Dans Si le
grain ne meurt, André Gide nous dépeint longuement le 6e arrondissement de
Paris, lieu principal de son enfance. Son passage à l'École alsacienne, plus particulièrement son renvoi, pour cause
d'onanisme « praliné » pendant les cours, est resté dans les mémoires.
Il avait alors huit ans.
Gide durant les années
d'errance scolaire qui suivirent accumula beaucoup de retard, et ce n’est que
plus tard qu'il se révéla un brillant élève. À 17 ans, après avoir épuisé
plusieurs précepteurs, il entra à la pension Keller, au 4 rue de Chevreuse, en attendant de suivre de
nouveaux cours à l'École alsacienne où comme il le dit bien « on ne désespérait
pas de me voir rentrer ».
Le bon Jacob
Keller, pendant dix-huit mois,
enseigna à Gide tout ce qui lui avait manqué et lui fit rattraper « les
années incultes ». En outre, cet excellent précepteur se chargeait d’accompagner
son élève aux cultes de la rue Madame et aux concerts dont « les chœurs
sont uniquement composés de gens du monde comme toi et moi », ainsi que l’écrivait
Gide à sa cousine Madeleine, le
25 janvier 1886. C'est aussi l'époque d'un tournant mystique pour le futur écrivain
qui se passionnait pour les écritures et portait en permanence sur lui le Nouveau
Testament dont il usait devant tous,
notamment pendant les récréations de la pension Keller (acte d'autant plus méritoire
quand on connaît son éreutophobie de jeunesse, comme le souligne son biographe Jean
Delay). Toujours pendant ces mois,
il apprit le piano avec Marc de la Nux cousin de Leconte de Lisle
et homme entièrement dévoué à son art.
Ce moment de
l'adolescence fut l'occasion pour Gide de questionner son rapport à l'autre
sexe envers lequel il était loin d'être indifférent ; il retombait « dans
le vice de sa première enfance » et « se désespér[ait] à neuf à
chaque fois ». La pension Keller fut donc une période d'éveil
intellectuel, artistique et religieux, même si elle ne le débarrassa pas pour
autant des « sollicitations ténébreuses ».
On peut visiter aujourd’hui l'ensemble des bâtiments qui était à l'origine une
fabrique de porcelaine appartenant aux frères Dagoty. Celle-ci fut achetée en 1834 par l'institut Keller,
école protestante, et c'est en 1886 que le futur prix Nobel y vint prendre des
petits cours. Fermé en 1893 l'institut fut racheté par une riche américaine, Mme
Reid, qui mit en place « l'American
Girls Club ». Durant les deux
guerres mondiales, le centre fit oeuvre de charité : en 1914 en se
transformant en hôpital et en 1939 en accueillant des réfugiés. En 1964,
le site fut légué à l'université Columbia. Il accueille aujourd'hui des étudiants, des chercheurs et participe à
la vie culturelle du quartier en organisant concerts et expositions, autour de
deux très jolies petites cours parsemées de fleurs et d'arbustes... La porte
est toujours ouverte, mais, pour entrer, mieux vaut avoir quelque chose à y
faire.
GV
En complément, on
peut lire Si le grain ne meurt
et l’excellent Delay sur La jeunesse d’André Gide en deux tomes, et bien sûr visiter le Reid Hall au 4 rue
de Chevreuse à Paris.
Intéressant article. Mais qu'est-ce qu'un onanisme "praliné" ?
RépondreSupprimerC'est une pratique auto-érotique qui s'accompagne d'une dégustation de pralines, un mélange pulsionnel en quelque sorte...Sacré Gide !
RépondreSupprimerLe 9 juillet dernier, Franck Keller, arrière-arrière-petit-fils de Jean-Jacques – dit Jacob – Keller, organisait une journée commémorative pour le 200e anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Keller. Participaient également Alain Goulet, gidien éminent, et Frank Lestringant qui prépare une biographie d'André Gide.
RépondreSupprimerLe Bulletin des Amis d'André Gide d'octobre 2009 donne le compte-rendu de ces débats où l'on a donné lecture de plusieurs passages de Si le grain ne meurt mais aussi des Faux-Monnayeurs. Jean-Jacques Keller y apparaît sous les traits d'Azaïs et Gide mentionne également les difficultés financières de la pension.
Merci pour le lien vers mon blog pour les Gidards de la Giderie (et les autres).