Quoi de plus désagréable que de
connaître la fin d’un roman qu’on est en train de lire ? Il semble
pourtant que cette vieille et insupportable manie qu’ont certains de vouloir
raconter toute l’intrigue d’un livre au malheureux lecteur soit en passe de
devenir la règle dans le monde de l’édition. En effet, à travers les préfaces,
introductions, quatrièmes de couverture et tout particulièrement les notes, on
assiste aujourd’hui à une véritable frénésie de révélations. Certes, on objectera
qu’une préface a toujours été une source de potentielles divulgations pour le
lecteur, son auteur se livrant en fait à une critique du livre. Mais pourquoi
s’obstiner à faire des préfaces ? Pourquoi ne pas précisément faire des
postfaces, comme c’est le cas parfois, et donner enfin sa véritable place à la
critique, après le texte ? Vaste
question ! Reste que l’on peut aisément sauter une préface pour y revenir
une fois le roman terminé, ce qui représente encore un avantage important. Il
n’est donc pas nécessaire de s’appesantir sur ce simple manque de bon sens
éditorial…
Nous ne pouvons en revanche pas
être d’accord sur le reste du « travail éditorial ». Ainsi, censée
nous donner envie de lire, la quatrième de couverture est devenue, tout
particulièrement dans la collection Folio,
ou bien une arnaque, ou bien un piège. Arnaque quand elle se contente de citer
un passage du texte qui très souvent ne signifie rien pour le lecteur. Piège
quand elle se met à citer un morceau de la fameuse préface qui se plaît à tout
raconter ! Exemple entre tant d'autres, la quatrième de couverture de Quatrevingt-treize de Victor Hugo dans la collection Folio, où le sort de tous les
personnages nous est gentiment confié ! Que l’on n’invoque pas la
célébrité du roman, car il y a toujours une première lecture et l’intrigue,
chez Hugo en particulier, est primordiale. C’est une simple crétinerie
d’éditeur qui, hélas, n’est pas isolée. La meilleure preuve en est que le
service des éditions Folio à qui nous n’avons pas manqué d’exprimer notre
mécontentement au sujet de la quatrième de couverture d’un autre livre, L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, reconnait
une « quatrième trop explicite », promettant de « corriger cela lors de la prochaine
réimpression ».
Mais venons en à l’essentiel. À
supposer que le lecteur ait eu la présence d’esprit de s’emparer en fermant les
yeux du livre (et ce à chaque fois qu’il le reprendra, ce qui est parfois
difficile), à supposer encore qu’il ait astucieusement passé la préface,
peut-être aussi l’introduction qui aime à en dire plus que de raison, voici qu'il se retrouve nez-à-nez avec le plus machiavélique guet-apens des
éditeurs : les notes. Sous prétexte qu’un livre ne vaut rien sans
« paratexte », sous prétexte qu’il se distingue tout au contraire par
son édition, il n’est presque plus un livre de poche qui ne sorte grossi de
notes et commentaires ! Le terrible résultat ne s’est pas fait
attendre : la cohorte des spécialistes a ravagé le livre. Les vieilles
ganaches de la Sorbonne et d’ailleurs sont venues truffer les textes de leur prose. L’asservissement est total. La collection de la
Pléiade, naguère si simple, est devenue
l’épicentre de ce fléau. Que l’on jette un coup d’œil aux nouvelles éditions
des œuvres complètes de Rimbaud
ou de Lautréamont qui
comptent un quart d’œuvre pour trois quarts de paratexte !
Donc, notre lecteur a passé la
quatrième de couverture, la préface, l’introduction et se retrouve face à une
note. Il peut naturellement la passer elle aussi, à moins qu’elle ne figure en
bas de page, inévitable, et parfois d’une désopilante utilité ainsi que le
prouve celle-ci :
Si donc la note n’est pas en bas
de page mais renvoie à la fin du livre, le lecteur peut refuser de s’y
reporter. Mais comment peut-il résister lorsque sur une même page il voit
fleurir les numéros de notes ? Comment ne peut-il pas penser que les notes
indiquées vont lui fournir de solides explications sans lesquelles il ne
comprendrait rien au texte ? Hélas ! Rien de tout cela ne s’offre à
lui. Arrivé non sans mal à la fin du livre, le lecteur découvre avec
consternation qu’on lui donne l’historique de tel obscur bistrot cité par
l’auteur puis, parce que cette information reste inoffensive malgré tout, voici
qu’il lit, avec épouvante cette fois, une note dans le genre de celles-ci :
Que penser de pareilles notes ?
Non seulement la lecture du livre est hachée menue par l’abondance des renvois,
mais en plus ces renvois nous ruinent l’intrigue. Qu’on ne dise donc pas que
ces notes sont de nécessaires apports à l’œuvre ! Elles le seraient si
elles restaient confinées au strict nécessaire (éléments biographiques sur tel
ou tel personnage par exemple) mais leur systématisation en vient à obscurcir
la lecture au lieu de l’éclairer. C’est donc pour des éditions dépourvues de
ces « apparats critiques » délirants qui ne font plaisir qu’à ceux
qui connaissent l’œuvre par cœur que nous oserons militer ici, étant bien
souligné que certaines notes et une bonne post-face demeurent de salutaires
additions à l’œuvre lorsqu’elles ont le bon sens d’en respecter l’essence.
Lucien JUDE
Images : quatrième de
couverture de Quatrevingt-treize de Victor Hugo
(édition Folio), page extraite du recueil du Horla de Maupassant (édition Folio), note extraite de Sodome
et Gomorrhe de Proust (édition Folio), note extraite des Déracinés de Barrès (édition Bouquins).
Y en a marre, on ne peut plus lire tranquillement !!
RépondreSupprimerAprès il faut reconnaître que toute note n'est pas inintéressante. On peut même en apprendre beaucoup. Le tout est de ne pas couper le souffle du lecteur…
RépondreSupprimerPar contre la note ci-dessus, sous le "quel sauvage!" a l'air tout à fait nulle elle aussi.
Les Khâgneux du monde entier soutiennent ce dur combat.
RépondreSupprimerTout d'abord, je proteste vivement contre l'usage du terme "Ganache" pour qualifier les sorbonnards. À force d'utiliser ce noble adjectif à tout bout de champ, on perd de vue la profonde affinité qu'il entretient avec l'imbécillité galonnée et moustachue. (1)
RépondreSupprimerSecondement, si je peux vaguement comprendre votre déception à connaître le déroulement de l'intrigue avant d'avoir lu le livre, la politique du quatrième de couverture "qui-dit-tout" (2) a tout de même quelques avantages. Notamment, celui de repérer les torchons qu'on ne lira pas, alors qu'appâté par un titre alléchant et une couverture attrayante (3) on se préparait candidement à se lancer dans la lecture.
Enfin, le lecteur pressé ou fumiste pourra plus facilement (et avec plus de fiabilité que sur wikipedia) s'en servir pour prendre l'air concerné lors de pédantes discussions littéraires avec ses amis.
Un ami.
(1): Voir l'excellent article "La Ganache du mois" récemment paru sur ce même blog.
(2) Je me permet ici d'user du vocabulaire pongiste pour mieux questionner le texte.
(3) À ce titre, les livres anglo-saxons sont particulièrement vicieux. Ce sont de véritables pièges, avec des titres tous plus baths les uns que les autres, et des couvertures rutilantes et tout et tout…
Précisément, cher ami, cette protestation est élevée au nom de ceux qui veulent lire en toute honnêteté un roman, sans se presser, et se sentent trahis par des révélations qu'ils n'ont jamais désirées. Mais il est rassurant de voir que de telles notes ou quatrièmes de couverture font les délices de certains…
RépondreSupprimerConcernant les ganaches, je conteste votre vision bornée de ce vaste monde. D'abord, un sorbonnard peut très bien être galonné (par les titres, les médailles, etc…) et moustachu. Ensuite, l'armée n'a hélas pas le monopole des ganaches. Par exemple, Maurice Druon représentait un solide exemple de ganache.
Plus conforme à l'acédie ambiante, je vote pour la note en fin de volume.
RépondreSupprimerPour deux volumes. D'une part le texte et de l'autre les commentaires, notes, fragments, varientes, postface, notices, apparat critique...
RépondreSupprimerOn peut lire chez e-gide (Fabrice) que le livre «André Gide : l'écriture vive» est accompagné d'un DVD interactif.
RépondreSupprimerC'est l'une des pistes à explorer dans l'édition, en ce qui concerne l'inflation d'ajouts, quand on ne veut pas trop envahir le lecteur.
Mais ce n'est pas le boulot des éditeurs que de produire des livres avec toujours plus de valeur ajoutée.
Un exemple récent : la collection Folio vient de lancer une édition de bouquins accompagnés, du DVD correspondant et d'un petit fascicule explicatif. Genre : Crash, le roman de J.G. Ballard et le film de David Cronenberg.
On peut s'interroger sur la pertinence de ce genre d'initiative grand public.
Petit supplément intéressant, voici ce que pensait M. Victor Del Litto de ces fameuses notes (interview vers 1995) :
RépondreSupprimerJ.D. - Et bien sûr il y aura pas mal de notes ?
V.D.L. - Il y aura des notes, certes Mais il ne faut pas en abuser. Après un temps où on n'en mettait pas du tout, est arrivée une époque où la glose submerge le texte. Et puis, n'oubliez pas que ces notes sont le fruit de longues recherches, une somme de connaissances que d'autres n'hésitent pas à piller sans vergogne, s'assurant ainsi, sans en citer bien sûr l'origine, une facile notoriété. C'est le cas notamment des notes des volumes de la Pléiade.