Dans son
petit livre intitulé Du dandysme et de Georges Brummell, Barbey
d’Aurevilly (1808-1889) se livre à une analyse du dandysme en
retraçant la vie de George Brummell, éminent représentant de cette
mode. Mais on a bien du mal en suivant sa description à se faire une opinion
sur ce que Baudelaire qualifiait de religion. Alors qu'est-ce que le
dandysme ?
Selon
Brummell, un dandy doit pouvoir passer dix heures à s’habiller, mais oublier
ensuite ses vêtements. C’est ainsi qu’il a la liberté d’être un
« oseur », mais connaît parfaitement les limites de l'impertinence et
c’est pourquoi il ne se prive pas de les franchir.
Ainsi
l’ironie est, après l’indifférence (nil mirari, ne
s’étonner de rien, devise du dandy), son arme préférée. La clé du succès
mondain est de produire son petit effet puis de disparaître, règle que Brummell
appliquait scrupuleusement au sommet de sa gloire en se présentant dans les
soirées, restant sur le pas de la porte, prononçant un jugement d’avance
tempéré par le prestige de son passage et repartant aussitôt.
Mais
l’important reste la surprise. Le dandy, lymphatique par nature, ne doit pas
faire ce qu’on attend de lui. Pour Baudelaire c’est la singularité de la
conduite qui doit primer dans l'attitude du dandy. C’est ainsi que le capitaine
des gardes Lauzun put séduire la cousine de Louis XIV, Mademoiselle. Ce fut
certes aussi en s’écrasant de respect et de dignité devant cette vierge de
quarante-trois ans (selon Barbey) qui l’avait choisi pour mari, et comme le dit
Sainte-Beuve : « La rouerie de Lauzun avec elle consista à
augmenter, à élever encore ces barrières de respect déjà si hautes, à s'y
retrancher, à s'y dérober avec ruse ». On sait le sort réservé à
l’impertinent dandy : il fut enfermé dans la forteresse de Pignerol.
Brummell
n’eut pas un destin plus enviable : il acheva sa vie ruiné, exilé à
Calais, ignoré du prince de Galles (un ami qu’il avait, auparavant, il
est vrai, traité de « gros homme ») et reconstituant dans ses moments
de folie les grandes heures de la cour, discutant avec princes et princesses
seul dans son salon.
Si l’on se
voulait moraliste, on conclurait que l’impertinence et l’égoïsme se payent
toujours. Mais ses personnages n’avaient-ils pas aussi, aux yeux de leurs
contemporains, le défaut de prétendre accéder à une place sociale qui ne leur
était pas destinée ?
L’exemple de
Brummell ne nous permet pas d’y voir très clair. Certes ce fils de bourgeois,
parvenu dans la plus haute société, respecté et craint pour ses jugements
jusque dans l’exil, semble l’incarnation du dandysme. Mais l’essence du dandysme réside plus dans
la personnalité d’un individu d’exception que dans l’application des règles de
conduite en société. Ces deux personnages que sont Lauzun et Brummell sous la
plume de Barbey ne nous permettent finalement pas de définir exactement le
dandysme, au mieux pourrions-nous le reconnaître incarné.
GV
Pour quelles raisons exactement Lauzun fut-il enfermé ?
RépondreSupprimerIl me semble que le roi n'appréciait pas trop Lauzun. Son mariage avec Mademoiselle précipita les choses et il fut expédié sous quelque prétexte obscur à Pignerol.
RépondreSupprimer@ BBC : voici la réponse de Barbey à votre légitime question : "Je le répète, je n'ai à m'occuper aujourd'hui que de cette séduction de Lauzun, qui est une chose à part dans l'histoire des séductions humaines. Je n'ai donc point à parler de son arrestation et de sa mise à Pignerol..." C'est un peu court.
RépondreSupprimerLauzun, en effet, s'est marié avec Mademoiselle d'Orléans mais en secret, et l'on ne devient pas cousin du Roi sans son autorisation. Certains avancent que le roi, en découvrant l'étendue des aventures amoureuses de son sujet, y trouva la raison de ses échecs... Après 10 ans de détention, c'est Mademoiselle qui paya la rançon pour sa libération.
Brummell serait aussi l'inventeur ou au moins le précurseur du costume de l'homme moderne, il existe d'ailleurs une marque de vêtements qui porte son nom.
RépondreSupprimerPour l'anecdote, Léon Bloy raconte comment la tenue excentrique que continuait à porter Barbey d'Aurevilly en 1870 (tenue de dandy des années 30 comme disait Bloy) lui valut d'être pris pour un espion prussien pendant le siège de Paris. Cela faillit lui coûter la vie ! À lire dans le recueil Sueur de sang ("Barbey d'Aurevilly, espion prussien").
RépondreSupprimerMerci Lucien, c'est très intéressant !
RépondreSupprimerSueur de sang sera bientôt l'objet d'un article sur le blog je pense...
Pour le siège de Paris, dommage que ça n'est que failli lui coûter la vie...
RépondreSupprimerEn tout cas, Mademoiselle ne devait pas beaucoup plus le porter dans son coeur que le roi, s'il lui a fallu 10 ans pour payer...
@BBC : vous avez quelque chose contre ce cher Barbey d'Aurevilly ?
RépondreSupprimerPour ce pauvre Lauzun, c'est le roi qui fit des difficultés par son intransigeance. Mademoiselle (très amoureuse) était prête à tous les sacrifices. Cependant, le roi fut longtemps inflexible et exigeât pour la libération plusieurs principautés qui revinrent à un bâtard de la Montespan. En outre, Lauzun du donner son accord à ces marchandages, auxquels il répugnait, paraît-il, sous peine, donc, de passer sa vie en prison...
Barbey d'Aurevilly n'est pas mon écrivain préféré, disons...
RépondreSupprimerOn peut aussi lire un texte peu connu de Françoise Dolto, Le dandy, solitaire et singulier, où elle parle assez finement du miroir comme l'amant du Dandy...
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