On a appris cette semaine la mort
de José Aboulker, âgé de 89 ans.
Contrairement à ce que ce grand âge pourrait laisser penser, ce n’est pas une
ganache qui s’est éteinte. Loin s’en faut ! Il fut un grand résistant, le
« cerveau » du putsch qui paralysa Alger lors de l’opération Torch, le 8 novembre 1942.
Né en 1920 dans une vieille
famille juive d’Alger, José Aboulker commence à peine ses études de médecine lorsque la
guerre éclate. Après l’armistice de 1940, toute l’Afrique du Nord française
passe sous le contrôle de Vichy et les
lois raciales suivent aussitôt. C’est au début de l’année 1942 que José Aboulker
fait la connaissance d’Henri d’Astier
de la Vigerie. Cette rencontre entre un
juif républicain et un catholique monarchiste (ancien cagoulard de surcroît)
permet paradoxalement la réunion des divers groupements de résistance qui ont
essaimé à Alger depuis l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain.
Dès le mois de février 1942, avec
l’aide du consul américain Robert Murphy
et de quelques notables et militaires, ces résistants décident de préparer le
débarquement des troupes américaines en Afrique du Nord. C’est José Aboulker,
âgé seulement de 22 ans, qui organise méticuleusement les opérations pour
Alger. Pendant plusieurs mois, il reconnaît les lieux, note les bâtiments à
prendre en priorité, repère les postes de garde, en même temps qu’il chiffre
les opposants à arrêter et sonde les partisans prêts à diriger les opérations.
Grâce au colonel Jousse,
commandant de la Place d’Alger acquis à la cause résistante, les putschistes
peuvent obtenir des armes ainsi que des brassards destinés aux membres
du S.O.L. (future Milice) qu’ils décident d’utiliser pour prendre par ruse
les postes de garde.
Avertis du moment du
débarquement, les chefs rebelles se réunissent le 7 novembre au soir pour la
distribution des armes et, malgré les risques, commencent à rallier leurs
groupes. Les prévisions des effectifs étaient de 800 volontaires mais le manque
d’armes provoque la défection d’environ la moitié d’entre eux, ce qui ramène à
400 le nombre des partisans décidés au putsch, pour la plupart des étudiants,
lycéens ou jeunes officiers de réserve. Entre 22h et 1h, les groupes partent
remplir leurs missions : sans coup férir ils s’emparent des centres de
commandement ou les neutralisent en les encerclant. Les centraux téléphoniques
sont occupés tandis que les généraux commandant l’armée d’Afrique sont arrêtés
chez eux ainsi que les personnalités de la collaboration. Le général Juin, futur maréchal de France, vichyste à cette époque,
enfile à la hâte un burnous et passe sa garde à vue dans
cette tenue historique. L’ordre est de ne tirer sous aucun prétexte. Il évolue
au cours de la nuit lorsque commence la contre-attaque vichyste : « ne
pas tirer les premiers ».
En effet, quelques éléments de
l’armée parviennent vers 4h du matin à délivrer le général Juin et l’amiral
Darlan et ces derniers tentent aussitôt
d’organiser la reprise de la ville. Malgré le déclenchement du bombar-dement du
port par la marine américaine, les conjurés sont sans nouvelles du
débarquement. Ils ne peuvent tenir indéfiniment leurs places, étant trop peu
nombreux et ne désirant pas livrer combat. Mais les spectaculaires arrestations
dont ont été victimes les chefs de l’armée vichyste ont eu pour effet de les
persuader qu’une rébellion puissante s’est emparée d’Alger. C’est donc avec une
grande prudence et en envoyant leurs meilleures troupes qu’ils concentrent leur
attention sur les maigres groupes éparpillés dans la ville. Aboulker qui dirige
les opérations depuis le Commissariat central dont il a pris le contrôle à la
tête d’une vingtaine d’hommes ordonne aux groupes menacés de se disperser après
avoir négocié pour gagner le plus de temps possible. Il organise peu après des
raids de quatre à cinq véhicules remplis de partisans armés afin
d’impressionner les troupes qui cherchent à reprendre les bâtiments officiels.
Cette initiative réussit parfaitement et conforte les militaires vichystes dans
leur surestimation des effectifs putschistes. Pendant ce temps, le débarquement
américain peut enfin se faire, sans la moindre opposition sérieuse.
Le 8 novembre à 17h30, les généraux de l’armée d’Afrique et l’amiral Darlan sont mis devant le fait accompli : le débarquement allié a réussi et Alger est encerclé. Il ne leur reste plus qu’à signer le cessez-le-feu. Deux jours plus tard, ils sont contraints d’étendre cet ordre à l’ensemble de l’Afrique du Nord où, contrairement à Alger, les débarquements se sont heurtés à une vive résistance. Malgré plusieurs morts et des imprévus qui auraient pu être fatals, le putsch d’Aboulker a donc permis la réussite de l’opération Torch, tournant de la Seconde guerre mondiale ; le 11 novembre, l’armée allemande envahit la zone libre et Pétain, en choisissant de rester au pouvoir, signe sa trahison.
Le 8 novembre à 17h30, les généraux de l’armée d’Afrique et l’amiral Darlan sont mis devant le fait accompli : le débarquement allié a réussi et Alger est encerclé. Il ne leur reste plus qu’à signer le cessez-le-feu. Deux jours plus tard, ils sont contraints d’étendre cet ordre à l’ensemble de l’Afrique du Nord où, contrairement à Alger, les débarquements se sont heurtés à une vive résistance. Malgré plusieurs morts et des imprévus qui auraient pu être fatals, le putsch d’Aboulker a donc permis la réussite de l’opération Torch, tournant de la Seconde guerre mondiale ; le 11 novembre, l’armée allemande envahit la zone libre et Pétain, en choisissant de rester au pouvoir, signe sa trahison.
Reconnu comme l’un des artisans
majeurs de la prise d’Alger, Aboulker connaît une belle notoriété pendant les
semaines qui suivent. Mais le 24 décembre 1942, Fernand Bonnier de la
Chapelle assassine l’amiral Darlan. Ce
proche d’Henri d’Astier de la Vigerie compromet par son acte l’ensemble des
partisans du 8 novembre. C’est ainsi qu’en rentrant un soir à son domicile,
José Aboulker est arrêté et aussitôt déporté dans le Sahara avec quelques compagnons. Il n’est libéré qu’au
lendemain de la conférence de Casablanca où a lieu la fameuse poignée de mains entre les généraux de
Gaulle et Giraud, en janvier 1943. Après avoir rejoint les Forces
françaises libres à Londres, Aboulker
effectue plusieurs missions clandestines en France jusqu’à la Libération. Délégué à l’Assemblée consultative provisoire en
1944, il reprend ses études de médecine après la guerre et devient finalement
professeur de neurochirurgie.
D’une très grande modestie, il
n’a jamais cherché à refaire parler de lui. Là où certains auraient publié
quantité de livres, il s’est contenté d’un article dans les années 1950 afin de
rectifier les mémoires oublieux du maréchal Juin. Plus récemment, parce qu’il
voyait sa fin approcher, il écrivit un plus long article dans la revue Espoir en collaboration avec l’historienne Christine
Levisse-Touzé. Lorsque j’eus la chance de le rencontrer, au mois de
juin 2008, il me confia qu’il écrivait un livre sur la guerre en Afrique du
Nord : pas des mémoires mais un livre d’histoire ! C’est que José
Aboulker a toujours considéré n’avoir fait que son devoir, habituelle façon de
parler qui chez lui n’est que trop sincère.
KLÉBER
Très intéressant. Mais l'auteur devrait donner quelques précisions quant à la signification du sigle "SOL" pour désigner la "future milice" (un terme qui sonne bizarrement pour l'époque d'ailleurs, non ?).
RépondreSupprimerLe SOL, Service d'Ordre Légionnaire, était un groupement militaire de choc réunissant les plus ardents partisans de la Révolution nationale de Pétain. Ils étaient déjà dirigés par Darnand qui devint par la suite le chef de la Milice. Des groupements du SOL existaient un peu partout en "zone libre" et le commandement militaire de la ville d'Alger comptait sur ces éléments pour venir volontairement suppléer les soldats aux postes de garde en cas de débarquement allié. C'est pourquoi des brassards VP (volontaires de place) avaient été conçus afin de permettre leur reconnaissance ; ce sont ces brassards qui ont été utilisés par les 400 partisans qui firent le putsch. Cela leur permit d'arrêter sans la moindre résistance un certain nombre de militaires ou policiers qui s'imaginaient avoir affaire aux membres du SOL et cela contribua grandement à la confusion qui s'empara des vichystes.
RépondreSupprimer"Alors José ?", un article de Jean Daniel (participant au putsch) pour saluer Aboulker : http://jean-daniel.blogs.nouvelobs.com/
RépondreSupprimerTrès bon article, merci pour lui, si discret.
RépondreSupprimerLes grands journaux sont passés à côté.
@ Vernet
RépondreSupprimerOui, il est assez incroyable de constater que Le Monde, si disert sur de parfaits inconnus ou plutôt sur de parfaits crétins, n'a pas trouvé une ligne à dire sur ce résistant majeur qu'était Aboulker. Le Figaro s'est contenté d'une petite ligne alors même qu'il relatait plus longuement la mort d'un autre compagnon de la Libération, pourtant bien moins important à mon humble avis. Que dire du reste de la presse ? Un incroyable silence. Remercions donc France culture d'avoir évoqué sa mémoire vendredi dernier.
Le Monde s'est enfin décidé à publier quelque chose : http://www.lemonde.fr/carnet/article/2009/12/01/jose-aboulker-neurochirurgien-grand-resistant_1274570_3382.html#
RépondreSupprimerMais j'ai de sérieuses réserves sur le dernier paragraphe de cet article : Sauf erreur, Andrée est la sœur et non la femme de José Aboulker. Par ailleurs, il ne me semble pas que le livre qu'écrivait Aboulker était un livre de mémoires mais bien, ainsi que je l'ai relaté, un livre d'histoire.
Andrée Aboulker, elle-même médecin (dans les crèches) fut bien l'épouse de José Aboulker, sans doute à partir de la fin de la guerre, je ne le sais pas avec précision, et jusqu'à sa mort en 1993. Je les ai bien connus, ils habitaient Quai de la Tournelle à Paris
SupprimerMerci pour cette précision utile !
SupprimerJ'aime bien l'affiche dans le genre : le général Giraud expliqué aux indigènes.
RépondreSupprimerOui, c'est une vraie bande dessinée pour enfants ! On illustre notamment son évasion d'une forteresse allemande sur la droite, puis, image finale, le général Giraud sabre au clair montrant la voie de la liberté aux Français ! Ça donne des idées de ganache tout ça…
RépondreSupprimerLa moustache encore et toujours. Signe avant coureur du ganachard ?
RépondreSupprimerParfaitement, on peut dire que toute ganache se doit d'avoir une belle moustache. Notons que Aboulker n'en a pas, évidemment…
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