dimanche 31 janvier 2010

Ganache du mois : Menou

La Révolution française a révélé des généraux de vingt-cinq ans qui partout en Europe ont triomphé des meilleures armées et sans doute n’y a-t-il jamais eu d’autres exemples dans l’histoire d’une si belle promotion de génies militaires. Ce succès a même contraint l’un de ses plus acharnés adversaires, le sourd et aveuglé Charles Maurras, à prétendre sans rire que c’était à l’Ancien Régime que l’on devait l’éclosion de tels talents ! Il y eut néanmoins quelques nullités au milieu de la multitude de généraux apparue après 1789, et l’on attribuera volontiers à l’Ancien Régime la paternité de celles-ci. Parmi ces nullités, le général Menou (1750-1810) n’est pas la moindre, cumulant incapacité et ridicule avec un art consommé de la mise en scène.
Rappelons ainsi, pour l’honneur de notre grande Révolution, que Menou n’en est pas un pur produit, au contraire d’un Hoche ou d’un Marceau : son nom complet est Jacques-François de Menou, baron de Boussay, et c’est comme député de la noblesse qu’il assista aux États généraux de mai 1789. Militaire de carrière, le baron se rallie habilement à la Révolution dès 1790 (il préside un temps l’assemblée constituante), ce qui le fait accéder au grade de commandant grâce aux départs des officiers émigrés. Envoyé en Vendée comme général de division, il ne tarde pas à révéler son incapacité militaire. Si l’homme fait preuve de vaillance (blessé à plusieurs reprises), il subit déjà de graves revers, notamment face à l’armée du jeune La Rochejacquelein qui le chasse de Saumur en juin 1793. Mis à la retraite après ces prouesses, il revient en grâce à la chute de Robespierre. Menou donne aussitôt des gages de bonne volonté à la Réaction en réprimant impitoyablement les émeutes sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine (mai  1795). Pour cette entreprise digne d’un traître, il n’hésite pas à se servir des infâmes Muscadins, ces jeunes royalistes aux affublements grotesques qui apparurent après Thermidor. Dès lors, on comprend assez bien pourquoi le même Menou se montre d’une coupable inertie lorsque le coup d’état royaliste éclate en septembre de la même année (13 Vendémiaire). Destitué pour cette trahison, il n’en est pas moins acquitté à la suite de quelque magouille judiciaire. Et sa carrière continue, hélas !

En 1798, cette ganache de Menou s’embarque pour l’expédition d’Égypte que dirige le général Bonaparte. Quelques semaines après son arrivée, l’homme se convertit à l’islam et épouse une Égyptienne. Il se fait désormais appeler « Abdallah-Jacques », mais les soldats le surnomment plus volontiers « Abdallah le Renégat ». Une fois Bonaparte discrètement reparti en France, c’est le général Kléber qui commanda les armées restées en Égypte. On sait qu’après avoir redressé une situation désespérée, il fut lâchement assassiné par un fanatique syrien le 14 juin 1800. Le médiocre Menou, jaloux de Kléber qui le méprisait avec raison, se réjouit ouvertement de sa mort qui lui permet de devenir général en chef. Mais il fait encore mieux en baptisant aussitôt son fils du prénom de l’assassin : Soleyman. La grande classe.
Détesté par tous les généraux qu’il commande, Menou achève en catastrophe l’expédition d’Égypte. Comme partisan du maintien français, il entame une politique ouvertement colonialiste et pratique la ségrégation à l’égard des minorités (coptes, juifs et soufis). Par ailleurs, maintenu dans ses fonctions par le premier consul Bonaparte qui se méfie des anciens partisans de Kléber, Abdallah le Renégat n’en fait qu’à sa tête. Il est logiquement écrasé par les Anglais à la bataille de Canope (mars 1801) où un général lui lance avant de mourir : « Jamais un homme comme toi n’aurait dû commander les armées françaises. Tu n’étais bon qu’à diriger les cuisines de la République ! ».
Acculé à la capitulation à la suite de cette triste bataille, Menou évacue les restes de l’armée et quitte l’Égypte avec femme et enfant à l’automne 1801. Loin d’être mis à la retraite malgré sa solide expérience de ganache, il est nommé au Tribunat puis en Italie comme gouverneur de Venise. C’est là qu’il meurt paisiblement en 1810.

KLÉBER*

*Ma signature ne doit pas laisser croire qu’il y a de la mauvaise foi dans cet article. Menou fut une ganache et tout ce que j’ai pu rapporter ci-dessus n’est qu’une partie de l’affligeante carrière que mena cet homme.

Images : portrait du général Menou (source ici), dessin du même par Dutertre (source ici), proclamation du général Menou du 9 Ventôse an IX (source musée de l'Empire, Salon-de-Provence) et la bataille de Canope par P.J. Loutherbourg (source ici).
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6 commentaires:

  1. Le second portrait illustre au mieux l'homme. Une belle ganache !
    Même s'il n'exerça plus de fonctions militaires après son retour d'Egypte, la protection que lui accorda l'empereur reste cependant mystérieuse...

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  2. En effet, M. Kléber vote nom dans cette affaire ne respire pas l'objectivité...
    Cependant, on peut reconnaître au général Menou une certaine habileté dans ces périodes troublées. Certes c'est le propre de la ganache, de se sortir de toutes les situations sans dommages.
    Menou ayant particulièrement réussi, c’est un hommage mérité.

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  3. Il devait être particulièrement exaspérant au quotidien, mais on rigole bien en lisant cette chronique de sa sordide petite vie.
    Peut-on avoir des précisions sur les "affublements grotesques" des jeunes royalistes amis de Menou ?

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    1. sa ve dyre k'ta tou lue!
      PS: c'et d'la merde.

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  4. @ Loulotte
    Voici une fidèle illustration de la mode muscadine : http://www.lesnouveauxdandys.com/new_dandy/images/2008/03/25/muscadins.jpg
    Tout est dit je crois !

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  5. Général en chef de l'armée d'orient1 février 2010 à 23:10

    Vive le chef de rang : Abdallah le Renégat !

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