jeudi 5 novembre 2009

Mort d’Henri Brulard

En mourant le 23 mars 1842, Stendhal n’a pas fait beaucoup de malheureux. Inconnu du public ou presque, il avait prédit qu’il connaîtrait une célébrité posthume à partir des années 1880, ce qui fut effectivement le cas. Sur un plan plus pratique, Henri Beyle est mort en laissant un choix très peu cornélien à son exécuteur testamentaire : être enterré au cimetière d’Andilly comme il le souhaitait et l’avait notamment écrit dans plusieurs lettres, ou, par souci économique et dit-on religieux, être enterré au cimetière de Montmartre. C’est bien entendu la seconde solution qui a été choisie et mise en œuvre par son cousin Romain Colomb à qui on ne jettera toutefois pas la pierre puisqu’il a somme toute respecté la volonté par défaut de l’écrivain. Ils furent trois à cet enterrement, dont l'un des meilleurs amis de Stendhal, Prosper Mérimée, qui raconta la triste scène dans une courte brochure, H.B., publiée à quelques exemplaires en 1850. On le voit, la mort d'Henri Beyle ne fut guère brillante…
Cependant, comme notre époque raffole des transferts de cendres en tout genre (voyez Dumas au Panthéon pour le plus récent exemple), quelques Beylistes fanatiques ont désormais l’ambition de satisfaire enfin la véritable volonté de l’auteur du Rouge et le Noir et réclament son inhumation au cimetière d’Andilly. Si ce projet reste bien modeste, pour ne pas dire chimérique, voyons en quoi il nous paraît inopportun.
Nous objecterons d’abord que les temps ont changé. Si Stendhal contemplait le paysage d’Andilly tel qu’il se présente aujourd’hui, il réclamerait certainement qu’on oublie ses dernières volontés ! Bien que le cimetière conserve quelques charmes, il ne reste plus grand chose des « bois charmants qui couronnent les hauteurs d'Andilly » ainsi qu’ils étaient décrits dans Armance. Mais jugez plutôt de la vue qui s’offre aux yeux du promeneur…

À cette raison toute esthétique, une autre peut être ajoutée qui certainement vaut que l’on s’y arrête : c’est que la tombe de Stendhal a déjà voyagé ! En effet, à la suite de la construction du pont Caulaincourt en 1888, une partie du cimetière de Montmartre s’est trouvée soudainement recouverte. Parmi les tombes plongées dans la pénombre figurait celle de Stendhal ce qui ne manqua pas d’attrister ses nombreux admirateurs. C’est à Victor Del Litto, le plus éminent spécialiste de l’œuvre d’Henri Beyle, que l’on doit le déplacement de la tombe vers le centre du cimetière, en pleine lumière cette fois-ci. Voici comment il évoqua ce transfert en catimini dans une interview au magazine Lire (1996) :
« A 7 heures du matin, le 23 mars 1962, jour anniversaire de la naissance de Beyle*, nous étions quatre, le conservateur du cimetière, le commissaire de police du XVIIIe arrondissement, ma femme et moi. Ce qui restait de Stendhal, le bas de la mâchoire et un tibia, le tout recouvert d'une poussière grisâtre, a été placé dans une petite boîte et transporté dans le nouvel emplacement. »
Dès lors se pose très simplement une question : ce nouveau voyage des malheureux restes de Stendhal vers un lieu méconnaissable est-il bien nécessaire ? On aura compris que tel n'est pas notre avis, mais nous laissons chacun juge de cette "Requête pour le transport de la tombe de Stendhal au cimetière d'Andilly".

Lucien JUDE

* Stendhal est né le 23 janvier 1783 et mort le 23 mars 1842, c’est donc le jour anniversaire de sa mort qu’il fut déplacé. On pense bien que l’erreur n’est pas de Del Litto !

Images : Stendhal par Félix Vallotton (source ici), vue du cimetière d’Andilly (source ici), tombe de Stendhal au cimetière de Montmartre (photo LJ).
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6 commentaires:

  1. Il y a eu un petit progrès lors du second enterrement de Stendhal : une personne de plus qu'au premier.

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  2. Je pense que 5 personnes au prochain enterrement est un objectif raisonnable.

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  3. On peut voir une photo de l'ancien emplacement de la tombe ici : http://www.parisenimages.fr/Export450/18000/17737-1.jpg
    C'est sûr qu'on y voyait goutte…

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  4. Henry Brulard s'écrit avec un "y"… Mais Henri Beyle s'écrit bien avec un "i". ;-)

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  5. Je pense que "le bas de la mâchoire, le tibia et la poussière grisâtre" de Beyle mérite une panthéonisation !

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  6. Dernière panthéonisation envisagée : Albert Camus ! Une idée lumineuse, une fois de plus, du président de la République…

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