samedi 26 septembre 2009

Quelques mots sur "Un prophète"

M. Jacques Audiard, réalisateur d’Un prophète, présente son film comme un anti Scarface ; c’est pourtant bien l’histoire d’une ascension sociale « à l’abri » des barreaux d’une prison centrale, qui nous est racontée. Reprenant une idée reçue sur la prison : on y rentre pour une infraction mineure et on en sort prêt pour le grand banditisme, Audiard s’attache, grâce une réalisation collant à la réalité carcérale et une image sans fard, à présenter la prison comme une école du crime.

Malik (Tahar Rahim, Grand Prix au festival de Cannes 2009) est incarcéré pour 6 ans. Il entre dans la prison comme il a vécu, sans comprendre grand-chose : sans éducation, sans parents, sans religion, sans langue maternelle... Il est seul et a l’air hébété. Ce statut, nous met d’emblée dans une situation de sympathie vis-à-vis du jeune héros, qui semble innocent. Victime désignée dans cet univers hostile, Malik va, au fil des événements, prendre sa place et ne plus être le jouet du sort.
Tahar Rahim se montre excellent dans cette métamorphose, de même que la galerie de petites frappes et de parrains qui l’entoure et qui n’apparaît jamais caricaturale. C'est sans doute pourquoi, on ne voit pas passer les 2 h 35 min du film, mélangeant les scènes-chocs à la métaphore animalière. Audiard, recrée un univers dont la trame est connue aux joueurs de GTA : on effectue des missions de plus en plus périlleuses pour finir par prendre la place du caïd. Références à Tony Montana et aux jeux vidéo qui n’échapperont pas aux adeptes de la culture rap, ni à ceux qui tirent une certaine fierté d’avoir été en « zonzon ».
Alors, le scénario échappe-t-il aux poncifs ? Pas vraiment : il y a d’abord le succès à tout coup du jeune premier à l’intelligence ignorée. Sa chance et son audace sont insolentes et lui assurent une progression sans faille dans un monde de gangsters, ce qui en fait un vrai héros. Ensuite, on n'échappe pas au cliché du voyou au grand cœur et plein d'honneur ; certes il accepte d'exécuter, mais c'est pour mieux prendre soin financièrement de la femme et du fils de son meilleur ami atteint d'un « cancer des couilles ».
Est-ce un film immoral ? Évidemment, on pourrait répondre par la négative : Un prophète, film à message montrant les ravages de la prison sur les individus, par la corruption, la promiscuité, la misère… Mais au sortir des six années, c’est un dénouement heureux que nous propose Audiard ; l’évolution du jeune Malik n’est pas tragique comme on aurait pu s’y attendre. C’est plutôt le mode d’emploi du parfait truand, avec une illustration de toutes les perspectives offertes par l’administration pénitentiaire aux esprits cupides qu’elle renferme en ses murs. De ce point de vue, le film pourrait verser dans la provocation tant par son immoralité, que par son absence de tragique. Le héros est assailli de remords pendant la première partie du film puis, quand enfin il peut choisir de prendre la décision de tuer, il se trouve libéré, la culpabilité disparaît. Si l’objectif du film est de nous montrer Malik comme un animal pris dans les phares d’une voiture, condamné à aller toujours plus loin et plus vite en baissant la tête, c’est raté. Il peut décider à de nombreuses reprises de sa destinée et il affiche clairement son ambition de sortir de la prison en haut de l’échelle de la voyoucratie.

Enfin, Un prophète sera-t-il un film générationnel ? Le héros est franco-arabe, sa double culture lui permet de naviguer dans tous les milieux. Après avoir été le protégé des « Corses », c’est vers  ses « frères musulmans » qu’il finit par aller, permettant à ces derniers de renverser l’ordre hiérarchique parmi les prisonniers. Ce passage d’un clan à un autre pourrait être vu comme un reflet du communautarisme ambiant. Malik sera-t-il un modèle dans les prisons et les cités de non-droit pour les années à venir ? En prenant le film au pied de la lettre, on répondrait que oui. Mais ce serait une erreur. En effet, la préférence de Malik va aux plus forts, c’est-à-dire aux plus nombreux et dès lors c’est plus en opportuniste qu’en communautariste qu’il agit, se moquant autant des barbus que des Corses du moment qu'il les « contrôle ». 
Il reste encore que Un prophète, par son style (ici on est proche du documentaire), son orchestration impeccable, est ce qu'on appelle couramment un film d’auteur. Scarface a pu être un film générationnel parce que, saturé de scènes spectaculaires et porté par une star (Al Pacino), il visait un grand public. Rien de tel dans ce film qui, sans manquer de fortes scènes ni d'audience (déjà un million de spectateurs), demeure confiné dans l’espace qu’il donne à voir (le huis-clos de la prison), et sans doute aussi dans le public qu’il touche, plus germanopratin bobo que lascar du 9-3.

GV

Images : affiche du film et photo du site officiel.
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4 commentaires:

  1. On pourrait aussi discuter du titre de ce film qui est un peu une tromperie sur la marchandise, non ?

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  2. Eh bien si, car tel est mon avis ! On s'attend à un film plein de prophéties et on se trouve en face de deux ou trois visions d'une banalité confondante. Je parle donc d'escroquerie.

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  3. Vous vous attendiez à un film plein de prophéties ? Malgré un matraquage médiatique de plusieurs semaines dévoilant l'intrigue du film de long en large et en analysant le plus minable artifice ?
    Votre mauvaise foi paraît franchement ahurissante et je me demande si vous n'êtes pas un agent provocateur, tentant de faire exploser le nombre de commentaires sur cet article, avec des questions d'une "banalité confondante".
    Sur le film, qui certes est un cran en dessous de ce qu'on annonçait, je pense qu'il vaut mieux cependant que la description qu'en donne l'article. Je reviendrai dessus éventuellement dans un autre post, pour peu que la qualité du débat s'améliore.
    Un ami de ce blog.

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