Bien moins
connu que Charlotte Corday
– sans doute en raison de sa victime qui contrairement à Jean-Paul Marat et en dépit de deux stations de métro
parisien demeure pour beaucoup aujourd’hui un parfait inconnu – Philippe
Nicolas Marie de Pâris (1763-1793) partageait cependant avec la jeune Normande un tempérament tout aussi exalté et
une dangereuse fascination pour les armes blanches qu’ils ne tardèrent pas à
transformer l'un comme l'autre en une coupable activité contre les régicides.
Contrairement
à une rumeur tenace, alimentée entre autres dans la littérature enfantine par le
couple Kupferman dans Le
Complot du télégraphe,
nous savons désormais que Pâris ne réussit pas à gagner l’Angleterre après son
crime atroce, mais fut finalement rattrapé par le sort qui lui était réservé
depuis le début de la Révolution et auquel il avait réussi à échapper pendant de longues années.
C’est que ce
jeune homme de bonne maison avait pu longtemps bénéficier en cette période cruciale
de la coupable mansuétude des braves patriotes qui avaient pris les armes
contre la tyrannie, malgré son implication répétée et prouvée dans un nombre
invraisemblable de mauvais coups contre la Révolution.
Remontons à
l’année 1789. À cette époque, Pâris est encore membre du corps des « Gardes
du Corps », quatre
compagnies d’élite attachées à la protection des personnes de la famille
royale. Le fait qu’on ne pouvait entrer aux Gardes que lesté de ses seize
quartiers de noblesse, mais qu’on était assuré d’en sortir les poches pleines
de récompenses plus consistantes qu’un arbre généalogique, explique fort bien
l’attachement fanatique que montrèrent aux Bourbons ces desperados de la monarchie.
C’est à eux
qu’on doit, en pleine période de disette, le fameux « banquet » du 1er octobre 1789, pendant lequel
fut piétinée la cocarde tricolore. Cette orgie imbécile, à laquelle participa le
couple royal, peut presque être considérée aujourd’hui, comme le pot de départ
des représentants les plus caractéristiques du parasitisme féodal à la
croulante et dispendieuse monarchie française. De fait, une semaine plus tard,
la foule des Parisiens criant famine, venue chercher à Versailles, « le boulanger, la boulangère et le
petit mitron », s’emparait sans coup férir du Château. Lors de cet
événement, les « Gardes du Corps », après avoir abattu sans sommation
un malheureux ouvrier, provoquant de ce fait la charge furieuse de la foule, se
ridiculisèrent, en s’enfuyant ou en se rendant en masse – au point de laisser Antoinette en péril de mort n’être défendue que par
quelques laquais. En fait, à l’exception d’une poignée d’entre eux qui eurent
le bon goût de se faire tuer, tous les autres mirent bas les armes sans panache et ne durent leur salut qu’à cette
future vieille mule de La Fayette qui, réveillé sur le tard, arriva cependant à temps pour les sauver de
la pendaison groupée, en exhibant l’un d’eux à une fenêtre du château, cocarde
tricolore bien en vue et beuglant lamentablement « Vive la Nation ».
Puis ce fut le retour triomphal à Paris, auquel prirent part les Gardes du
Corps, désarmés, têtes basses, encadrés par la garde Nationale parisienne et
houspillés par la foule. On imagine fort bien que le jeune Pâris dut être, tout
comme ses compères, assez défavorablement impressionné par ces événements.
Les
« Gardes du corps » officiellement dissous peu de temps après, ces
gentilshommes désormais sans occupation continuèrent de grenouiller auprès des
Capets et de mener une agitation factieuse.
La « Journée
des Poignards » du 28
février 1791, durant laquelle ces sémillants jeunes gens qui s’étaient
regroupés aux Tuileries en vue d’une prise d’armes furent désarmés sans peine
par les Gardes Nationaux et une nouvelle fois houspillés par les Parisiens
goguenards, ne sembla pas le moins du monde calmer leurs ardeurs. Désormais
connus sous le ridicule sobriquet des
« Chevaliers du Poignard », ils s’entêtèrent dans de chimériques projets
d’évasions (on les retrouve cochers et postillons lors de la fuite à Varenne) et redorèrent leurs blasons écornés pendant
la journée du 10 août en
ouvrant sans sommation le feu sur les sans-culottes assemblés, provoquant ainsi
la sanglante bataille qui allait se terminer de manière funeste pour la
monarchie et surtout pour les malheureux Gardes Suisses et domestiques du château, qui furent
promptement égorgés par les vainqueurs de la journée, pendant que nos coquets
gentilshommes – dont le dénommé Pâris – qui ce jour ne portaient pas
d’uniformes se dispersaient tranquillement parmi la foule.
Enfin, après
avoir participé à tant de mauvais coups, Pâris se décida à frapper plus fort
encore, visant, pas moins, que cette mazette de Philippe-Egalité qui jouissait encore à cette époque d’un
certain prestige, mais dont on devait découvrir quelque temps après qu’il
n’était qu’un vulgaire ambitieux. Du reste, il était trop entouré pour être
facilement atteint, et ce fut vers l’un des proches de celui-ci, Louis-Michel
Lepeletier de
Saint-Fargeau, fils de
l’ignoble persécuteur de Jean-Jacques soit dit en passant, que ce jeune désespéré tourna
sa rage homicide. Gaillardement attablé à la table du sieur Février, cafetier de son état au Palais-Royal, Lepeletier prenait dans la soirée du 20
janvier, un repas bien mérité après avoir voté la mort du roi, quand il fut
soudainement massacré à coup de sabre par Pâris, sous les yeux ébahis des
badauds qui n’en demandaient pas tant. Une fois son crime accompli, ce furieux
qui disposait visiblement de plus de cruauté que d’imagination, ne trouva rien
de mieux à faire que d’aller tranquillement se « cacher » chez sa
parfumeuse de maîtresse, sise quelques pas plus loin, place du
Palais-Royal !
Finalement,
ayant pris conscience que la République, quoique bonne fille, ne saurait
souffrir qu'on assassinât ses
conventionnels pour un oui ou pour un non, cette canaille décida de migrer vers
l'Angleterre. Après un
voyage sans hâte, sans crainte et sans remords, et quoique presque arrivé à bon
port, il fut stupidement démasqué en faisant quelques emplettes au marché, où
il se livra à un grotesque scandale d'ivrogne, insultant outrageusement la
Révolution. Scandalisé d'un tel langage qui trahissait quelque peu son
aristocrate, un marchand de lapins lui demanda, en vain, de modérer sa fureur,
sous peine d’avertir la milice. Pris d’un accès de démence meurtrière, Pâris se
saisit finalement d'un de ses pistolets et l'appliquant contre son crâne, fit
feu à bout pourtant, apposant une fin sans gloire à une vie sordide.
La Convention gratifia l'héroïque marchand de lapins de
1200 livres dont on espère qu'il les convertit bien vite en biens nationaux
arrachés au Clergé.
Bruno FORESTIER
Images : Mort de Le Pelletier de Saint-Fargeau (source Gallica), gravure représentant le banquet des Gardes du Corps (source ici), dessin de Prieur représentant le désarmement des Chevaliers du Poignard par la Garde nationale (source ici), L'assassinat de M. Le Pelletier par Desrais (source Gallica), Les Derniers Moments de Lepeletier, gravure par Tardieu d'après le tableau de David disparu au XIXe siècle (source ici).