mercredi 10 février 2010

Choses vues

Vu Esther de Jaume Collet-Serra  dans un multiplex bondé de Montparnasse. Selon F. qui m'accompagnait, il s'agirait du film "le plus anti-familial" de ces dernières années. Il a tort bien entendu, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit que d'un remake bien foutu de Joshua de George Rattlif, sorti en 2007 dans lequel on pouvait déjà admirer la beauté fragile de Vera Farmiga, en mère manipulée et poussée à la démence. Ceci dit, Esther vaut tout de même le détour pour quelques bonnes idées Dada habilement placées (proposition de roulette russe entre Esther, 10 ans et Max, 5 ans entre autres) et une ou deux scènes assez gore comme la scène de fausse-couche qui ouvre le film ou le massacre d'une bonne sœur au marteau. Surtout, on pourra apprécier le remarquable jeux des trois actrices, dont l'éponyme Esther (Isabelle Fuhrman) et sa soeur Max (Genelle Williams). Ces demoiselles, avantageusement mises en avant par un scénario somme toute assez finaud, donnent au film un rythme haletant, malgré quelques effets de caméras un peu lourd. Je fais grâce au lectorat des commentaires entendus au sortir de la séance sur le rôle des naines en Russie.

Les Chats Persans de Bahman Ghobadi ne vaut certainement pas tout le battage qu'on en a fait autour ce qui ne l'empêche pas d'être intéressant par les thématiques abordées et plutôt sympathique. L'économie de moyens (le tournage s'est fait dans une semi clandestinité) permet au réalisateur de faire de nécessité vertu, et de transformer un objet plutôt foutraque, oscillant entre le documentaire, la série de clips et la fiction tragicomique, en un film énergique et qui va à l'essentiel (l'essentiel c'est la ville de Téhéran et le foisonnement de la vie culturelle malgré le régime).

Enfin, Bright Star de Jane Campion, laquelle réussit l'exploit de faire un très beau film dans le cadre superbe mais étroit de Hampstead Village autour d'une intrigue plus limitée encore : les amours impossibles du poète John Keats et de sa fiancée Fanny Brawne. L'évolution du couple Keats-Brawne, incarnés respectivement par Ben Whishaw (qui en plus d'être fort beau, déclame très bien) et la voluptueuse Abbie Cornish, passant de l'amitié et la complicité à l'amour passionné, est filmée avec une rare finesse, sans mièvrerie aucune, entre regards, silences et ellipses. L'estivale séquence des papillons, aérienne et lumineuse, est de ce point de vue tout à fait remarquable. D'ailleurs, la photographie est à elle seule une raison d'aller voir le film, tant la lande anglaise y est magnifiquement filmée, les nombreuses scènes de promenades bucoliques démontrant à nouveau, si le besoin s'en faisait sentir, la supériorité de la civilisation britannique campagnarde.

Un des autres points forts du film est de donner un aperçu assez juste de la société pré-victorienne, notamment par ses pesantes conventions sociales et ses mesquineries (ce qui nous permet de mentionner la présence de Paul Schneider, un acteur qui nous est sympathique, en Charles Brown irritant et exclusif), auxquelles n'échappent pas les héros.
Au risque de lasser nos lecteurs, nous pouvons également faire remarquer que l'histoire elle-même n’est qu'une illustration supplémentaire et très classique de l'amour-passion cher à M. de Rougemont, comme le montre le constant refrènement du désir des amants, dont la source sera dévoilée lors de la sombre scène de la séparation à la veille du départ pour l'Italie.

Pour conclure, suite aux recommandations avisées d'un lecteur, nous signalons qu'il est possible de regarder La Piste de Santa Fe (en VO), petit chef-d’œuvre de l'âge d'or d'Hollywood, sur google vidéo (le film est libre de droit). Le film sur le Bleeding Kansas est à ranger entre Naissance d'une Nation de Griffith et Autant en Emporte le vent, tant pour la qualité que pour un certain parti pris.  L'intrigue, digne d'un roman de Dumas, porte sur les aventures de jeunes cadets d'une fraîche promotion de West Point - laquelle pour les besoins du scénario compte une tripotée de futurs généraux sudistes et nordistes - au prise avec l'inquiétant John Brown, qui ravage le Kansas avec ses hommes (et comme dans tout bon western, ils le pendront haut et court à la fin). Notons pour la petite histoire que le héros, Jeb Stuart (futur général confédéré), incarné par Errol Flynn, participa effectivement à la capture de Brown à Harpers Ferry… Dans le film, il est secondé par un futur général Custer, joué par un Ronald Reagan, parfaitement tête-à-claques (ou à scalp, si j'oses dire…) et il séduit pour la énième fois Olivia de Havilland. Bref, vous ne regarderez jamais plus Robin des Bois de la même manière.

Bruno FORESTIER

Images : Esther (source ici), affiche du film Les Chats Persans (source allociné), photos et affiche de Bright Star (source allociné), affiche de La piste de Santa Fe (source ici).Blogger

5 commentaires:

  1. "film "le plus anti-familial" de ces dernières années. Il a tort bien entendu, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit que d'un remake bien foutu de Joshua de George Rattlif" ... De façon plus explicite, ça donne quoi ?
    Par ailleurs, une question toute bête, ce film est-il drôle ? (c'est ce qu'ont l'air de suggérer un certain nombre de critiques, mais cela ne ressort pas du tout dans votre article)
    Merci en tout cas pour ces nombreuses suggestions et les intéressantes remarques faites à leur sujet.

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  2. Je partage cette opinion sur Bright Star. On ne peut éventuellement reprocher à ce film que sa longueur, et encore. L'actrice est particulièrement éblouissante et rappelle la Sue qu'incarnait superbement Kate Winslet dans Jude.

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  3. @ BBC:

    Je comparais Esther au film Joshua de Rattliff sorti environ un an plus tôt. Le terme remake n'est peut-être pas tout à fait adéquat puisqu'il ne s'agit pas d'une copie conforme, mais les trames des deux films sont tout de même très proches, et on retrouve un certain nombre de choix similaires dans la réalisation de Joshua et d'Esther (en plus d'une actrice principale commune).
    La vrai différence entre Joshua et Esther, c'est la révélation finale et l'usage dans Esther de quelques scènes gores - notamment vers la fin.
    D'ailleurs pour répondre à votre seconde question, le gore est un élément comique... Donc, son emploi plutôt judicieusement dosé dans Esther permet d'en faire un film drôle au premier degré. Mais, comme la plupart des films d'horreurs, Esther contient aussi une bonne dose de critique sociale (ici les valeurs familiales par exemple), ce qui provoque un amusement un peu plus subtil.

    @ Lucien Jude;
    Je suis heureux de ton approbation...et confus de ne pouvoir apprécier ta comparaison à sa juste valeur, je n'ai pas vu Jude...

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  4. L'intégralité de "La piste de Santa-Fé" est-elle bien en ligne sur dailymotion ? Parce que je n'arrive à en voir qu'un extrait…

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  5. Le lien pour regarder intégralement La Piste de Santa-Fe a été rétabli. Bonne séance !

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