vendredi 13 novembre 2009

Un tournage en enfer

L'Enfer, un film inachevé qui porte bien son nom. Le documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea rend compte du tournage désastreux de ce film d’Henri-Georges Clouzot jamais sorti en salle ; il s’y emploie de manière chronologique, en mélangeant les scènes tournées par Clouzot avec des images d’archives et les commentaires actuels des intervenants. Le hasard est à l’origine de ce projet, né de la rencontre de la veuve Clouzot et de Bromberg dans un ascenseur en panne.
En 1964, Henri-Georges Clouzot, déjà connu, entre autres, pour Quai des Orfèvres ou Le salaire de la peur, décide de tourner un film révolutionnaire mettant en scène une jeune femme (Romy Schneider) et son mari jaloux (Serge Reggiani) en proie aux fantasmes les plus obscurs. Seulement, comme l’explique Clouzot lors d’une interview : comment faire passer au public, en un peu plus d’une heure, ce qu’un homme a mis dix ans à construire ?
Le défi est à la hauteur du réalisateur et la Columbia lui accorde un budget illimité.
Clouzot se lance alors dans une recherche cinématographique inédite, explorant visuellement du côté de l’art cinétique et musicalement du côté de l’électro-acoustique.
Les réalisateurs de L'enfer d'Henri George Clouzot ont fait intervenir les petites mains de l’époque : script, cadreurs, assistants, qui décrivent le film et l’ambiance plus que mauvaise du tournage. On regrette le caractère psychologisant de certains commentateurs. Si l’on devait diagnostiquer ce pauvre mari jaloux, à l’aune de la mise en scène, ce serait plutôt du côté de la folie et de la psychose. On aurait par ailleurs aimé avoir le point de vue des acteurs du tournage, même de manière indirecte.
 
Le documentaire puise dans les 13 heures de rush subsistantes, mais les scènes reprises n’étant pas accompagnées de la bande sonore, deux acteurs (Bérénice Béjo et Jacques Gamblin) reprennent scénario en main, quelques répliques marquantes, dans un décor noir qui, malgré sa sobriété, jure avec les plans magnifiques de Clouzot. 
Ainsi, le film devait être divisé en deux parties : les images en noir et blanc pour la vie quotidienne, celles en couleur pour les fantasmes du mari jaloux. Même si l’on n’en voit pas assez à notre goût, les quelques scènes tournées sont impressionnantes. Celles, expérimentales, sublimant Romy Schneider et la belle Dany Carrel, tout en couleur et en paillettes, sont, pour l’époque, d’une inventivité esthétique osée (dont on retrouvera quelques traces chez Godard notamment dans Pierrot le fou). Les autres de facture classique au « millimètre-cadre » en nature, au bord d’un lac, très léchées, nous laissent entrevoir la grande liberté de ton pour l’époque pré-68, notamment une scène d’amour entre les deux héroïnes. C’est précisément pendant cette scène que Clouzot aurait eu son attaque cardiaque l’obligeant à mettre fin au tournage…

Romy Schneider et toute l’équipe furent soulagées, car la production, très en retard, avait déjà dû faire face au départ de Reggiani pour cause de fièvre de Malte (presque remplacé par Jean-Louis Trintignant), mais surtout à une mésentente générale avec Clouzot.
Ce qui ressort principalement du documentaire : dans sa forme, le découpage chronologique nous laisse un peu sur notre faim, les rushs sont assez minces, les mêmes images reviennent souvent, la musique est plutôt bien ajustée, mais la vraie bande sonore nous manque beaucoup, faiblement suppléée par les comédiens. Sur le fond, les commentaires des personnes présentent sur le tournage sont assez durs pour Clouzot, la voix off est plus pertinente quant aux explications sur la recherche cinématographique de ce dernier. Évidemment, les effets visuels, révolutionnaires pour l’époque, nous apparaissent désuets, mais bien replacés dans leur contexte par le documentaire, ils prennent toute leur valeur et les techniciens en témoignent bien.
C’est au final un bon rendu de l’impossibilité pour Clouzot de faire une œuvre qui lui tenait trop à coeur et qui était trop ambitieuse. Ayant fait des dizaines d’heures d’essai visuel en studio et refaisant sans cesse ses prises en extérieur, son perfectionnisme ne lui permit pas de mener son film à bien. Au vu d’un tel projet, on le regrette infiniment.

GV

Images et vidéo : Romy Schneider et Dany Carrel, scène au cours de laquelle Clouzot eut son infarctus (source ici), bande-annonce du documentaire « L’enfer de George-Henri Clouzot », H-G Clouzot sur le tournage de L'enfer (source ici).
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6 commentaires:

  1. Schneider et Trintignant dans film de Clouzot ça aurait eu de la gueule.
    Mais Reggiani est très bon dans son rôle de mari jaloux. Hélas, il était trop prévenu contre Clouzot ("je la connais La Clouze"), qui n'a pas été tendre non plus, notamment en le faisant courir jusqu'à épuisement derrière une voiture pour obtenir un plan.

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  2. C'est vrai qu'il s'agissait d'un projet fort prometteur. Clouzot y était-il pour autant si attaché ? Ce n'est pas certain. Il n'a d'ailleurs jamais tenté de recommencer.
    Claude Chabrol a en tout cas choisi de reprendre le scénario pour réaliser en 1994 "L'enfer" avec Emmanuelle Béart dans le rôle de Romy Schneider et François Cluzet dans celui de Reggiani.

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  3. Le maquillage des lèvres des jeunes filles en bleu est assez morbide.

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  4. Je pense comme GV que Clouzot avait mis beaucoup de lui dans ce projet, il était trop investi, c'est sûrement pour cela qu'il fut si paralysé dans sa réalisation.
    Ainsi, il n'est pas étranger aux fantasmes qu'il met en scène, on peut même penser que ce sont les siens et qu'il en a une idée si précise, qu’il n’est jamais satisfait de leur rendu sur pellicule. C’est la fameuse phrase comment faire passer en une heure un fantasme qui a mis 10 ans à se former dans la tête d’un homme
    Il fut écrasé par son chef d’oeuvre.

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  5. Plutôt que de la simple jalousie, c'est du côté de la paranoïa que penche le mari. Tout fait signe dans le sens de l'adultère, donnant lieu à une déformation de la réalité assez impressionnante. Clouzot prévoyait d’ailleurs un jeu sonore proche de l’hallucination auditive.

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  6. Vivement le DVD,on aura droit à 1h30 d'images inédites en bonus!!

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