lundi 2 novembre 2009

Une trame puissante*

À défaut d'avoir lu le nouveau Goncourt décerné aujourd'hui à Marie Ndiaye pour son livre Trois femmes puissantes, nous nous permettrons de conseiller vivement la lecture d’un court récit publié en 1967 : La confession du pasteur Burg. Son auteur, l’écrivain suisse Jacques Chessex (prix Goncourt de l’année 1973 pour L’ogre), est mort le 9 octobre dernier à l’âge de 75 ans.
Alors même que ce titre n’a rien de bien attrayant, il suffit de quelques lignes pour pénétrer dans cette histoire et ne plus la quitter jusqu’à sa conclusion. En une centaine de pages, Chessex parvient à captiver le lecteur par la fluidité parfaite de cette confession qui n’est pas sans faire songer au Nœud de vipères de Mauriac.

L’écriture est belle et agréable quoique d’une facture très classique. Elle rappelle le style d’André Gide et l’histoire elle-même nous invite à faire ce rapprochement, s’agissant d’un pasteur qui se confie ainsi que l’était pareillement le narrateur de La symphonie pastorale.
Cette impression de récit gidien est en outre renforcée par l’atmosphère : quelques indices ont beau nous montrer que l’action se passe au cours des années soixante, le récit reste somme toute intemporel. Le narrateur, Jean Burg, tout jeune pasteur, raconte comment il entame son ministère en prenant la suite d’un vieux pasteur dans un village des montagnes suisses « connu pour son avarice, sa dureté et sa fidélité » à la Réforme. Là où son prédécesseur s’accommodait des apparents relâchements et excès de sa paroisse, Burg décide de remettre de l’ordre car il « aime l’ordre avec une espèce de fureur ». On sent déjà quel fanatisme guide le jeune pasteur qui décide d’appliquer la loi de Dieu telle que l’a enseignée son maître, Calvin, dont il relit sans cesse les Institutions. Mais choquée par les sermons accusateurs du jeune pasteur, la population regimbe et le contraint même à plier. Burg décide alors de louvoyer en faisant mine de se montrer plus tolérant avec ses ouailles. Il médite pourtant une vengeance spectaculaire qu’il compte bien faire éclater après plusieurs mois de calme factice…
Disons tout de suite, sans rien dévoiler de l’intrigue, que ce récit ne cherche nullement à nous peindre en mal la prétendue dépravation d’un village reclus. Au contraire, à travers le regard du pasteur Burg que sa terrifiante aventure ne paraît pas avoir changé, c’est au combat entre un indéniable fanatique et une population paisible que l’on assiste…
Ajoutons enfin pour l’anecdote que c’est précisément au cours d’une conférence consacrée à ce récit que Jacques Chessex a trouvé brutalement la mort il y a de cela quatre semaines…

Lucien JUDE

La confession du pasteur Burg de Jacques Chessex, réédité aux éditions Bourgois en 1997.

* On excusera l'auteur pour son jeu de mot d'actualité…

Image : Jacques Chessex (source ici).
Blogger

5 commentaires:

  1. D'un coté le prix Goncourt de la bien pensance et de l'autre, le prix Renaudot du meilleur réseau gremanopratin.

    La littérature, elle se cache où ?
    Surement chez des gens comme Chessex.

    RépondreSupprimer
  2. PS : mourir en défendant Polanski quand on s'appelle Chessex ça ne manque pas de piquant* !


    * On excusera l'auteur...

    RépondreSupprimer
  3. Cher Vernet, c'est en effet une autre histoire que celle du Goncourt 2009 mais elle nécessite quelques mots : Ndiaye méritait selon tous ce prix. Alors pourquoi dire partout qu'on récompense une femme issue de la diversité ? Quel intérêt à part discréditer sa récompense ? Je ne parle même pas de Beigbeder qui a récolté le fruit de plusieurs mois d'intense promotion…
    Disons que la littérature se cache sans doute aussi chez Ndiaye mais qu'en l'espèce elle a été engloutie par l'hystérie générale autour de son prix.

    RépondreSupprimer
  4. Il faudrait une dose d'anonymat dans les prix littéraires, comme dans les nouveaux CV...

    D'ailleurs, la seule fois où l'anonymat fut tenté, ce fut un succès total ! Merci encore Émile !

    RépondreSupprimer