas, il n'y avait le moindre rapport entre le but et les moyens. Quatre coups de canon suffirent pour faire comprendre combien étaient ridicules les préparatifs faits ; on rentra l'oreille basse à Ollioule, et l'on crut avec raison que le mieux était de retenir le capitaine Bonaparte et de s'en rapporter désormais à lui. »
Malgré la bonne opinion qu’il avait de Bonaparte, Carteaux rechignait quelque peu à appliquer les conseils de son jeune subordonné et en les exécutant de travers prolongeait chaque fois plus la durée du siège. Un ordre fantaisiste qu’il prit après plusieurs jours de savantes méditations et dont copie fut envoyée à Paris finit par alarmer le Comité de salut public qui décida de le révoquer manu militari.

C’est ainsi qu’après une courte période d’inactivité, le général Carteaux ne tarda pas à atterrir dans les geôles révolutionnaires pour y répondre de ses pittoresques décisions prises devant Toulon. Il se fendit alors d’un remarquable mémoire en défense signé « Carteaux, fils de soldat » dans lequel, à défaut de pouvoir signaler beaucoup d’exploits militaires, il rappela avec raison ses qualités de patriote. D’une belle sincérité, il conclut son œuvre par ce trop oublié proverbe : « qui sort de la poule, ne peut s’empêcher de gratter ». L’histoire ne dit pas si cette sentence fit mouche et déstabilisa les implacables juges du Tribunal révolutionnaire, mais le fait est que son cas ne fut pas jugé et qu’il put ainsi se sauver.
Libéré après Thermidor, Carteaux refit une apparition en tant que général sous les ordres de Hoche en Normandie puis lors du 13 Vendémiaire où il défendit la Convention ainsi que Bonaparte. Au cours de ces combats, sa colonne fut bien évidemment mise en échec et même repoussée et c’est grâce à son ancien subordonné que la victoire fut une fois de plus acquise…
Napoléon jugeait Carteaux parfaitement incapable mais lui gardait sa sympathie. Il dit de lui en des termes plus diplomatiques qu’il n’était « pas un méchant homme mais un officier très médiocre ». C’est pourquoi, sans aucun ressentiment pour la période durant laquelle il eut à lui obéir en dépit du bon sens, il le nomma en 1801 administrateur de la Loterie nationale, poste inventé pour une ganache s’il en fut jamais. Toujours bon envers cet incapable général, l’empereur alla même jusqu’à le charger de l’administration de la principauté de Piombino en 1804 avant de lui verser dès l’année suivante une pension de retraite sur sa cassette personnelle. C’est donc dans la plus parfaite quiétude que le brave général Carteaux mourut à Paris en 1813, ayant eu l’insigne privilège de commander au futur Napoléon Ier lors de sa plus mémorable représentation de ganache.


KLÉBER

Images : portrait du général Carteaux (source ici), tableau équestre de Louis XVI par Carteaux (source ici), gravure représentant la flotte anglo-espagnole lors du siège de Toulon (source ici), mémoire justificatif de Carteaux (source gallica).
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mercredi 9 février 2011

Le roman-feuilleton selon Dumas

Nimier, avec son arrogance critique, son chat sur l’épaule et sa belle voiture, s’est essayé dans un article au pastiche de Dumas et s’est moqué gentiment d’un genre qui a fait les belles heures de notre jeunesse : le roman-feuilleton.
Il n’en fallait pas plus pour nous donner envie de replonger dans Le Comte de Monte-Cristo, d’autant que des circonstances exceptionnelles de paresse d’esprit et de temps nous en donnaient la possibilité.
Nous avons relu Dumas, car, comme aurait pu dire de Gaulle avec ce style tautologique qui le caractérise : « l’aventure c’est l’aventure » et ça ne demande pas trop de réflexion.
Mais hélas, de longues années de lecture et surtout de longues heures passées devant les séries télé américaines, ont rendu notre sens critique aigu et presque aussi prétentieux que Nimier ; impossible de revenir aux enchantements simples de notre prime adolescence.
On est donc plus sensible aux passages trop longs et inutiles à l’intrigue, aux transitions poussives, aux pirouettes, etc. Bref, aux fainéantises du nègre, comme dirait Monsieur Guerlain. L’enchaînement des chapitres est parfois maladroit, mais on se laisse mener aussi sûrement qu’un ministre d’État à bord d’un jet privé, confiant dans la virtuosité dramatique de l’auteur, car s’il a bien du mal à peindre en finesse les émotions, Dumas n’en demeure pas moins maître dans l’art de faire "monter la sauce".

On ne prête pas trop d’attention aux grosses ficelles feuilletonesques puisque c’est la loi du genre, mais l’on s’étonne, quelques jours plus tard, notre paresse intellectuelle n’ayant pas trouvé de limite, de les lire sous la plume d’un auteur comme Gobineau dans ses Pléiades, dont le thème se veut bien trop sérieux pour que l’on puisse songer à une galéjade.
Il n’en reste pas moins que le style de Dumas, notamment ses dialogues délicieusement surannés de salonard, s’imprime dans l’esprit du lecteur qui, hélas, essayant par amour du vouvoiement et une certaine préciosité de les reproduire avec quelques connaissances, se heurte aux impératifs de productivité verbale du monde moderne qui va décidément trop vite.

Sur le fond, les méchants sont punis : morts, fous ou pire encore ruinés et tout ça finit très bien. Notre héros richissime a calmé sa grande colère et s’abandonne à croire de nouveau en l’amour avec sa jeune esclave grecque. Distrayant.

GV

Images : couverture du tome 1 du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas dans la collection Nelson (source ici), couverture des Pléiades de Gobineau dans la collection livre de poche (source ici).
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