L'Enfer, un film inachevé qui porte bien
son nom. Le documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea rend compte du tournage désastreux de ce film d’Henri-Georges
Clouzot jamais sorti en salle ; il
s’y emploie de manière chronologique, en mélangeant les scènes tournées par
Clouzot avec des images d’archives et les commentaires actuels des
intervenants. Le hasard est à l’origine de ce projet, né de la rencontre de la
veuve Clouzot et de Bromberg dans un ascenseur en panne.
En 1964, Henri-Georges Clouzot,
déjà connu, entre autres, pour Quai des Orfèvres ou Le salaire de la
peur, décide de
tourner un film révolutionnaire mettant en scène une jeune femme (Romy
Schneider) et son mari jaloux (Serge
Reggiani) en proie aux fantasmes les plus
obscurs. Seulement, comme l’explique Clouzot lors d’une interview : comment
faire passer au public, en un peu plus d’une heure, ce qu’un homme a mis dix
ans à construire ?
Le défi est à la hauteur du
réalisateur et la Columbia lui accorde
un budget illimité.
Clouzot se lance alors dans une
recherche cinématographique inédite, explorant visuellement du côté de l’art
cinétique et musicalement du côté de l’électro-acoustique.
Les réalisateurs de L'enfer d'Henri George Clouzot ont fait intervenir
les petites mains de l’époque : script, cadreurs, assistants, qui décrivent le film et l’ambiance plus que mauvaise du tournage. On regrette le
caractère psychologisant de certains commentateurs.
Si l’on devait diagnostiquer ce pauvre mari jaloux, à l’aune de la mise en
scène, ce serait plutôt du côté de la folie et de la psychose. On aurait par ailleurs aimé avoir le point de vue des acteurs du tournage, même de manière
indirecte.
Le documentaire puise dans les 13
heures de rush subsistantes, mais les scènes reprises n’étant pas accompagnées
de la bande sonore, deux acteurs (Bérénice Béjo et Jacques Gamblin) reprennent
scénario en main, quelques répliques marquantes, dans un décor noir qui, malgré
sa sobriété, jure avec les plans magnifiques de Clouzot.
Ainsi, le film devait être divisé
en deux parties : les images en noir et blanc pour la vie quotidienne, celles
en couleur pour les fantasmes du mari jaloux. Même si l’on n’en voit pas assez
à notre goût, les quelques scènes tournées sont impressionnantes. Celles,
expérimentales, sublimant Romy Schneider et la belle Dany Carrel, tout en couleur et en paillettes, sont, pour
l’époque, d’une inventivité esthétique osée (dont on retrouvera quelques traces
chez Godard notamment dans Pierrot
le fou). Les autres
de facture classique au « millimètre-cadre » en nature, au bord d’un
lac, très léchées, nous laissent entrevoir la grande liberté de ton pour
l’époque pré-68, notamment une scène d’amour entre les deux héroïnes. C’est
précisément pendant cette scène que Clouzot aurait eu son attaque cardiaque
l’obligeant à mettre fin au tournage…
Romy Schneider et toute l’équipe
furent soulagées, car la production, très en
retard, avait déjà dû faire face au départ de Reggiani pour cause de fièvre
de Malte (presque remplacé par Jean-Louis
Trintignant), mais surtout à une
mésentente générale avec Clouzot.
Ce qui ressort principalement du
documentaire : dans sa forme, le découpage chronologique nous laisse un
peu sur notre faim, les rushs sont assez minces, les mêmes images reviennent
souvent, la musique est plutôt bien ajustée, mais la vraie bande sonore nous
manque beaucoup, faiblement suppléée par les comédiens. Sur le fond, les commentaires des
personnes présentent sur le tournage sont assez durs pour Clouzot, la voix off
est plus pertinente quant aux explications sur la recherche cinématographique
de ce dernier. Évidemment, les effets visuels, révolutionnaires pour l’époque,
nous apparaissent désuets, mais bien replacés dans leur contexte par le
documentaire, ils prennent toute leur valeur et les techniciens en témoignent
bien.
C’est au final un bon rendu de
l’impossibilité pour Clouzot de faire une œuvre qui lui tenait trop à coeur et
qui était trop ambitieuse. Ayant fait des dizaines d’heures d’essai visuel en
studio et refaisant sans cesse ses prises en extérieur, son perfectionnisme ne
lui permit pas de mener son film à bien. Au vu d’un tel projet, on le regrette
infiniment.
GV
Schneider et Trintignant dans film de Clouzot ça aurait eu de la gueule.
RépondreSupprimerMais Reggiani est très bon dans son rôle de mari jaloux. Hélas, il était trop prévenu contre Clouzot ("je la connais La Clouze"), qui n'a pas été tendre non plus, notamment en le faisant courir jusqu'à épuisement derrière une voiture pour obtenir un plan.
C'est vrai qu'il s'agissait d'un projet fort prometteur. Clouzot y était-il pour autant si attaché ? Ce n'est pas certain. Il n'a d'ailleurs jamais tenté de recommencer.
RépondreSupprimerClaude Chabrol a en tout cas choisi de reprendre le scénario pour réaliser en 1994 "L'enfer" avec Emmanuelle Béart dans le rôle de Romy Schneider et François Cluzet dans celui de Reggiani.
Le maquillage des lèvres des jeunes filles en bleu est assez morbide.
RépondreSupprimerJe pense comme GV que Clouzot avait mis beaucoup de lui dans ce projet, il était trop investi, c'est sûrement pour cela qu'il fut si paralysé dans sa réalisation.
RépondreSupprimerAinsi, il n'est pas étranger aux fantasmes qu'il met en scène, on peut même penser que ce sont les siens et qu'il en a une idée si précise, qu’il n’est jamais satisfait de leur rendu sur pellicule. C’est la fameuse phrase comment faire passer en une heure un fantasme qui a mis 10 ans à se former dans la tête d’un homme
Il fut écrasé par son chef d’oeuvre.
Plutôt que de la simple jalousie, c'est du côté de la paranoïa que penche le mari. Tout fait signe dans le sens de l'adultère, donnant lieu à une déformation de la réalité assez impressionnante. Clouzot prévoyait d’ailleurs un jeu sonore proche de l’hallucination auditive.
RépondreSupprimerVivement le DVD,on aura droit à 1h30 d'images inédites en bonus!!
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