jeudi 17 septembre 2009

Première de "L'Armée du crime"

Mercredi soir, 16 septembre 2009. Pour la première de L'Armée du crime, nouveau film de Robert Guédiguian, le maire d'Issy-les-Moulineaux André Santini organisait une projection spéciale en son cinéma-amphitéâtre municipal.
Le réalisateur était là, escorté de sa compagne Ariane Ascaride et de l'acteur principal Simon Abkarian, l’interprète de Missak Manouchian dans le film.
L'assistance, très nombreuse, au point que vos serviteurs privés de fauteuil durent s'asseoir sur les marches, comptait un fort parti d'Arméniens venu faire la claque. Sans surprise puisque cette communauté est fort importante et présente de longue date à Issy-les-Moulineaux (ancienne ville ouvrière et communiste, le frère de Manouchian y vivait d’ailleurs pendant la guerre) et entretient visiblement avec son maire des relations suivies et amicales. Lesdites relations furent dévoilées sans vergogne par le verbiage d'un dénommé « Henri », présenté si nous avons bien saisi, comme un (voire LE) survivant du groupe FTP-MOI, mais qui se flattait ce soir-là, comme titre de gloire, d'avoir obtenu la légion d'honneur des mains de M. Santini plutôt que du président Chirac.
Passé ce sordide étalement, M. Guédiguian a tenu un bref discours de présentation sur ce film, mettant en avant ces jeunes héros dévoués à la cause de l’humanité (etc…) et insistant sur leur lien avec le mouvement ouvrier. Ce rappel était bien utile tant cet aspect paraît avoir été négligé dans le film, ainsi que le symbolise une pitoyable « Internationale » timidement fredonnée dans un bistrot. En fait, au delà de l'engagement communiste rappelé de manière très vague, c'est plus généralement toutes les questions politiques qui semblent avoir été gommées, le réalisateur ayant préféré se concentrer sur les figures de ses personnages, plutôt que sur le contexte historique et politique.

Ce choix est peut-être judicieux car, outre qu'on réduit ainsi l'écoeurante moraline habituelle dans ce genre de film, en fin de compte la focalisation sur les héros permet aux spectateurs de s'attacher à cette bande de jeunes gens plutôt sympathiques. Sympathie renforcée par l'amateurisme confondant dont ses membres font preuve, traité dans le film de manière assez humoristique (v. l’épisode de la grenade). Pourtant, il aurait peut-être fallu insister un peu plus sur ce point, car l’insouciance et l’indiscipline de ces très jeunes militants, non rompus à la clandestinité, expliquent plus certainement leur liquidation rapide par la police qu'un lâchage (voire une trahison) par le PC, comme le soutient encore une persistante rumeur... 
Notons au passage que le choix des acteurs est assez réussi, notamment pour les interprètes masculins (Simon Abkarian, Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Adrien Jolivet et l'inévitable Jean-Pierre Daroussin… ). Les rôles féminins restent mineurs, fidèles à la représentation traditionnelle, d’ailleurs vraisemblable, d'une résistance virile où les femmes se bornent aux tâches d'auxiliaires ou au repos du soldat. "Si tu veux tirer ton coup, c'est pas les femmes qui manquent" assure aimablement le futur traître Pétra (qui dévoile ainsi son rôle de félon dès sa première apparition). "Tou trraite ma femme de poute, ye vé te toué !" répond tout aussi classieusement le mari, en lui sautant à la gorge. Pendant ce temps Mélinée Manouchian (Virginie Ledoyen assez quelconque) ravitaille son homme en prison, imprime des tracts et pleure impuissante, selon l’imagerie doloriste classique. Ariane Ascaride s’en tire mieux dans son rôle pourtant tout aussi étroit de « mère de martyr ».
L'enchaînement des attentats, un peu trop flamboyants pour être crédibles, et des arrestations permet cependant de suivre le film sans trop s'ennuyer. Que demande le peuple ? Malheureusement, comme précisé plus haut, on n'échappe pas à quelques bonnes intentions pédagogiques qui, comme de juste, tombent trop souvent à plat. Ainsi de ce général allemand qui, après avoir déclaré qu'il "faut terroriser les terroristes" (M. Pasqua appréciera), insiste longuement sur le rôle décisif de la police française dans la rafle du Vel d'hiv, en donnant force détails aux policiers qui, venant juste d’achever la besogne en question, sont parfaitement au courant et s'ennuient autant que le spectateur de ces "révélations".
Le film se termine sur la lecture de la très belle lettre d'adieu de Manouchian (quoique expurgée de ses imprécations contre le traître et les lâcheurs). Les spectateurs applaudissent bruyamment, avant de se lever précipitamment et de déguerpir en constatant, une fois les lumières allumées, que les stars de la soirée avaient levé le camp pendant la séance et qu'il n'y aurait donc ni débat ni buffet.

Pour ceux qui aiment les films sur la Résistance, on conseillera L'Armée des ombres de Melville (1969), aux couleurs crasseuses et aux belles gueules de gangsters. Ceux qui préfèrent les films sur des jeunes gens courageux, beaux et bêtes mais aux idéaux élevés regarderont avec profit le récent La Bande à Baader de Uli Edel (2008).
Enfin à ceux qui préfèrent lire, on suggérera Liquider les traîtres, la face cachée du PCF, 1941-1943 de J-M Berlière et F. Liaigre, Robert Laffont (2007).

Bruno FORESTIER

Images : le réseau Manouchian présenté à la presse (Studiocanal) et "l'affiche rouge" rendue célèbre par Aragon.
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7 commentaires:

  1. "Le film se termine sur la lecture de la très belle lettre d'adieu de Manouchian (quoique expurgée de ses imprécations contre le traître et les lâcheurs)"
    Historiquement la lettre fut "expurgée" par le PCF, lors des premières publications, afin d'éviter les controverses.
    Guédiguian étant un ancien du PCF, on comprend mieux cet "oubli"...

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  2. Il n'empêche qu'on voit le dénommé Pétra trahir les siens. Donc, le réalisateur n'a pas non plus tenté d'esquiver cette trahison…

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  3. Dans Libé on a cette précision :"Celui qui a trahi, c’est Joseph Davidowicz, le commissaire politique du groupe qui, après son arrestation, a craqué et commencé à travailler pour la Gestapo…"

    Toujours se méfier des commissaires politiques!

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  4. Par ailleurs on peut voir le documentaire "Des terroristes à la retraite", de Mosco Boucault réalisé en 1985 qui accrédite la thèse d'un PCF abandonnant les siens, thèse abandonnée définitivement suite à l'ouverture des archives de la police.

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  5. On s'intérroge sur les aproximations historiques, pourquoi rafle du Vel' d'Hiv est elle datée de 43 ?
    Le film insiste en effet beaucoup sur la responsabilité de la police française s'inscrivant dans le discours de Chirac de 95 : "450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis."

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  6. Qui prétend que la rafle est datée de 43 ?
    Autre documentaire intéressant à voir : "La traque de l'affiche rouge", en ligne sur Dailymotion (4 parties).

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  7. Le fllm date la rafle de 43 pour des raisons de scénario et de nombreux commentateurs s'en emmeuvent sur ce point : en écoute à la carte "La Fabrique de l'Histoire" par Emmanuel Laurentin sur le site de France Culture, qui propose aussi une critique "d'Apocalypse" diffusé sur France 2 en ce moment avec une visée éducative affichée et qui reprend sans distance plusieurs clichés.

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