M. Costa-Gavras est aujourd’hui suffisamment connu pour que l’on
s’épargne de le présenter au lecteur. La sortie de ses films s’accompagne d’un
tapage médiatique à la hauteur de sa célébrité et la rareté de ceux-ci n’en
augmente que plus les éloges. La dimension politique que possèdent la plupart
de ses réalisations provoque par ailleurs des polémiques aux effets commerciaux
certains, comme ce fut le cas pour Amen ou Eden à l’ouest, deux de ses plus récentes
œuvres. C’est justement à l’occasion des comptes-rendus laudatifs qui se
succèdent pendant ces glorieuses périodes de promotion que l’élite
journalistique française, toujours prodigue en circonlocutions, ne manque pas
d’étaler ses références en désignant M. Costa-Gavras comme "l’auteur
de Z" ou encore "le réalisateur de L’Aveu".
Z et L’Aveu, deux films
essentiels qui renvoient aux débuts de la carrière de Costa-Gavras, deux films
considérés comme des classiques du cinéma politique, mais aussi deux films
introuvables aujourd’hui…
Z (1968) dénonce le régime des colonels qui s’installa par la force en
Grèce au milieu des années 60. Porté par Yves Montand et surtout Jean-Louis
Trintignant, ce fut un considérable succès
(oscar du meilleur film étranger
et oscar du meilleur montage). Le critique François Vinneuil, plus connu sous le doux nom de Lucien
Rebatet, s’insurgea à l’époque contre
cette œuvre de grossière propagande antifasciste, écrivant que "c’est
lorsque nos cinéastes oseront traiter [des dérives marxistes] que nous pourrons
croire à leur sincérité". Aussitôt ce défi lancé et Costa-Gavras sortait L’Aveu
(1970) qui relate avec talent les procès de Prague de 1952 au cours desquels le Parti
communiste obtint les complets aveux d’une
ribambelle d’anciens dirigeants que plusieurs mois de préparation physique dans
les geôles de la police stalinienne avaient rendu admirables de conviction. Le
même Vinneuil, enfin ému par la sincérité de Costa-Gavras, salua "la
puissance d’impact" de ce film qu’il n’hésita pas à porter au pinacle en
le comparant aux piètres tentatives du malheureux Godard (Vent d’Est), "une pauvre cervelle
gâchant ses dons par ses prétentions politiques et intellectuelles". De
fait, avec Montand et Signoret
en vedettes, L’Aveu fut un nouveau triomphe, dépassant sans doute
Z en notoriété. Deux aussi belles
réussites devaient convaincre Costa-Gavras de poursuivre dans le genre
politique, ce qu’il ne manqua pas de faire.
État de siège, sorti en 1973, transporte le
spectateur dans un pays d’Amérique du sud aux mains d’une junte militaire. Yves
Montand, à nouveau acteur principal, y endosse cette fois-ci un mauvais rôle en
la personne de Philip Michael Santore, membre de la CIA
chargé de "mystérieuses" activités auprès de la junte, qu’une
guérilla d’extrême gauche enlève afin de révéler ses agissements. Ce film, bien
que moins fort que les deux précédents, notamment par son intrigue, assez
prévisible, obtint le prix Louis Delluc et un relatif succès d’estime. Il est aujourd’hui considéré comme le
troisième volet de ce que certains appellent à tort la "trilogie
politique" de Costa-Gavras. En effet, il faudrait plutôt parler de tétralogie car État de siège fut
aussitôt suivi de Section spéciale (1975) qui appartient incontestablement au même cycle que
les trois films précédents. Ce dernier raconte la mise en place par le gouvernement
de Vichy d’une section spéciale près la
cour d’appel chargée de juger sans recours les "terroristes", i.e.
les résistants ou les otages communistes et juifs. Née après l’attentat
du métro Barbès (août 1941), on sait que
cette mascarade juridique fut organisée pour complaire à l’occupant allemand
qui se trouva heureusement surpris par tant d’empressement. La principale vertu de
ce film est de montrer avec précision les tergiversations qui s’emparèrent des
magistrats et fonctionnaires chargés de créer la section spéciale au mépris de
toutes les règles de droit. Contrairement à beaucoup trop de films sur l’Occupation, celui-ci a le grand mérite de ne pas céder aux
lourds clichés manichéens en vigueur. C’est pourquoi Section spéciale
est peut-être aussi abouti que Z ou L’Aveu dans sa mise en scène de la mécanique judiciaire,
point commun autour duquel tous ces films s’articulent.
Un autre point commun peut
cependant être trouvé entre ces quatre grands films : aucun n’est aujourd’hui
disponible en DVD. Certes, les deux plus connus, Z et L’Aveu,
ont eu droit aux honneurs de la numérisation, respectivement en 2001 et 2004.
Mais depuis ces dates, l’absence de toute réédition des DVD, en dépit de leur
épuisement dans le commerce, a entraîné une augmentation délirante des prix sur
le marché de l’occasion : Z
se négocie à près
de 50 euros et L’Aveu à
30 euros. Quant à État de siège
et Section spéciale, ces deux
films sont en passe d’entrer au paradis des raretés n’ayant jamais eu droit à
la moindre version DVD alors même qu’ils étaient autrefois disponibles en
cassette VHS. Il suffit de voir quelques-unes des recherches menées
par nombre
d’internautes pour mesurer les pertes économiques que ces curieux
oublis entraînent. Même s’il est évident que tous les films ne peuvent pas
exister en DVD, il est quand même devenu extrêmement rare que des œuvres aussi
célèbres n’y aient pas droit ou plus droit.
Faut-il croire que M. Costa-Gavras
se désintéresse de ses œuvres de jeunesse ? Cela paraît douteux si l’on
songe à la gloire qu’il leur doit… Mais il n’est pas moins étrange de constater
que "le réalisateur de Z et
de L’Aveu" est l’actuel
président de la Cinémathèque française dont la mission est de "conserver et restaurer les films", ce qu’une numérisation donne
évidemment l’occasion de faire. Lorsque l’on interroge les libraires de ladite
Cinémathèque, ceux-ci sont les premiers à convenir de l’incongruité de cette
absence dont ils n’ont pas la moindre explication. Pour faire bonne figure, ils
assurent que la remarque sera transmise au patron et père de ces œuvres
introuvables, mais on doute fort que ces bonnes intentions n'engendrent le plus petit effet. En attendant, il faut admettre que cette situation donne le
meilleur des prétextes à la seule solution restante pour voir ces films au
moindre prix : le téléchargement illégal.
Lucien JUDE
intéressant article, c'est assez étonnant cette histoire de DVD pour un cinéaste aussi reconnu que Costa Gavras.
RépondreSupprimerD'autant que finalement on ne sait pas pourquoi, ces films ne sont pas disponibles.
Un problème de droit d'auteur ?
Il faut signaler qu'ARTE a édité un coffret (l'intégrale volume 1) comportant 9 films remasterisés de Costa Gavras . Ce coffret est vendu actuellement (en 2017) à au prix tout à fait raisonnable de 90 euros frais d'expédition gratuits. Les titres sont les suivants: "Compartiment tueurs, Un homme de trop, Z, L'aveu, Etat de siège, Section spéciale, Clair de femme, Missing, Hanna K". Les passionnés de Costa Gavras peuvent donc s'offrir ce coffret qui me semble avoir été édité pour eux. A rechercher dans la boutique d'ARTE qui met le coffret en vitrine sur son site. Merci à ARTE.
SupprimerPour compléter mon message voici l'adresse coffret vendu sur le site d'ARTE Boutique :
Supprimerhttp://boutique.arte.tv/f11470-costa_gavras_coffret_10_dvd?gclid=CJ_hntWAqNECFUORGwodBMcA6g
C'est assez dingue de voir Rebatet écrire des critiques sur Costa Gavras, tant son nom est associé à la collabo. D'ailleurs où François Vinneuil sévissait il ? quel journal l'acceptait dans ses colonnes, parce qu'après avoir lu votre article précédent, ça n'a rien d'évident.
RépondreSupprimerLa tétralogie comme vous l'appelez mériterait d'être diffuser dans les collèges et lycées. C'est vraiment dommage de ne les trouver qu'en téléchargement pirate, mais c'est un peu comme cet autre film qu'est la classe américaine, mais celui ci est officiellement indisponible pour des raisons de droit d'auteur...
Il me semble que compartiment tueurs, le premier film de Costa Gavras, avec Yves Montand (déjà) et Catherine Allégret, est aussi inédit en DVD, il est pourtant assez bon.
RépondreSupprimer@ anonyme 14:10 et GV
RépondreSupprimerJe ne pense pas qu'il y ait ici un problème de droit d'auteur. Les précédentes éditions en DVD de "Z" et "L'Aveu" tendent à le prouver. Mais on peut penser que les deux autres films ("Section spéciale" et "État de siège"), ainsi que "Compartiment tueur" que vous citez très justement, n'ont pas eu leur version DVD en raison de leur moins grande notoriété.
Quoi qu'il en soit, à l'heure où les coffrets DVD ont le vent en poupe (prétexte le plus souvent à la réunion de deux ou trois mauvais films avec un bon film) il est curieux que 4 bons films n'aient pas encore été réunis ensemble…
Le principal intéressé, Costa-Gavras, pourrait sans peut-être nous en dire un peu plus…
@ Paulus
RépondreSupprimerRebatet s'est toujours intéressé de près au cinéma (comme à la musique). Après la guerre, il écrivit ses critiques de cinéma sous le pseudonyme de F. Vinneuil (déjà utilisé avant guerre) dans Rivarol et d'autres revues d'extrême droite. À partir de 1961 et jusqu'à sa mort en 1972, il collabora au Spectacle du Monde, revue mensuelle dans laquelle on trouve les citations ci-dessus.
Il faut noter que les ex-collabos, malgré leur passé, étaient encore très appréciés dans la presse jusqu'aux années 1970 environ. Benoist-Méchin, Fabre-Luce, Robert Poulet, etc., n'ont jamais eu beaucoup de mal à trouver des tribunes. Il existait en outre une presse d'extrême droite importante pour accueillir ces "réprouvés".
Tu as l'air d'indiquer que Costa-Gravas a tourné l'Aveu à cause des critiques de Rebatet/Vineuil. Est-ce vraiment le cas ?
RépondreSupprimerDu reste, je trouve plutôt amusant que l'ami Rebatet tonne contre Z au nom du refus de la bien-pensance avant de s'émouvoir aux larmes devant l'aveu…
Et qu'en est-il de "Porté disparu" ? Tu ne le cites pas parmi la tétralogie politique (ça ferait une Pentalogie), est-ce pour ce qu'il est déjà édité en DVD ?
@ Bruno Forestier
RépondreSupprimerBonsoir l'ami,
Costa-Gavras n'a bien évidemment pas tourné L'Aveu pour les beaux yeux de Rebatet, mais le fait est qu'il a répondu à son reproche presque immédiatement.
L'indignation de Rebatet pour Z n'est par ailleurs pas due au fait que CG a opté pour une thèse classique communiste contre fasciste. Elle s'appuie sur le fait que Z serait trop caricatural (policiers très méchants, fascistes très méchants, contre communistes très gentils en gros). Mais c'est sûr que L'aveu a sans doute moins dérangé Rebatet pour les raisons que l'on imagine !
Sur le film Portés disparus (Missing), c'est un cas un peu à part. Certes, c'est un film politique, mais il ne suit pas exactement la série des premiers films. Il vient après "Clair de femme" qui n'a rien à voir avec la politique et il a été tourné en anglais sans Yves Montand. Et il existe en DVD !
La présence de Yves Montand dans les 3 premiers films explique d'ailleurs que certains parlent de trilogie et non de tétralogie. Montand n'apparaît pas en effet dans Section spéciale (sauf de manière très furtive en soldat allemand).
Bonjour, "Section spéciale" existe en Zone 1 au Canada édité par Métropole.
RépondreSupprimerQuel dommage, cette non-publication en DVD. Je viens de voir "Section spéciale" à la TV : quel choc, dans tous les sens du terme ! On devrait visionner ce film dans les lycées, en cours d'histoire tant qu'ils existent encore, pour expliquer ce que fut la "collaboration"...
RépondreSupprimerau secours!!! je recherche désespérément "UN HOMME DE TROP" du même auteur pour un papy résistant qui est incarné dans ce film par Brialy et qui aimerait bien le montrer à ses petits enfants... pendant qu'il en est encore temps
RépondreSupprimermerci d'avance
Raynald
RépondreSupprimerTerrible ce réalisateur - c'est triste - quand on sait que l'on trouve tous les mauvais Michael Bay sans problème ...
Etat de siège a été édité en dvd en Grèce!
RépondreSupprimerDepuis des années, je scrute tous les spots possibles à la recherche de Compartiment Tueurs.....TOO BAD
RépondreSupprimer"Z" , "l'Aveu" et "Etat de siège" furent disponibles un temps sur youtube, en version sous-titrée espagnole pour ce dernier, sans incidence pour une bande audio d'origine (française bien sûr), j'ignore si c'est toujours le cas...
RépondreSupprimerEn tout cas, hélas, tout cela semble confirmer que le soi-disant "téléchargement illégal" soit le seul en mesure de perpétuer de façon fiable un patrimoine culturel peu médiatisé et donc fortement soumis à l'érosion de l'oubli...
Bonjour à tous, pour information Z, etat de siege et section speciale ont ete edités en dvd Espagne. Ces dvd contiennent une piste française et sont achetables sur amazon espagne. La sortie prochaine de l'aveu en dvd ainsi qu'en bluray est egalement prevue chez nos voisins ibères.
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