Mercredi soir, 16 septembre 2009. Pour la première de L'Armée du
crime, nouveau film de Robert Guédiguian, le maire d'Issy-les-Moulineaux
André Santini organisait une projection spéciale en son cinéma-amphitéâtre
municipal.
Le réalisateur était là, escorté de sa compagne Ariane Ascaride et
de l'acteur principal Simon Abkarian, l’interprète de Missak Manouchian
dans le film.
L'assistance, très nombreuse, au point que vos serviteurs privés
de fauteuil durent s'asseoir sur les marches, comptait un fort parti d'Arméniens
venu faire la claque. Sans surprise puisque cette communauté est fort
importante et présente de longue date à Issy-les-Moulineaux (ancienne ville
ouvrière et communiste, le frère de Manouchian y vivait d’ailleurs pendant la
guerre) et entretient visiblement avec son maire des relations suivies et
amicales. Lesdites relations furent dévoilées sans vergogne par le verbiage
d'un dénommé « Henri », présenté si nous avons bien saisi, comme un
(voire LE) survivant du groupe FTP-MOI, mais qui se flattait ce soir-là, comme
titre de gloire, d'avoir obtenu la légion d'honneur des mains de M. Santini
plutôt que du président Chirac.
Passé ce sordide étalement, M. Guédiguian a tenu un bref discours
de présentation sur ce film, mettant en avant ces jeunes héros dévoués à la
cause de l’humanité (etc…) et insistant sur leur lien avec le mouvement
ouvrier. Ce rappel était bien utile tant cet aspect paraît avoir été négligé
dans le film, ainsi que le symbolise une pitoyable « Internationale »
timidement fredonnée dans un bistrot. En fait, au delà de l'engagement
communiste rappelé de manière très vague, c'est plus généralement toutes les
questions politiques qui semblent avoir été gommées, le réalisateur ayant préféré
se concentrer sur les figures de ses personnages, plutôt que sur le contexte
historique et politique.
Ce choix est peut-être judicieux car, outre qu'on réduit ainsi l'écoeurante
moraline habituelle dans ce genre de film, en fin de compte la focalisation sur
les héros permet aux spectateurs de s'attacher à cette bande de jeunes gens
plutôt sympathiques. Sympathie renforcée par l'amateurisme confondant dont ses
membres font preuve, traité dans le film de manière assez humoristique (v. l’épisode
de la grenade). Pourtant, il aurait peut-être fallu insister un peu plus sur ce
point, car l’insouciance et l’indiscipline de ces très jeunes militants, non
rompus à la clandestinité, expliquent plus certainement leur liquidation rapide
par la police qu'un lâchage (voire une trahison) par le PC, comme le soutient
encore une persistante rumeur...
Notons au passage que le choix des acteurs est assez réussi,
notamment pour les interprètes masculins (Simon Abkarian, Grégoire
Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Adrien Jolivet et l'inévitable Jean-Pierre
Daroussin… ). Les rôles féminins restent mineurs, fidèles à la représentation
traditionnelle, d’ailleurs vraisemblable, d'une résistance virile où les femmes
se bornent aux tâches d'auxiliaires ou au repos du soldat. "Si tu veux
tirer ton coup, c'est pas les femmes qui manquent" assure aimablement le
futur traître Pétra (qui dévoile ainsi son rôle de félon dès sa première
apparition). "Tou trraite ma femme de poute, ye vé te toué !" répond
tout aussi classieusement le mari, en lui sautant à la gorge. Pendant ce temps
Mélinée Manouchian (Virginie Ledoyen assez quelconque) ravitaille son homme en
prison, imprime des tracts et pleure impuissante, selon l’imagerie doloriste
classique. Ariane Ascaride s’en tire mieux dans son rôle pourtant tout aussi étroit
de « mère de martyr ».
L'enchaînement des attentats, un peu trop flamboyants pour être crédibles,
et des arrestations permet cependant de suivre le film sans trop s'ennuyer. Que
demande le peuple ? Malheureusement, comme précisé plus haut, on n'échappe
pas à quelques bonnes intentions pédagogiques qui, comme de juste, tombent trop
souvent à plat. Ainsi de ce général allemand qui, après avoir déclaré qu'il
"faut terroriser les terroristes" (M. Pasqua appréciera), insiste
longuement sur le rôle décisif de la police française dans la rafle du Vel
d'hiv, en donnant force détails aux policiers qui, venant juste d’achever la
besogne en question, sont parfaitement au courant et s'ennuient autant que le
spectateur de ces "révélations".
Le film se termine sur la lecture de la très belle lettre d'adieu
de Manouchian (quoique expurgée de ses imprécations contre le traître et les lâcheurs). Les
spectateurs applaudissent bruyamment, avant de se lever précipitamment et de déguerpir
en constatant, une fois les lumières allumées, que les stars de la soirée
avaient levé le camp pendant la séance et qu'il n'y aurait donc ni débat ni
buffet.
Pour ceux qui aiment les films sur la Résistance, on conseillera
L'Armée des ombres de Melville (1969), aux couleurs crasseuses et aux belles
gueules de gangsters. Ceux qui préfèrent les films sur des jeunes gens
courageux, beaux et bêtes mais aux idéaux élevés regarderont avec profit le récent
La Bande à Baader de Uli Edel (2008).
Enfin à ceux qui préfèrent lire, on suggérera Liquider les traîtres,
la face cachée du PCF, 1941-1943 de J-M Berlière et F. Liaigre, Robert Laffont
(2007).
Bruno FORESTIER
Images : le réseau Manouchian présenté à la presse (Studiocanal)
et "l'affiche rouge" rendue célèbre par Aragon.
"Le film se termine sur la lecture de la très belle lettre d'adieu de Manouchian (quoique expurgée de ses imprécations contre le traître et les lâcheurs)"
RépondreSupprimerHistoriquement la lettre fut "expurgée" par le PCF, lors des premières publications, afin d'éviter les controverses.
Guédiguian étant un ancien du PCF, on comprend mieux cet "oubli"...
Il n'empêche qu'on voit le dénommé Pétra trahir les siens. Donc, le réalisateur n'a pas non plus tenté d'esquiver cette trahison…
RépondreSupprimerDans Libé on a cette précision :"Celui qui a trahi, c’est Joseph Davidowicz, le commissaire politique du groupe qui, après son arrestation, a craqué et commencé à travailler pour la Gestapo…"
RépondreSupprimerToujours se méfier des commissaires politiques!
Par ailleurs on peut voir le documentaire "Des terroristes à la retraite", de Mosco Boucault réalisé en 1985 qui accrédite la thèse d'un PCF abandonnant les siens, thèse abandonnée définitivement suite à l'ouverture des archives de la police.
RépondreSupprimerOn s'intérroge sur les aproximations historiques, pourquoi rafle du Vel' d'Hiv est elle datée de 43 ?
RépondreSupprimerLe film insiste en effet beaucoup sur la responsabilité de la police française s'inscrivant dans le discours de Chirac de 95 : "450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis."
Qui prétend que la rafle est datée de 43 ?
RépondreSupprimerAutre documentaire intéressant à voir : "La traque de l'affiche rouge", en ligne sur Dailymotion (4 parties).
Le fllm date la rafle de 43 pour des raisons de scénario et de nombreux commentateurs s'en emmeuvent sur ce point : en écoute à la carte "La Fabrique de l'Histoire" par Emmanuel Laurentin sur le site de France Culture, qui propose aussi une critique "d'Apocalypse" diffusé sur France 2 en ce moment avec une visée éducative affichée et qui reprend sans distance plusieurs clichés.
RépondreSupprimer