samedi 28 novembre 2009

Mort d'un putschiste : José Aboulker

On a appris cette semaine la mort de José Aboulker, âgé de 89 ans. Contrairement à ce que ce grand âge pourrait laisser penser, ce n’est pas une ganache qui s’est éteinte. Loin s’en faut ! Il fut un grand résistant, le « cerveau » du putsch qui paralysa Alger lors de l’opération Torch, le 8 novembre 1942.
Né en 1920 dans une vieille famille juive d’Alger, José Aboulker commence à peine ses études de médecine lorsque la guerre éclate. Après l’armistice de 1940, toute l’Afrique du Nord française passe sous le contrôle de Vichy et les lois raciales suivent aussitôt. C’est au début de l’année 1942 que José Aboulker fait la connaissance d’Henri d’Astier de la Vigerie. Cette rencontre entre un juif républicain et un catholique monarchiste (ancien cagoulard de surcroît) permet paradoxalement la réunion des divers groupements de résistance qui ont essaimé à Alger depuis l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain.
Dès le mois de février 1942, avec l’aide du consul américain Robert Murphy et de quelques notables et militaires, ces résistants décident de préparer le débarquement des troupes américaines en Afrique du Nord. C’est José Aboulker, âgé seulement de 22 ans, qui organise méticuleusement les opérations pour Alger. Pendant plusieurs mois, il reconnaît les lieux, note les bâtiments à prendre en priorité, repère les postes de garde, en même temps qu’il chiffre les opposants à arrêter et sonde les partisans prêts à diriger les opérations. Grâce au colonel Jousse, commandant de la Place d’Alger acquis à la cause résistante, les putschistes peuvent obtenir des armes ainsi que des brassards destinés aux membres du S.O.L. (future Milice) qu’ils décident d’utiliser pour prendre par ruse les postes de garde.
Avertis du moment du débarquement, les chefs rebelles se réunissent le 7 novembre au soir pour la distribution des armes et, malgré les risques, commencent à rallier leurs groupes. Les prévisions des effectifs étaient de 800 volontaires mais le manque d’armes provoque la défection d’environ la moitié d’entre eux, ce qui ramène à 400 le nombre des partisans décidés au putsch, pour la plupart des étudiants, lycéens ou jeunes officiers de réserve. Entre 22h et 1h, les groupes partent remplir leurs missions : sans coup férir ils s’emparent des centres de commandement ou les neutralisent en les encerclant. Les centraux téléphoniques sont occupés tandis que les généraux commandant l’armée d’Afrique sont arrêtés chez eux ainsi que les personnalités de la collaboration. Le général Juin, futur maréchal de France, vichyste à cette époque, enfile à la hâte un burnous et passe sa garde à vue dans cette tenue historique. L’ordre est de ne tirer sous aucun prétexte. Il évolue au cours de la nuit lorsque commence la contre-attaque vichyste : « ne pas tirer les premiers ».
En effet, quelques éléments de l’armée parviennent vers 4h du matin à délivrer le général Juin et l’amiral Darlan et ces derniers tentent aussitôt d’organiser la reprise de la ville. Malgré le déclenchement du bombar-dement du port par la marine américaine, les conjurés sont sans nouvelles du débarquement. Ils ne peuvent tenir indéfiniment leurs places, étant trop peu nombreux et ne désirant pas livrer combat. Mais les spectaculaires arrestations dont ont été victimes les chefs de l’armée vichyste ont eu pour effet de les persuader qu’une rébellion puissante s’est emparée d’Alger. C’est donc avec une grande prudence et en envoyant leurs meilleures troupes qu’ils concentrent leur attention sur les maigres groupes éparpillés dans la ville. Aboulker qui dirige les opérations depuis le Commissariat central dont il a pris le contrôle à la tête d’une vingtaine d’hommes ordonne aux groupes menacés de se disperser après avoir négocié pour gagner le plus de temps possible. Il organise peu après des raids de quatre à cinq véhicules remplis de partisans armés afin d’impressionner les troupes qui cherchent à reprendre les bâtiments officiels. Cette initiative réussit parfaitement et conforte les militaires vichystes dans leur surestimation des effectifs putschistes. Pendant ce temps, le débarquement américain peut enfin se faire, sans la moindre opposition sérieuse. 
 Le 8 novembre à 17h30, les généraux de l’armée d’Afrique et l’amiral Darlan sont mis devant le fait accompli : le débarquement allié a réussi et Alger est encerclé. Il ne leur reste plus qu’à signer le cessez-le-feu. Deux jours plus tard, ils sont contraints d’étendre cet ordre à l’ensemble de l’Afrique du Nord où, contrairement à Alger, les débarquements se sont heurtés à une vive résistance. Malgré plusieurs morts et des imprévus qui auraient pu être fatals, le putsch d’Aboulker a donc permis la réussite de l’opération Torch, tournant de la Seconde guerre mondiale ; le 11 novembre, l’armée allemande envahit la zone libre et Pétain, en choisissant de rester au pouvoir, signe sa trahison.

Reconnu comme l’un des artisans majeurs de la prise d’Alger, Aboulker connaît une belle notoriété pendant les semaines qui suivent. Mais le 24 décembre 1942, Fernand Bonnier de la Chapelle assassine l’amiral Darlan. Ce proche d’Henri d’Astier de la Vigerie compromet par son acte l’ensemble des partisans du 8 novembre. C’est ainsi qu’en rentrant un soir à son domicile, José Aboulker est arrêté et aussitôt déporté dans le Sahara avec quelques compagnons. Il n’est libéré qu’au lendemain de la conférence de Casablanca où a lieu la fameuse poignée de mains entre les généraux de Gaulle et Giraud, en janvier 1943. Après avoir rejoint les Forces françaises libres à Londres, Aboulker effectue plusieurs missions clandestines en France jusqu’à la Libération. Délégué à l’Assemblée consultative provisoire en 1944, il reprend ses études de médecine après la guerre et devient finalement professeur de neurochirurgie.
D’une très grande modestie, il n’a jamais cherché à refaire parler de lui. Là où certains auraient publié quantité de livres, il s’est contenté d’un article dans les années 1950 afin de rectifier les mémoires oublieux du maréchal Juin. Plus récemment, parce qu’il voyait sa fin approcher, il écrivit un plus long article dans la revue Espoir en collaboration avec l’historienne Christine Levisse-Touzé. Lorsque j’eus la chance de le rencontrer, au mois de juin 2008, il me confia qu’il écrivait un livre sur la guerre en Afrique du Nord : pas des mémoires mais un livre d’histoire ! C’est que José Aboulker a toujours considéré n’avoir fait que son devoir, habituelle façon de parler qui chez lui n’est que trop sincère.

KLÉBER

Images : José Aboulker pendant la guerre (source Ordre de la Libération), débarquement allié près d’Alger (source ici), affiche en arabe appelant à soutenir le général Giraud (source ici).
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12 commentaires:

  1. Très intéressant. Mais l'auteur devrait donner quelques précisions quant à la signification du sigle "SOL" pour désigner la "future milice" (un terme qui sonne bizarrement pour l'époque d'ailleurs, non ?).

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  2. Le SOL, Service d'Ordre Légionnaire, était un groupement militaire de choc réunissant les plus ardents partisans de la Révolution nationale de Pétain. Ils étaient déjà dirigés par Darnand qui devint par la suite le chef de la Milice. Des groupements du SOL existaient un peu partout en "zone libre" et le commandement militaire de la ville d'Alger comptait sur ces éléments pour venir volontairement suppléer les soldats aux postes de garde en cas de débarquement allié. C'est pourquoi des brassards VP (volontaires de place) avaient été conçus afin de permettre leur reconnaissance ; ce sont ces brassards qui ont été utilisés par les 400 partisans qui firent le putsch. Cela leur permit d'arrêter sans la moindre résistance un certain nombre de militaires ou policiers qui s'imaginaient avoir affaire aux membres du SOL et cela contribua grandement à la confusion qui s'empara des vichystes.

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  3. "Alors José ?", un article de Jean Daniel (participant au putsch) pour saluer Aboulker : http://jean-daniel.blogs.nouvelobs.com/

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  4. Très bon article, merci pour lui, si discret.
    Les grands journaux sont passés à côté.

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  5. @ Vernet
    Oui, il est assez incroyable de constater que Le Monde, si disert sur de parfaits inconnus ou plutôt sur de parfaits crétins, n'a pas trouvé une ligne à dire sur ce résistant majeur qu'était Aboulker. Le Figaro s'est contenté d'une petite ligne alors même qu'il relatait plus longuement la mort d'un autre compagnon de la Libération, pourtant bien moins important à mon humble avis. Que dire du reste de la presse ? Un incroyable silence. Remercions donc France culture d'avoir évoqué sa mémoire vendredi dernier.

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  6. Le Monde s'est enfin décidé à publier quelque chose : http://www.lemonde.fr/carnet/article/2009/12/01/jose-aboulker-neurochirurgien-grand-resistant_1274570_3382.html#
    Mais j'ai de sérieuses réserves sur le dernier paragraphe de cet article : Sauf erreur, Andrée est la sœur et non la femme de José Aboulker. Par ailleurs, il ne me semble pas que le livre qu'écrivait Aboulker était un livre de mémoires mais bien, ainsi que je l'ai relaté, un livre d'histoire.

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    1. Andrée Aboulker, elle-même médecin (dans les crèches) fut bien l'épouse de José Aboulker, sans doute à partir de la fin de la guerre, je ne le sais pas avec précision, et jusqu'à sa mort en 1993. Je les ai bien connus, ils habitaient Quai de la Tournelle à Paris

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    2. Merci pour cette précision utile !

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  7. J'aime bien l'affiche dans le genre : le général Giraud expliqué aux indigènes.

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  8. Oui, c'est une vraie bande dessinée pour enfants ! On illustre notamment son évasion d'une forteresse allemande sur la droite, puis, image finale, le général Giraud sabre au clair montrant la voie de la liberté aux Français ! Ça donne des idées de ganache tout ça…

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  9. La moustache encore et toujours. Signe avant coureur du ganachard ?

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  10. Parfaitement, on peut dire que toute ganache se doit d'avoir une belle moustache. Notons que Aboulker n'en a pas, évidemment…

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