dimanche 28 février 2010

Pin-up du mois : O'Murphy

Nos lecteurs ne manqueront pas de constater que si le tableau qui s'offre à leurs regards admiratifs (voire même émoustillés, qui sait ?) leur est sans aucun doute vaguement familier, ils auront peut-être plus de difficultés à identifier la délicieuse adolescente qui pause nue et faussement alanguie sur le divan.
Attardons nous donc quelques lignes sur la jeune Marie-Louise O'Murphy, dite la belle Morphyse, dont l'entrée dans la carrière de la galanterie se fit avec la bénédiction de bien étranges bonnes fées : l'aventurier vénitien Casanova, le peintre Boucher et le roi Louis XV. Trois figures tutélaires de l'aimable libertinage alors en vogue en France entre la Régence et la Révolution française
Née le 21 octobre 1737, à Rouen, la jeune demoiselle O'Murphy, fille d'un bas-officier d'origine irlandaise, après quelques années passées au couvent, serait sans doute restée reléguée dans une modeste et honnête courtisanerie, à l'instar de sa soeur, si les hasards de la prostitution n'avait pas conduit cette dernière à rencontrer Casanova. Celui-ci, qui ne manquait ni de bon goût ni de sens pratique, repéra quelle beauté se cachait derrière la crasse de "la petite souillon". Il la décrivit de la sorte dans ses mémoires: 
"Blanche comme un lys, Hélène avait tout ce que la nature et l'art des peintres peuvent réunir de plus beau. La beauté de ses traits avait quelque chose de si suave qu'elle portait à l'âme un sentiment indéfinissable de bonheur, un calme délicieux. Elle était blonde et cependant ses beaux yeux bleus avaient tout le brillant des plus beaux yeux noirs". 
Et plus loin, commentant le tableau qui nous occupe : 
"La position qu'il [le peintre François Boucher] lui fit prendre était ravissante. Elle était couchée sur le ventre, s'appuyant des bras et du sein sur un oreiller et tenant la tête tournée comme si elle avait été couchée sur le dos. L'artiste habile et plein de goût avait dessiné sa partie inférieure avec tant d'art et de vérité, qu'on ne pouvait rien désirer de plus beau".
Casanova continuant à se donner le beau rôle, raconte comment enfin il s'entremit avec l'aide du peintre et d'un valet royal pour conduire la jeune fille au Parc aux Cerfs, où le roi vint lui-même s'assurer de la ressemblance entre le modèle et le tableau, et vérifier "de sa royale main que le fruit n'avait pas encore été cueilli"...

Marie-Louise devint la favorite du roi pour quelques années, donnant naissance à une fille le 20 juin 1754. Mais son recrutement hors des réseaux habituels de la maîtresse officielle, la Marquise de Pompadour (qu'elle surnommait de manière peu amène "la vieille"), rendait sa position précaire à la Cour. Compromise dans les intrigues de Madame de Valentinois, elle fut disgraciée dès 1755, année où elle épousa Jacques de Beaufranchet d'Ayat, apportant à celui-ci une coquette dot de 20 000 livres et 1 000 livres de bijoux. Celui-ci aura d'ailleurs le bon goût de se faire tuer à Rossbach en 1757, lui laissant une appréciable liberté pour une jeune et belle veuve de 20 ans, ainsi qu'un fils posthume (qui quelques années plus tard,  rallié à la Révolution, s'illustrera lors de la Guerre de Vendée).
Elle se remariera avec François le Normand, comte de Flaghac en 1759, dont elle aura une fille en 1768, avant de convoler une troisième fois en 1795 avec le député thermidorien Louis-Philippe Dumont, de 30 ans son cadet et dont elle divorcera en 1798.  
Elle mourut le 11 décembre 1814 à Paris.

Bruno FORESTIER

NB: Je profite de cette rubrique pour ajouter que les manuscrits originaux de l'Histoire de ma vie de Casanova venant d'être rachetés par la BNF, seront prochainement numérisés. La plupart des éditions disponibles étant largement expurgées, nos lecteurs pourront peut-être glaner de nouvelles révélations sur la belle Morphyse…

Images : la belle Morphyse par Boucher, 1752 (source ici) et L'odalisque brune par le même Boucher, supposée être la sœur de la belle Morphyse, Victoire O'Murphy (source ici).
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10 commentaires:

  1. La soeur semble bien moins gracieuse... Mais il paraît que Diderot crut reconnaître dans ce portrait (L'odalisque brune) sa propre femme ce qu'il considéra comme de la prostitution de la part de Boucher. Si quelqu'un a des détails sur cette affaire...

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  2. Je n'ai pas bien saisi qui était qui, entre Hélène et Marie-Louise... Plus concrètement : laquelle est la belle et laquelle la bête ?
    Et que signifie exactement l'expression "fils posthume" ? Seulement que le père était mort avant sa naissance ? Cela me paraît une façon de dire assez ambiguë.
    Enfin, j'appuie la requête de LB. L'histoire a l'air prometteuse...

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  3. @ BBC
    Bonne remarque que j'appuie. J'avais d'ailleurs posé la question à ce cher Forestier qui m'a rétorqué qu'Hélène était un prénom de prostitution, autrement dit un surnom. Donc Hélène = Marie-Louise. Mais l'auteur nous en dira plus sans doute...

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  4. Bruno Forestier1 mars 2010 à 22:09

    So. J'avais préparé une réponse détaillée mais je viens sottement de l'effacer.

    - Il existe une polémique de spécialistes sur l'identification des modèles de l'odalisque brune et blonde. La première serait soit Victoire O'Murphy ou une autre courtisane à la mode, soit la femme du peintre, soit Mme Diderot si j'ai bien compris LB ?
    - Casanova appelle Marie-Louise, Hélène dans ses mémoires. Il se peut que justement sa mémoire soit défaillante à l'époque de la rédaction, mais il est également possible qu'il s'agisse d'un surnom de prostitution...que l'auteur réutilise perfidement, alors que la jeune fille est devenue une grande dame ?
    - Vous avez donné le sens exact pour l'expression "fils posthume". Je ne vois pas par contre où est l'ambiguïté.

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  5. Emoustillant indeed, et toujours très instructif, ce M. Forestier.

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  6. Vous les cherchez comment vos "pin-up" du mois ? C'est complètement arbitraire ou ça répond à une logique secrète ?

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  7. @ Bruno Forestier : l'expression donne un peu l'impression que le père est mort avant d'avoir pu engendrer son fils... Mais c'est peut-être seulement l'originalité de l'expression qui m'a troublé.

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  8. @ Elise
    Il y a une logique, n'est pas pin-up qui veut. Mais le choix reste arbitraire pour le reste !

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  9. Bruno Forestier4 mars 2010 à 09:40

    @ BBC:

    Il faut convenir que cette expression n'est pas très courante et sert surtout aux dynastologues pour se repérer dans leurs fastidieux arbres généalogiques : Agrippa Postumus, Jean Ier le posthume…

    @ Elise:

    Effectivement, notre bon-plaisir est la seule règle qui anime cette rubrique. Mais soyez rassurée, les candidates sont sélectionnées sur dossier avant de passer devant un jury au dessus de tout soupçon.

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  10. Vous trouverez tous les renseignements que vous cherchez dans le Goût du Roi de Camille Pascal qui raconte par le menu la vie de MArie-Louise O'Murphy. Un chapitre complet est consacré au rôle exact joué par casanova qui dans cette histoire fut bien davantage un témoin qu'un acteur...
    Enfin l'auteur tranche définitivement sur la vieille querelle qui anime les spécialistes depuis plus de vingt ans sur l'identité du modèle de l'Odalisque Blonde.
    Pour ce qui est de l'expression enfant posthume elle appartient à la langue française...

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