Des innombrables récits laissés
par les acteurs et témoins de la Seconde Guerre Mondiale, La guerre à neuf ans est peut-être l'un des plus
originaux. Ce livre historique, très personnel, oscille élégamment entre
différentes époques ; on le croirait écrit au fil de la plume comme pour se
débarrasser d’une mémoire encombrante… Ce sont ses souvenirs de la guerre,
vécue entre 6 et 9 ans, que raconte Pascal Jardin, mais aussi sa vie d’adulte. Il s’y décrit comme un
manipulateur, voire un salaud, ce qui, Histoire mise à part, lui fait dire
qu’il ressemble à son père, Jean Jardin, collaborateur de premier rang qui fut le directeur de cabinet de Pierre
Laval à Vichy.
Pascal Jardin précise que rien
n’est inventé et que seules les dates peuvent être sujettes à caution.
Cependant, c’est une vision idéalisée des personnages de l’époque qu’il nous
livre, gardant le point de vue naïf de l’enfance, hormis le style. Il renonce
ainsi à décrire Laval, refusant de choisir entre le personnage qu’il a connu et
les essais qu’il a pu lire à son propos, trop de contradictions s’interposant
pour pouvoir en tirer un portrait objectif. C’est ce refus de l’objectif, de
l’exactitude de l’Histoire, cette vision décalée et inconséquente qui nous rend
le livre de Jardin si sympathique.
L’un des rares points négatifs est
sa tentative pour faire correspondre ce qu’il était enfant, avec ce qu’il est
devenu adulte. L’auteur s’attribue, au milieu de l’ignorance scolaire dont il
se réclame, des idées et des positions que l’on a du mal à imaginer dans
l’esprit d’un enfant. Il s’offre une maturité après coup et cette
reconstruction, sûrement sincère, agace parfois.
Toutefois, une certaine lucidité
sur son présent nous le rend attachant, notamment quand il dit qu’il ne
comprend ni sa femme, ni ses enfants, que son corps le trahit dans les
situations difficiles, ou quand il analyse les mécanismes de séduction
par lesquels il est mû dans la vie, exactement comme son père Jean Jardin. Tout
au long du récit, affleure l’admiration de Pascal Jardin pour son père "doté
d’une mécanique intellectuelle des plus perfectionnées", mais aussi
l’indulgence : "comme moi, il a été façonné par une enfance qui ne le
lâchera plus".
Commençant sa vie professionnelle
en usine, passant par le commerce, l’auteur écrit : "je rentrai à Paris où je
devins journaliste", comme il dirait "où j’achetai un imperméable". Il a 22
ans, et travaille auprès d’Yves Salgues, avec Godard et Truffaut, comme « reporter
de la page spectacle ». Et pour cause, il a connu, grâce à son père, une
grande partie du milieu intellectuel et artistique pendant la guerre.
La guerre à neuf ans est une sorte de Who's Who de l’époque, un défilé incessant
de personnalité : Giraudoux, Morand, Fresnay, Coco Chanel, Jean
Marais, Robert Aron...
La présence de Robert
Aron donne d’ailleurs lieu à une péripétie surréaliste. Aron, recherché par la Gestapo et caché par les Jardin, oubliant qu’il est en
fuite, se présente dans la salle où se tiennent l’ambassadeur allemand et Jean
Jardin. Il fait un petit signe de tête insouciant en guise de bonjour et s’en
va tranquillement se promener, à la stupéfaction générale. A la suite de quoi,
l’ambassadeur reprendra ce mot de Disraeli : "n’expliquez jamais".
Cette scène est
révélatrice, et Jardin le décrit très bien, de la confusion qui règne à Vichy. Résistants,
gestapistes, juifs, Allemands, partisans de de Gaulle, de Giraud, tout le monde se côtoie et personne n’entrevoit clairement l’issue des
évènements. Du moins jusqu’en novembre 1942, lorsque les Américains débarquent en Afrique du
Nord… Et l’auteur de citer ce
mot de Weygand pour illustrer l’opportunisme généralisé :
"si les Américains viennent avec une division, je les fous à l’eau. S’ils
viennent avec vingt divisions, je les embrasse". À ce moment-là, Laval se
rend à Munich pour négocier avec Hitler. À ce moment-là, nous dit Jardin, tout aurait pu basculer, la France
s’allier avec les Américains, lever « l’armée de la zone libre »,
faire front avec la flotte de Toulon encore intacte…
La famille Jardin, après
l'occupation de la zone libre, fuira en Suisse. Pascal pourra commencer sa
nouvelle vie, non sans être confronté à la haine, comme quand on lui demande au
lycée, après l'avoir rossé comme « fils de collabo » :
"combien as tu dénoncé de juifs ?". Il deviendra le dialoguiste
que l’on sait, ami de Marc Allégret et personnage important du monde du cinéma.
GV
Pascal Jardin était si fasciné par son père qu'il lui a consacré un ouvrage entier, "Le nain jaune", surnom de Jean Jardin.
RépondreSupprimerPar ailleurs, il existe une "suite" de "La guerre à neuf ans" : "Guerre après guerre". Moins réussie, comme toutes les suites, mais avec encore quelques anecdotes intéressantes et surtout toute une partie sur la genèse du premier livre qui vaut le détour.
Est-ce que le point de vue adopté par l'auteur n'est pas un peu dérangeant ?
RépondreSupprimer(Au passage : "événement" avec deux accents aigus...)
J'ai aussi tiqué sur "évènement", mais le dictionnaire Robert donne "événement ou évènement". Donc...
RépondreSupprimerPour l'avoir lu, je peux dire que le ton de Jardin n'est pas dérangeant du tout. Il donne au contraire une vision très intéressante des ambiguïtés de Vichy, ce que rappelle justement GV. Par ailleurs, c'est la vision d'un enfant, ce qui donne une distance avec les personnages rencontrés.
Pour conclure, c'est un livre drôle, riche en anecdotes et assez inédit dans son genre (souvenirs d'enfants, mêlés à des réflexions plus tardives, mélange des dates...).
@BBC qu’est ce qui vous semble dérangeant ?
RépondreSupprimerEh bien, si j'ai compris correctement, il porte un jugement plutôt sympathisant voire sympathique sur Vichy et les collabos. N'ayant pas (encore) lu cet ouvrage, j'imagine seulement, mais j'imagine tout de même, que le lecteur doit s'identifier avec le personnage et par conséquent être amené à porter ce même jugement positif sur Vichy. D'où ma question. Honnêtement, me surprendre en train de penser "finalement, Laval, c'était pas le sale bonhomme", me paraît une perspective peu réjouissante...
RépondreSupprimerOn peut dire que oui, il porte un jugement plutôt sympathique sur Vichy et les collabos. Dans le sens où, les amis de son père se sont naturellement montrés gentils, attentionnés à l’égard de l’enfant de 9 ans qu’il était. C’est l’éternelle question : comment représente-t-on les supposés salauds dans l’intimité sans les rendre sympathiques, voire touchants (Cf : la chute) ?
RépondreSupprimerA contrario, les résistants n’ont pas hésité à l’enlever en disant : « quand on tient le fils, on tient le père ». Pour lui et sa famille, le danger venait de là. Les FFI lui ont d’ailleurs volé son train électrique à la libération, encore un mauvais point. Évidemment, ça peut paraître dérisoire, mais ces événements ont marqué fortement l’esprit du jeune Jardin à rebours du jugement historique.
Ensuite viennent les analyses politiques de Jardin adulte, elles sont plus discutables que ses impressions d’enfance, mais certains de mes collègues du blog sont plus fondés que moi à parler de l’aspect historique du bouquin.
Je citerai donc trois passages :
Sur De Gaulle : « La réalité historique est que le temps travaille pour un autre homme, l’homme d’une seule idée, celui qui ne s’est compromis avec personne, celui qui se fout que la zone libre soit occupée ou non. Il n’aime pas les Français, il les trouve moyens, il n’aime que la France dont il a une certaine idée, une idée terminale qui ne s’embarrasse pas de péripéties. »
Sur Laval : « Longtemps l’idée sommaire que Laval était un « salaud » au sens où de Gaulle l’est pour certains pieds-noirs, cette idée-là ne m’a pas déplu. Je voyais dans cette injure le revers d’un destin d’exception, le prix payé à cet échec impardonnable qu’est l’échec politique. » Et il explique : « j’ai cru longtemps qu’il avait joué la carte allemande de sang-froid alors que, dès 1940, son destin lui a échappé, qu’il n’a rien choisi, et qu’il s’est empêtré au fil des jours dans une situation irréversible (…) pour finir en 1945 dans la peau d’un traître national ».
Et enfin, la synthèse, qui, je dois bien l’avouer, m’échappe un peu, tant le parallèle est osé :
« Laval voulait doter la France, après la guerre, d’un régime socialiste si poussé qu’elle ne risquerait plus jamais de tomber dans le camp totalitaire. N’est-ce pas la troisième voie impraticable sur laquelle de Gaulle est tombée ? »
MAJ Janvier 2011 :
RépondreSupprimerSortie du livre "Des gens très bien" d'Alexandre Jardin, fils de Pascal Jardin, qui à l'inverse de ce dernier décide d'attaquer la mémoire de son grand-père. Affaire à suivre…
Laval "salaud", c'est un peu facile...
RépondreSupprimerJuste un mot sur lui. Abetz qui, je le rappelle, était le chef de la Gestapo en France a dit lorsque Laval est revenu après Darlan: "Ah! Laval est de retour! Avec Darlan si on demandait un oeuf on avait la poule! Avec Laval quand on demandera un poule on aura tout juste un oeuf!". Pour savoir cela, il faut lire des livres anglo saxons et non l'interminable propagande - il n'y a pas d'autres mots - Gaulliste.
Quoiqu'il en soit, il me semble impossible pour ceux qui n'ont pas vécu une telle époque, ou qui n'y ont joué aucun rôle, d'oser porter des jugements à l'emporte-pièce sur les hommes mêlés à une situation si commpliquée. Voir ce que dit Tournier sur l'après guerre.
Quant à Jean Jardin, le "nain jaune" -je le rappelle également -, il n'a pas été condamné par les tribunaux, pourtant bien orientés, d'après guerre, et il ètait - justement au moment du Veld'Hiv - Chef de Cabinet de Laval.
Son petit fils Alexandre est tout simplement méprisable.
un inconnu
Anonyme à dit... une connerie
RépondreSupprimerAbetz comme brevet de moralité politique c'est le grand luxe. Voilà une homme au dessus de tout soupçon, un juge de paix scrupuleux et qui en savait long sur la ténacité de la racaille dirigeant l'Etat français.
Allez bons baisers de Vichy ou Sigmaringen