Parce que la télévision nous habitue à entendre une quantité élevée de faussetés, mensonges et autres inepties, il nous semble utile d’en relever un récent exemple qui servira de prétexte à la relation d’un épisode peu connu.
Lors de l’émission “On n’est pas couché” du 5 septembre dernier, sur France 2, M. Éric Zemmour, célèbre pour son franc-parler, s’est en effet distingué par une erreur toute historique dont l’immensité, nous n’en doutons pas, le fera rougir dès qu’il s’en apercevra.
Regardons ces images (à partir de la fin de la 4e minute).
À propos d’un passage du livre de Lorànt Deutsch (Métronome, L’histoire de France au rythme du métro parisien) consacré au sac de la nécropole royale de Saint-Denis sous la Révolution, Laurent Ruquier évoque, ouvrage en main, la profanation du tombeau d’Henri IV. Il explique alors que Maximilien de Robespierre, se trouvant là lors de ces événements, arracha la barbe du bon roi. Heureusement, Lorànt Deutsch et Éric Zemmour interviennent aussitôt pour le corriger puisque, selon eux, Robespierre ne préleva que “deux poils”(on note leur scrupule du détail) avant de les glisser dans sa poche (et Zemmour de faire le geste pour mieux narrer ce haut fait). Cette anecdote ravit Ruquier qui regrette de ne l’avoir pas apprise en cours d’histoire. De fait, chacun conviendra que cette affaire de poils volés par l’Incorruptible est au moins cocasse. Mais voyons plutôt les faits véritables…
Dans la basilique de Saint-Denis, le 12 octobre 1793, les ouvriers mandés par la Convention s’attaquèrent à la démolition de la crypte contenant les corps des Bourbons. Le premier tombeau ouvert fut celui d’Henri IV, mort assassiné le 14 mai 1610. L’assistance fut frappée par le parfait état de conservation du cadavre et, posé contre un pilier, le roi resta ainsi exposé pendant deux jours.
Max Billard, qui raconte cet épisode dans son livre “Les tombeaux des rois sous la Terreur” (1907), ne mentionne nulle part la présence de Robespierre. De la part d’un auteur qui ne cache pas sa haine de la Révolution tout le long de son passionnant ouvrage, il est évident qu’il ne s’agit pas là d’un oubli. On se doute que l’Incorruptible avait d’autres têtes à couper en cette période fort tourmentée de la Révolution. Du reste, il s’opposait ouvertement à la déchristianisation dont le sac de la basilique était un des épisodes (Robespierre fit décréter la liberté des cultes le 8 décembre 1793). Mais plus intéressante est l’anecdote que rapporte l’ouvrage de M. Billard et dont la source, nous dit-on, est absolument digne de foi puisqu’elle émane d’un témoin oculaire de la scène :
Un soldat […] se précipita sur le cadavre du vainqueur de la Ligue, et, après un long silence d’admiration, il tira son sabre, lui coupa une longue mèche de sa barbe qui était encore fraîche, et s’écria en même temps en termes énergiques et vraiment militaires : “Et moi aussi je suis soldat français ! Désormais, je n’aurai plus d’autre moustache”.
Ce rasage post-mortem (ici attribué à un soldat et dans une proportion plus généreuse que les deux poils déjà évoqués) fut suivi de diverses démonstrations du même acabit : une femme gifla le cadavre et le fit dégringoler du pilier auquel il était adossé, un homme lui enleva deux dents, un autre préleva une manche de sa chemise, etc. Plus intelligent, un sculpteur présent sur les lieux fit le moulage de la tête du roi. Enfin, le cadavre ayant suffisamment amusé la foule, on s’en débarrassa dans une fosse qu’on recouvrit d’un lit de chaux. Comme on le voit, Robespierre ne prit aucune part à ces festivités. L’aurait-il fait, on peut légitimement penser qu’il ne se serait pas abaissé à un geste aussi ridicule ! Il est vrai que Camille Desmoulins préleva plus tard un doigt (oui, un doigt !) au cadavre de Turenne, cadavre qui fit l’objet d’un marché juteux ; mais Desmoulins était-il bien sérieux ?
Quoi qu’il en soit, voilà comment le chef de la Montagne, par la grâce de Lorànt Deutsch et Éric Zemmour (mais qui est à l’origine de cette légende ?), est désormais considéré comme un vulgaire collectionneur de reliques royales…
KLÉBER
Source : Les tombeaux des rois sous la Terreur, Max Billard, Éd. Perrin (1907).
Image : « Henri IV exhumé », d’après le dessin d’un témoin oculaire, gravé au début de la Restauration.
Image : « Henri IV exhumé », d’après le dessin d’un témoin oculaire, gravé au début de la Restauration.
Le sujet est sympa. Et le style de l'article me rappelle les Historia de la grande époque !
RépondreSupprimerBonne continuation.
Sacré Zemmour, première émission, premier plantage. L'imposture démasquée! C'est pas trop tôt...Il devrait continuer à lire Tintin, historiquement c'est moins risqué...
RépondreSupprimerCeux qui l'aiment y regarderont d'un peu plus près !
En complément :
RépondreSupprimerExtrait du livre de Jean Raspail : Le Roi au-delà de la mer – Albin Michel, 01-2000
Au milieu d’une foule surexcitée qui encourageait de la voix et du geste les terrassiers, on commença à creuser aux abords immédiats de la basilique deux fosses carrées. La première était destinée à recevoir les ossements des Bourbons, la seconde ceux des Valois et des Capétiens directs, ainsi que les restes des rois des deux premières races, si l’on en retrouvait quelque chose. Puis l’on enfonça au bélier les portes de la crypte où s’alignaient les tombes royales sur plusieurs niveaux de profondeur. Le premier «tyran» forcé dans son repos éternel fut le bon roi Henri IV. Lorsqu’on eut fait sauter le couvercle de son cercueil, son corps apparut presque intact. Dans l’air raréfié de la crypte, il répandait une forte exhalaison d’aromates. Ce roi-là sentait bon. Ce ne fut pas le cas des autres. Son visage était admirablement conservé, la barbe presque blanche, les traits à peine altérés. Le cadavre fut ainsi dressé, comme un mannequin, et adossé à un pilier. La foule qui l’entourait, impressionnée, suspendit un instant sa haine. Allait-elle tomber à genoux, en témoignage d’ancien respect ? Mais la loi qui régit les masses humaines ne souffre pas d’exception : c’est toujours le plus vil qui l’emporte. Se poussant au premier rang, un courageux sectionnaire tira son sabre et coupa ras une mèche de barbe dont il se fit une moustache postiche sous les rires et les applaudissements. Puis ce fut le tour d’une mégère qui gifla le roi à toute volée, si fort que son corps tomba à terre. Après des heures d’outrages et d’insultes, réduit à l’état qu’on peut imaginer, il fut balancé sans ménagements, le premier, dans la fosse des Bourbons.
Merci pour ta contribution Pro Domo. Tout ce que dit ce bon vieux réac de Jean Raspail confirme nos propos. Ce n'est pas lui non plus qui aurait oublié de citer Robespierre…
RépondreSupprimerVoir aussi une nouvelle d'Alexandre Dumas, "Les tombeaux de Saint-Denis" (in "Les mille et un fantômes"), selon laquelle un ouvrier aviné aurait arraché la barbe de la main gauche, "tandis que de la droite, il donnait un soufflet au cadavre royal". "Aussitôt, un grand cri s'était élevé de tous côtés. A tel autre roi que ce fut, on eut pu risquer un pareil outrage ; mais à Henri IV, au roi du peuple, c'était presque un outrage au peuple." S'ensuit une vengeance d'outre-tombe du bon Henri…
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