samedi 21 novembre 2009

Œdipe au Texas

En 2006 sortait The King, de James Marsh, principalement connu comme réalisateur de documentaires. Malgré une sélection au festival de Cannes de 2005 et une critique globalement positive (quoique indigente dans l'ensemble) le film n'obtint qu'un succès relatif sur les écrans. Du moins, inférieur à ce qu'il méritait.
L'histoire est relativement simple à présenter : Elvis Valderez (Gael Garcia Bernal), jeune marin démobilisé, part à la recherche de son père qu'il n'a jamais connu: David Sandow (William Hurt). Celui-ci devenu pasteur d'une prospère église baptiste à Corpus Christi (Texas) et père d'une famille américaine idéale s'empresse de le renier dès leur première rencontre. Toute l'intrigue décrit la manière dont peu à peu Elvis s'infiltre dans la « Communauté » et y dépose les germes de la destruction.
Même si le film est plutôt enraciné dans une atmosphère « biblique », la plupart des thèmes qui ont assuré le succès du mythe œdipien sont présents, quoique agencés de manière différente : ainsi la violence familiale qui se répercute de génération en génération. Ici elle s'ouvre sur l'abandon et le reniement du premier fils au début du film, puis l'inceste et le fratricide, suivi de l'enquête aveugle qui conduira le pasteur à mettre au centre de son église l'impureté dévoilée et cachée de sa propre famille.
Dans ce rapport de l'homme au divin, le père, pasteur d'une église baptiste plus que florissante, est le « Grand-prêtre » d'une communauté, celui qui accorde le pardon au nom de Dieu et veille sans répit sur la pureté des siens (et de la « Communauté » en général) et se retrouve finalement responsable de l'introduction (involontaire certes) des pire tabous au coeur même de sa propre famille.

Plus cruellement, le film s'achève sans conclure sur le face à face du patriarche toujours aveuglé en prière et du meurtrier-incestueux réclamant (ironiquement ?) le pardon divin. Il est vrai que, contrairement au Œdipe grec, David a, lui, la possibilité au début du film de réparer sa faute en reconnaissant Elvis. Mais, en refusant de répondre à cette demande, il introduit « la peste à Thèbes », c'est-à-dire les germes de la dissolution et de l'impureté qui s'incarneront presque physiquement dans le futur enfant d'Elvis et Malerie.
Cette « peste » dans le mythe est provoquée par la colère d'Apollon qui par la voix de son oracle exige que justice soit rendue. Or c'est justement sous le patronage de « l'archer divin » que se place David, lorsqu'il initie ses fils l'un après l'autre à la chasse à l'arc (pratique éminemment baroque au pays de la NRA). Et c'est également la prière, individuelle et collective — forme moderne de l'oracle — qui guide le pasteur. Mais de même que les prophéties de l'oracle sont immanquablement ambiguës, les méditations de David le conduisent systématiquement à s'aveugler lui-même et à leurrer tous les siens en agissant à chaque fois à contre-temps.
Le mythe œdipien transmis par Sophocle s'achevait sur l'apaisement des passions et la transformation du roi déchu, aveugle et boiteux, en figure tutélaire et bienveillante de la jeune démocratie athénienne et servait selon l'opinion d’Aristote de catharsis à la communauté. Signe des temps, le film se déroule dans une démocratie vieillissante, engluée dans le confort matériel et une vie spirituelle médiocre, laissant peu de possibilités à la rédemption chrétienne de s'exprimer.

Bruno FORESTIER

Images : affiche du film et Gael Garcia Bernal (source allociné).
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10 commentaires:

  1. Une chose que je ne comprends pas : qui est Œdipe de David et Elvis ?

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  2. l'important se trouve du coté des thèmes principaux du mythe, je ne pense pas qu'il faille faire correspondre exactement les personnages...

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  3. Le coup de la mythologie c'est un peu facile !

    C’est la soupe qu’on nous sert pour tous les films.

    Dès qu’un héros recherche son père, c’est Oedipe, dès qu’une femme dit « non » c’est Antigone...

    On peut faire des analyses mythologiques de n’importe quoi.

    Il faut être un peu sérieux et cesser de plaquer systématiquement ces interprétations bas de gamme.

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  4. @ M. le-critique-à-qui-on-ne-l'a-fait-pas:

    Avant de nous lancer dans une discussion oiseuse, avez-vous vu le film dont je parle au moins ?
    Si ce n'est pas le cas, comme j'incline à le penser, faîtes le en priorité et nous pourrons peut-être avoir un débat plus riche que celui que votre message annonce, non ?

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  5. @ M. Forestier, j'ai bien sur vu ce magnifique film.
    Mais n'éludez pas ma question qui a un caractère plus général...

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  6. Je me trompe peut-être, mais votre question - qui ressemble d'ailleurs plutôt à une attaque gratuite - est si générale que j'en perçois mal le sens.
    Puisqu'en somme vous affirmez que je me trompe de bout en bout, soyez donc aimable assez pour préciser votre critique afin que je puisse répondre utilement.

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  7. Je soutiens M. Forestier ! On peut en effet reprocher à certains critiques les rapprochements faciles avec des mythes pour beaucoup de films mais il ne fait aucun doute que "The King" est un film qui baigne dans les références au mythe d'Œdipe… Il n'y a donc rien de "peu sérieux" ici.

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  8. Je note que la réponse type de M. Forestier est qu'il ne comprend pas de quoi il s'agit.
    C’est peu être qu’à force de vouloir répondre utilement, il en oublie de répondre intelligemment.

    JC nonobstant sa prise de position zélée en faveur de M. Forestier semble lui avoir compris de quoi il retourne.

    Par exemple cette phrase : « la plupart des thèmes qui ont assuré le succès du mythe œdipien sont présents, quoiqu’agencés de manière différente. »

    Elle est valable pour n'importe quel film parlant de la famille et c’est là le problème.

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  9. Bien, bien, bien…
    Visiblement ce débat vole trop haut pour moi, car je ne saisis toujours pas l'intérêt de vos commentaires.
    Vous expliquez que l'analyse mythologique est une tarte à la crème trop répandue. Soit. J'aurais pu éventuellement en convenir si vous m'aviez donné quelques exemples à moudre.
    J'aurais même volontiers admis que mon interprétation soit fausse ou malsonnante si vous vous étiez donné la peine de m'en montrer les failles.
    Mais dans l'ensemble votre intervention à ce sujet s'est résumée à disqualifier l'article et l'auteur au motif un peu étrange que d'autres films (lesquels ?) ou d'autre critiques (lesquels ?) useraient aussi du mythe d'oedipe… L'argument ne me semble pas lourd.
    Comprenez-donc cher monsieur, que je puisse être pour le moins perplexe quant à vos façons de faire et ne voyez donc pas offense si je laisse désormais à JC le soin de faire face à votre impertinence.

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