En
considérant cette première décennie du XXIème siècle, on peut remarquer
l'émergence dans le cinéma d'un thème jusque là passablement négligé, celui des
"années de plomb",
cette période de la dérive militaire du mouvement gauchiste qui débuta à la fin
des années 70. Certes,
dès 1981, Margarethe von Trotta obtenait pour Die Bleierne Zeit un Lion d'Or mérité à Venise, mais depuis lors ce sujet sulfureux ne semblait
guère avoir suscité l'intérêt de l'industrie cinématographique.
Presque trente ans
après cette première tentative, et plus de vingt ans après l'effondrement de l'URSS, il n'est pas étonnant qu'un certain nombre de réalisateurs, principalement italiens, aient
finalement commencé à s'intéresser à nouveau à cette période. Avec un réel
succès, puisque aujourd'hui le film "brigadiste" est devenu un
sous-genre bien identifiable du film de gangster, avec ses personnages
stéréotypés, ses codes et ses acteurs fétiches.
Cette
identification au film de gangster est d'ailleurs une de ses limites, le
contenu éminemment politique de ce genre de films étant le plus souvent relégué
en bordure d'intrigue ou noyé dans le retro seventie.
Marco
Bellocchio avait lancé
le mouvement en 2003 avec son très controversé (mais très beau) Buongiorno
Notte qui
décrivait l'assassinat d'Aldo Moro
en 1978. Cependant, cette première tentative restait trop marquée par le style
du réalisateur pour faire vraiment école. Sorti la même année, Nos
meilleures années
de Marco Tullio Giordana, qui remporta un immense succès à la télévision
italienne, abordait lui aussi la question de la lutte armée dans les années 70
et surtout mettait en avant les ingrédients qui allaient assurer le succès des
autres films sur le terrorisme politique, notamment l'influence musicale et
vestimentaire très marquée.
Ce fut
également dans ces deux films que nombre des jeunes acteurs italiens qui sont
devenus depuis des habitués du film brigadiste firent leur première apparition
importante, comme Riccardo Scamarcio, Maya Sansa, Luigi Lo Cascio ou Jasmine Trinca.
Romanzo
criminale sorti en
2006 (de Michele Placido)
opéra la jonction définitive avec le film de gangster et l'année suivante
sortait Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti.
Le
succès recueilli par ces différents films dans les festivals comme auprès du
public favorisa l'exportation et l'adaptation du modèle "brigadiste"
à l'étranger, notamment en Allemagne où Uli Edel réalisa en 2008 La Bande à
Baader et au Japon
avec l'excellentissime United Red Army de Koji Wakamatsu, sorti en 2008 également.
Ces
deux derniers films, outre qu'ils ont permis de sortir du cadre italien, ont
également eu le mérite de se concentrer plus directement sur le sujet, comme
les titres l'indiquent, là où leurs prédécesseurs italiens tendaient à le
dissimuler plus ou moins consciemment. Si cette démarche est restée incomplète,
les deux réalisateurs continuant de jouer à fond de la nostalgie seventie et de
l'attrait dégagé par leurs acteurs, on peut estimer cependant que ces quelques
années de maturation et de voyage n'ont pas été totalement vaines comme le
prouve la sortie de La Prima Linea de Renato de Maria.
La
Prima Linea est en
effet le premier film italien à aborder frontalement la question du terrorisme
d'extrême gauche. Réalisé par un ancien membre de la Lotta Continua et s'inspirant de l'autobiographie de Sergio
Segio, La Prima
Liena poursuit le
processus de dévoilement en cours dans le film brigadiste. S'écartant donc du
film de gangster (malgré quelques scènes de fusillades assez réussies), tentant
de réduire l'impact de l'esthétique particulière qui s'est créée dans le genre,
La Prima Linea est
un film sombre, marqué par les couleurs grises de la photographie et la beauté
froide de ses acteurs (qui en paraissent presque enlaidis, notamment Riccardo
Scarmacio) et par un jeu beaucoup plus réaliste que de coutume.
Mais
cette sobriété de bon goût ne saurait suffire à en faire un film réussi. En
effet, si Renato de Maria tente de rompre avec les facilités de ses prédécesseurs,
il lui manque clairement l'audace d'aller jusqu'au bout, si bien qu'il recourt
à des artifices plus grossiers encore, comme l'usage immodéré des flash-back
qui tuent le rythme de l'intrigue, ou l'usage bancal du pathos qui ne trouve
comme contrepoint que quelques pénibles lieux communs sur la violence et la
morale. On peut regretter aussi des occasions manquées d'aborder le sujet sous
d'autres angles (comme par exemple la vie du groupe et ses liens avec les
autres secteurs de la société).
Comme
dans les exemples cités précédemment, les spectateurs se retrouvent devant la
situation paradoxale d'un film sur un groupe politique n'évoquant que très peu
la politique (à l'exception des scènes d'ouvertures qui sont devenues une
véritable signature…) !
Il est vrai que le sujet n'a rien d'évident, d'abord parce que
le gauchisme en Italie comme en France ou en Allemagne resta assez verbeux et
hermétique aux non-initiés, travers qui s'accentua plus encore dans les groupes
"militaros", et d'autre part parce les années de plomb restent
toujours un sujet extrêmement dérangeant dans les sociétés ouest-européennes,
comme le prouvent les scandales et les polémiques qui ont suivi Buongiorno
Notte ou La Prima
Linea.
Bruno FORESTIER
Bravo, les références citées sont très pertinentes. On retrouve les films majeurs ayant abordé le thème des années de plomb.
RépondreSupprimerMention spéciale pour "Nos meilleures années", film-fleuve de 6h que je n'ai pas encore vu, mais dont on m'a dit le plus grand bien.
En fin de compte, doit-on comprendre que le cinéma italien est trop timoré ou bien est-ce qu'il n'utilise la période des années de plomb que comme décor de film ?
RépondreSupprimer@ anonyme:
RépondreSupprimerAu contraire ! Je constate que le cinéma italien a été le premier à réaborder le sujet des Années de Plomb, même s'il a opéré progressivement et de manière plus ou moins camouflée (un peu comme en France d'ailleurs).
Mais, la principale raison de cette approche par la bande vient non pas de réalisateurs timorés, mais de l'extrême réticence des sociétés européennes à rouvrir un débat aussi brûlant. À preuve, Koji Wakamatsu qui a été le plus loin dans ce domaine a dû hypothéqué sa maison pour tourner son film, et Renato De Maria n'a pu réaliser le sien que grâce au financement sauvetage des frères Dardenne.
@ Naturalibus:
Je ne peux que vous encourager à vous jeter sur "Nos meilleures années"... Je l'avais vu à sa sorti au cinéma en France, et je l'ai récemment visionné à nouveau du début à la fin, le plaisir était intact !
Et toujours rien sur Action Directe ?
RépondreSupprimerIl y aurait pourtant tous les éléments pour en faire un bon film...
En tout cas, "La bande à Baader" et "United Red Army" valent le détour, de même que, dans un registre (un peu) moins politique, "Mon frère est fils unique".
Sur Action Directe, il y a "Ni vieux, ni traîtres", le documentaire de Pierre Carles sorti en 2006, mais qui est resté cantonné aux habituels réseaux militants (il n'y a guère que les Utopia qui l'ont distribué).
RépondreSupprimerAh, très bien, je note ça. Mais il s'agit d'un documentaire, reste encore à faire un film !
RépondreSupprimerSinon sur la Gauche Prolétarienne, il y a "Mourir à 30 ans" de R. Goupil. Mais pas de film grand public encore...
D'ailleurs, pour remonter encore plus loin, on ne peut pas dire que Mai 68 ait beaucoup inspiré le cinéma français, non ?
"Mourir à 30 ans" ne concerne pas la Gauche Prolétarienne (Maoïste) mais la Ligue Communiste (Troskyste). Il est vrai que ces deux organisations étaient avant tout soixante-huitardes et partageaient une fascination assez malsaine pour la violence.
RépondreSupprimerQuant à Mai 68, il a tout de même permis l'explosion du film militant dans les années qui suivirent (avec quelques chefs-d'oeuvres de Godard, Chris Marker ou Costa-Gavras) mais, c'est vrai que le cinéma français actuel reste relativement indifférent à la mode du film brigadiste. Seules exceptions repérées, "Lady Jane" de Guédiguian, sorti en 2008, dans lequel il était fait allusion à la GP et "Né en 68" de Ducastel et Martineau, qui lorgne je crois du côté de "Nos meilleures années" (je ne l'ai pas vu).