mercredi 14 mars 2012

La ligne de force

 Les Septembriseurs lancent un nouveau blog, la ligne de force, où ils comptent bien déployer leur énergie si justement célèbre. Dédié à des billets courts allant de la simple citation à l’article, de la vidéo à l’illustration, ce blog devrait permettre de mieux exprimer nos idées et nos découvertes quotidiennes qui, on s’en doute, seront légion. Pour autant, Les Septembriseurs ne disparaissent pas ! Sur ce blog, vous continuerez à trouver des articles plus détaillés, disons-le savants et intelligents, et, lorsque l’occasion s’en présentera, les éternelles et immortelles ganaches et pin-up du mois. Comme l’on voit, il y a de quoi être réjoui. Nous le sommes !


Les Septembriseurs

Image : couverture de La ligne de force de Pierre Herbart (source ici).
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lundi 12 mars 2012

Le signe de détresse maçonnique


On sait que les francs-maçons inspirent toutes sortes de légendes et de rumeurs ; les malheureux n’en finissent plus d’occuper les unes du Point et de L’Express, hebdomadaires fort préoccupés de comprendre les opaques mystères qu’on leur cache. Il faut reconnaître que le folklore entourant les rites et symboles de la franc-maçonnerie n’a pas peu contribué à la fascination/répulsion que porte sur elle le grand public. À y bien regarder, quelques-uns de ces rites sont même à peine croyables tant le grotesque y atteint des proportions délirantes… Il en va ainsi du fameux signe de détresse maçonnique.

Les francs-maçons utilisent (utilisaient ?) différents signes afin notamment de se reconnaître entre eux. La réglementation est assez compliquée suivant les grades et les loges mais toujours est-il qu’un code existe qui comprend entre autres le signe d’horreur (sic) et le signe de détresse, ce dernier ne pouvant a priori être utilisé que par les grands maîtres et dans un cas d’extrême nécessité. Le brave sapeur Camember, rappelons-le, possédait quelques rudiments dudit code.

D’après la légende, le signe de détresse eut une réelle utilité en permettant à de nombreux francs-maçons de sauver leurs vies dans des situations désespérées. Ainsi lors d’une bataille, le frère accomplissant le signe pouvait être aussitôt reconnu par un ennemi franc-maçon et par la même occasion voir sa vie épargnée. On prétend que ce fut souvent le cas lors des guerres napoléoniennes. Plus curieusement, un maçon tombé entre les mains d’Indiens d’Amérique aurait eu la vie sauve en faisant le signe car il fut ainsi reconnu du chef de la tribu qui, miracle ! avait été élevé en Angleterre et judicieusement initié. En bref, les maçons étant partout, il ne coûte rien d’essayer. L’histoire ne dit pas hélas combien de malheureux périrent après avoir tenté le fameux signe.

Mais ce signe de détresse, en quoi consiste-t-il au juste ? La réponse n’est pas aisée, car, comme toujours, les pratiques divergent suivant les loges. En France, du moins, il est souvent défini comme suit : porter la jambe droite derrière la gauche, incliner le buste en arrière ; placer les mains, doigts entrelacés, paumes vers le ciel au-dessus de la tête et, dans cette position, s’écrier : « À moi les enfants de la veuve ! ». Simple comme bonjour, surtout dans un cas de danger extrême !

L’exemple le plus frappant d’utilisation de ce signe original se devait d’être français. La franc-maçonnerie était bien représentée parmi les parlementaires de la IIIe République, notamment conservateurs. Lorsque le 23 juin 1899, M. Waldeck-Rousseau présenta à la Chambre son gouvernement de défense républicaine, une hostilité générale se manifesta dans l’hémicycle. Il faut dire que le gouvernement comprenait pour la première fois un socialiste, M. Millerand (qui du reste allait bientôt prendre goût au pouvoir), et un certain général Gallifet, marquis aux talons rouges devenu « républicain » anticlérical. Bref, tout portait à croire que ce curieux gouvernement d’union ne serait pas accepté lorsque soudain, surgissant de nulle part, le député franc-maçon Henri Brisson demanda la parole. Il s’avança à la tribune et exhorta les députés à voter la confiance au gouvernement Waldeck-Rousseau. Terminant son discours, on affirme qu’il fit alors le signe de détresse maçonnique à plusieurs reprises, permettant de rallier aussitôt tous les francs-maçons de la Chambre. Comme par hasard, le gouvernement fut immédiatement investi. Voici ce qu’en dit avec effroi le journal La Croix quelques jours après (29 juin 1899) :

LE SIGNE DE DÉTRESSE
Tout le monde, à la Chambre, a été frappé du revirement subit que l’intervention de M. Brisson a produit dans les dispositions d’un grand nombre de députés radicaux et socialistes.
Que s’est-il donc passé ?
M. Brisson a fait, à plusieurs reprises, le signe de détresse maçonnique, et tous les députés maçons ont obéi.
Voici, d’ailleurs, la déclaration qu’un député républicain, très estimé dans son parti, a fait à un rédacteur de l’Événement :
« Au lendemain du jour où parut la liste du Cabinet Waldeck-Gallifet-Millerand, il ne se serait pas trouvé cent voix à la Chambre des députés pour lui accorder une confiance quelconque.
Les membres de l’extrême-gauche, radicaux-socialistes, socialistes purs et révolutionnaires, étaient les plus exaltés contre l’étrange mixture qui représentait le gouvernement.
Cette impression se prolongea du commencement de la séance jusqu’à la dernière demi-heure des débats. M. Mirman, dans son éloquent discours, avait écrasé le ministère et M. Waldeck-Rousseau n’avait pu prendre le dessus avec sa harangue glacée de pasteur anglican.
Mais voici que le parti radical donne à fond. M. Brisson monte à la tribune.
Alors un spectacle curieux est offert à ceux qui savent le comprendre. M. Brisson adjure avec véhémence ses collègues radicaux de soutenir le Cabinet et cinq fois (on les a comptées) il fait le signal d’appel maçonnique qui n’est permis qu’aux grands chefs et dans les occasions les plus graves.
L’effet est produit : tous les radicaux dissidents se rallient. Pelletan, Decker-David, Zévnès, qui s’étaient montrés, quelques heures auparavant, si ardents contre le Cabinet, déclarent qu’ils s’abstiendront ; les autres radicaux et socialistes accordent leur confiance. »

Terminons en signalant qu’il est beaucoup plus aisé d’accomplir le signe de détresse maçonnique de nuit car, faute de pouvoir rien distinguer, on se contentera de crier : « À moi les enfants de la veuve ! ».

Lucien JUDE

Images : signe de détresse maçonnique suivant l'un des rites (source ici), le sapeur Camember en train d'expliquer le signe franc-maçon pour entrer gratis au théâtre, représentation d'un maçon sauvé par le signe lors d'une bataille au XIXe siècle (source ici), extrait de La Croix relatant l'épisode du signe de détresse le 29 juin 1899 (source gallica).
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