vendredi 16 octobre 2009

Une vie : Abraham Mazel (1677-1710)

Abraham Mazel, dont le prénom biblique indique déjà la qualité, fut l'une des figures les plus importantes et les plus émouvantes de la Révolte des Camisards qui eut lieu à l'aube du XVIIIe siècle. Cette révolte, également appelée guerre des Cévennes, opposa plusieurs années durant le monarque le plus puissant d'Europe au petit peuple des montagnes cévenoles, attaché à défendre sa foi et la liberté de conscience.
Trahis par la noblesse protestante, abandonnés par la bourgeoisie des villes, leurs temples rasés et leurs pasteurs exilés ou exécutés, ces laboureurs, pâtres et artisans suscitèrent, à l'exemple des hébreux persécutés, des prophètes et des chefs de guerre. Quelques uns devinrent célèbres dans l'Europe entière comme Jean Cavalier ou Pierre Laporte dit Rolland.
Moins connu est Abraham Mazel, issu d'une famille de paysans illettrés, qui à 24 ans, lors d'une assemblée clandestine au "désert" devint un "inspiré", un Prophète. Possédé par l'esprit saint qui le guidait par des songes et des transes, ce tout jeune homme va avec quelques compagnons lancer la révolte.

Le soir du 24 juillet 1704, un groupe d'Inspirés et une cinquantaine de montagnards se rendent au Pont-de-Montvert où ils entrent en chantant des psaumes. Ils sont venus délivrer des prisonniers détenus par l'Abbé du Chayla, archiprêtre des Cévennes, considéré par tous comme le plus cruel et le plus farouche des persécuteurs de la région. La maison prise d'assaut, l'abbé est sauvagement massacré. C'est le début d'un conflit qui va ensanglanter les Cévennes et dont la violence répond à plus de vingt années de persécutions.
Dans les jours qui suivent, Mazel et sa troupe écument le pays, tuant les persécuteurs, les traîtres et les délateurs. Les églises catholiques sont brûlées en réponse aux temples rasés depuis la Révocation de l’édit de Nantes en 1685.
Le prophétisme et l'iconoclasme de Mazel illustrent bien la nature du conflit. Les songes et les prophéties servent de lois et de discipline militaire aux insurgés, qui souvent n'ont pas vingt ans et n'ont jamais reçu d'éducation religieuse ni d'instruction. Mazel comme les autres chefs prient sans cesse, avant chaque action, et attendent d'être saisis par l'Esprit qui leur commande de porter sans trêve le fer et le feu contre les persécuteurs et de renverser les idoles de l'Église Romaine.
De 1702 à 1704 la guerre des Camisards est marquée par la très grande mobilité des insurgés, les opérations militaires spectaculaires (coups de mains ou batailles rangées) et l'extrême violence de la répression.
En 1704, la guerre proprement dite s'achève par les négociations entre Jean Cavalier, l'un des principaux chefs, et le maréchal de Villars dépêché spécialement sur place pour mettre un terme à la révolte. Ces négociations où le jeune Cavalier sera dupé brisent l'unité du camp des "Enfants de Dieu". Les chefs camisards renoncent à la lutte, s'exilent ou sont tués comme Rolland. Le peuple protestant est lui aussi à bout après deux ans de guerre et le "Grand Brûlement des Cévennes" en 1703 qui a fait des milliers de victimes.
Mazel, lui, est finalement capturé en janvier 1705. Il obtient la vie sauve de justesse, grâce à l'intercession d'un prêtre qu'il avait lui-même épargné auparavant. Il est conduit dans la Tour de Constance qui depuis 1686 est devenu le symbole de l'horreur pour nombre de protestants enfermés pour faits de religion. Entouré de marécages malsains, Aigues-Mortes est considéré comme un mouroir isolé du monde. Mazel ne tarde pourtant pas à s'en évader de manière spectaculaire avec une quinzaine de complices et devant autant de témoins, le 24 juillet, jour anniversaire de la révolte.

Il doit cependant s'exiler peu après au Refuge, les États protestants qui accueillent et protègent volontiers les huguenots. En Suisse, il fait parti quelques temps de ces bandes qui guerroient contre les troupes françaises occupant la Savoie. On le retrouve à Londres en 1708 où ses anciens compagnons, appelés les "French Prophets", drainent les foules par leurs transes spectaculaires et leurs discours millénaristes. L'Europe entière attisée par la guerre et le "Grand Hiver" est parcourue de prophéties annonçant l'accomplissement final de "l'oeuvre de Dieu".
Abraham Mazel décide de rentrer en France pour y relancer la révolte, car la mort n'effraye pas les élus de Dieu. Il arrive dans le Vivarais, accablé de famine et de misère, et où se trouve également une forte présence protestante. Le mécontentement est à son comble et c'est une véritable guerre de classes qui se développe dans le pays. Mazel, avec d'anciens camisards, va tenter d'unir et d'encadrer les Nouveaux-Convertis et les Vieux-Catholiques dans une révolte religieuse et anti-fiscale. Un manifeste est écrit réclamant le rétablissement des clauses de l'édit de Nantes, la libération des prisonniers pour la foi, et le retour des exilés. Mais il vise aussi à la suppression des impôts nouveaux. Les révoltés veillent à ne pas inquiéter leurs voisins catholiques et respectent les églises. En revanche, comme dans les Cévennes, ils abattent impitoyablement les persécuteurs ou les représentants du pouvoir royal et du clergé.
Le pouvoir est d'autant plus inquiet que la plupart des régiments présents, mal équipés, mal nourris et impayés sont au bord de la mutinerie. Mazel le sait et donne pour consigne dans les combats de ne viser que les officiers.
Mais la Révolte fait long feu. Echaudé, l'intendant du Languedoc, le sinistre Basville, organise une véritable armée contre moins d'une centaine de révoltés. De plus ceux-ci ne jouissent pas d'un soutien populaire comparable aux années 1702-1704. Battu dans le Vivarais, Mazel, malade et blessé, doit se réfugier dans les Cévennes où malgré les dragonnades qui se poursuivent les assemblées du Désert se maintiennent avec plus de ferveur que jamais. En septembre 1709, Mazel reprend contact pour relancer à nouveau le combat. Pendant toute l'année qui s'écoule,  le prophète prêche et affirme que la chute de "Babylone" est proche. En 1710, encore le 24 juillet, un débarquement anglais semble lui donner raison. Hélas, c'est une opération sans lendemain et l'étau se ressert autour de lui.
Finalement, le 14 octobre 1710, il est trahi et tué au Mas de Couteau. Avec lui s'achève la Guerre des Camisards.

Paul LAMARE

Source : Abraham Mazel, le dernier camisard de Jean-Paul Chabrol, excellente biographie publiée en mai 2009 aux éditions Alcide.
Images tirées de la bande-dessinée "La révolte des Camisards" de Paul Astruc (Presses du Languedoc, 1984).
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1 commentaire:

  1. On peut comparer guerre des Cévennes avec guerre de Vendée : la répression y fut sévère dans les deux cas. À ceci près que certains invoquent le génocide pour la seconde, ce qui est tout de même plaisant à entendre…
    Mais la grande différence tient dans les motivations des deux guerres : les Cévennes se sont soulevées pour la liberté de conscience. La Vendée s'est soulevée, avec l'aide des nobles (contrairement aux Cévennes), pour le retour à l'ordre monarchique et donc le retour à la Réaction. Cherchez l'erreur…

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