A lire les titres des ouvrages du méconnu Pierre Gordon, on ne
s’étonne pas que celui-ci ait choisi l’anonymat. En 1946, il publie L’initiation
sexuelle et l’élévation religieuse et, en 1950, ne reculant pas devant
le "chiendent des préjugés", il s’attaque à La nuit des noces.
Un mot d’abord sur ce mystérieux auteur : Gordon est
un nom de plume et l’on a beau questionner Google à son sujet, on ne trouve pas
de réponse, si ce n’est qu’il serait mort en 1951 (d’après son éditeur), qu’il
avait des connections dans les milieux catholiques et qu’il fut un élève de Durkheim. D’aucuns
pensent qu’il s’agirait d’un homme que ses fonctions interdisaient d’écrire sur
ce genre de sujets.
Rien que d’honorable pourtant et la préface de La
nuit des noces met en garde le lecteur : ceci est un ouvrage à
vocation scientifique et l’on scrutera avec méthode les vieilles coutumes
nuptiales des sauvages pour s’apercevoir de leur extraordinaire élévation, à
l’opposé des brutalités de l’instinct qu’on leur prête. Gordon recense
dans cette optique toutes les pratiques liées à la défloration et d’une manière
générale à la sexualité autour du mariage.
Mais quel est donc le rapport avec Gide ? Nous ne
reviendrons pas ici sur son supposé mariage blanc avec Madeleine, dont
Gordon n’aurait pas grand-chose à dire. Mais, lecteurs attentifs, nous nous
étions quelque peu arrêtés, dans Si le grain ne meurt, devant la
description de la tribu des Ouled Naïl qui : "exporte, à peine
nubiles, ses filles, qui, quelques années plus tard, reviennent au pays avec la
dot qui leur permet d’acheter un époux". En clair, cette tribu du Maghreb prostitue
ses jeunes filles. Étrange et fascinante coutume relatée par Gide qui fait
ainsi la connaissance de la belle Mériem : "de peau ambrée, de chair
ferme, de formes pleines, mais aussi presque enfantines encore, car elle avait
à peine un peu plus de seize ans". Nous ne ferons pas non plus ici de débat
sur Gide et la philopédie, cependant, il est intéressant de noter que la jeune
fille est remplie de talents et trouve à apaiser l’écrivain : "Mériem m’avait,
d’emblée, fait plus de bien que tous les révulsifs du docteur". Le voilà un
peu tranquille vis-à-vis de ses troubles nerveux, mais le destin de Mériem et
des jeunes femmes de sa tribu ne cesse pas de nous questionner. Comment ne pas
voir dans cette pratique de prostitution une grossière et avilissante coutume
mercantile ?
M. Gordon aborde cette question dans son chapitre
intitulé "Les différentes modalités, et l’extension de la prostitution
prénuptiale". Là, surprise, on retrouve les Ouled Naïl. L’auteur les
cite en exemple afin de montrer comment le monde moderne peut lourdement se
tromper en faisant du seul motif économique la raison de la prostitution de ces
jeunes femmes. Et Gordon d’ajouter qu’il est ridicule d’imaginer qu’on les
force soudainement à se prostituer pour gagner leur dot ; il faut tenir compte
de l’évolution sociologique ! En effet, à l’origine de la rémunération, il y a
l’offrande. La perte de la virginité dans les temps anciens (Gordon remonte
jusqu’à l’antique) était alors rattachée très fortement au domaine du divin.
C’est traditionnellement le déflorateur, dans le cadre d’une cérémonie
rituelle, qui recevait un don pour son acte, mais la femme ainsi sacralisée
recevait par la suite des offrandes de la part des hommes avec qui elle entrait
en relation avant son mariage. C’est donc une déformation de ce principe
religieux qui est à l’origine de la prostitution des Ouled Naïl dont notre prix
Nobel de littérature 1947 a profité. Mais en le lisant, on observe à quel point
il lui fut indifférent de savoir d’où provenait cette coutume, tant son désir
était ailleurs : "et si, dans cette nuit auprès de Mériem, je fus vaillant,
c’est que, fermant les yeux, j’imaginais serrer dans mes bras Mohammed".
Il ne faut donc pas s’y tromper : selon Gordon toutes les
interprétations frustes des pratiques anciennes sont à mettre sur le compte
d’une "décadence progressive de l’intelligence humaine". D’ailleurs le livre
recèle nombre d’exemples plus exotiques les uns que les autres avec notamment
un chapitre intitulé "Coutumes aberrantes relatives à la
défloration" que la décence, malgré sa haute valeur scientifique, nous
interdit de reproduire ici.
Soyons donc reconnaissants à Gordon d’avoir, par son
érudition, pu éclairer un peu la lecture d’André Gide.
GV
Si le livre est si honorable, pourquoi ne pas reproduire quelques extraits de ce chapitre à haute valeur scientifique ?
RépondreSupprimerEn tout cas, c'est un bon prétexte pour évoquer la figure de Gide dont les expériences furent décidément nombreuses.
Sans vouloir faire de chantage, je crains bien que si ce blog se transforme en catalogue "scientifique" sur la "défloration", vous ne perdiez au moins un lecteur, pourtant assidu.
RépondreSupprimerTrès intéressant article, par ailleurs.
On préférerait avoir des citations de Gordon que de Gide…
RépondreSupprimer@LB et Anonyme : afin de ne pas rentrer dans le détails des descriptions parfois un peu olé olé, ce n'est pas pour rien qu'il a pris un pseudo l'ami Gordon.
RépondreSupprimer@ BBC merci mais il en faudrait quand même beaucoup pour transformer le blog en "catalogue scientifique sur la défloration" ! Il n'y a qu'a voir les libellés...
De très bonnes illustrations !!
RépondreSupprimerGide avec un peu poseur avec sa cape et avec sa barbe de la légion, manque le tablier et la hache.
Et surtout la belle Fatma au visage fier et aux formes bien dessinées.
Gide attiré par une jeune femme?
RépondreSupprimerSuffisamment étonnant pour être relevé.
Très belle cette Mériem, d'ailleurs. Les traits fins mais de la générosité dans les courbes.
salut - j'ai lu le livre - si le grain ne meurt d'andré gide et ce qui est écrit, décrit l'auteur comme étant pédophile notoire quand il est hors de son pays - il profite de l'innocence de jeunes garcons pour les abuser avec certains écrivains anglais plus pédophiles que lui - qu'ils soient maudits.
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SupprimerEn ce moment, à la galerie Au point du jour, se tient l'exposition LE VOYAGE AMOUREUX Beautés orientales, Ouled-Naïls, Courtisanes 1870-1960.
RépondreSupprimerOn peut y voir des photos de grande qualité, on trouve notamment deux petits portraits de la maîtresse de Pierre Louÿs (vendus autour de 800 euros, quand même), mais hélas, pas de traces de la belle Mériem… Un autre bémol : l’accueil de la galeriste Nicole Canet est déplorable !
c'est absurde d'avoir le courage d'écrire sur un sujet aussi délicat que la prostitution et la pédophilie et vous n'avez pas le même courage d'évoquer les origines d'Ouled Naïl et vous dites simplement Maghreb au lieu de dire Algérie !
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