Parmi les nombreux
massacres de la Saint-Valentin qui
émaillent l'histoire, l'un des plus terribles est celui qui se déroula à Strasbourg, le 14 février 1349, au cours duquel 2000 juifs
environ furent tués.
L'Europe occidentale,
déjà troublée par les atrocités des débuts de la Guerre de Cent ans, avait subi de plein fouet l'épidémie de Peste
Noire qui à partir du printemps 1348
devait balayer le continent et provoquer plusieurs millions de morts.
Ces événements déjà
fortement traumatisants en eux-même contribuèrent à relancer l'agitation
populaire dans les villes comme dans les campagnes. Ainsi, dans le sillage de
la peste, une vague de pogroms déferla sur la France puis la Rhénanie et le Saint-Empire tout entier. L'anti-judaïsme au Moyen-âge s'explique
certes pour des raisons religieuses, mais surtout pour le rôle économique que
jouent très souvent les juiveries dans les villes. Peu à peu exclus des
professions artisanales et commerciales sous l'influence croissante des corporations,
la plupart des juifs avaient dû se vouer au commerce de l'argent et au prêt.
Dans une société où l'Église interdisait l'usure, les juifs se retrouvèrent
dans la délicate position d'usuriers, de prêteurs et de percepteurs d'impôts.
Si à ce titre, ils étaient protégés par les autorités - Juifs de la Maison du
Roi, ou Juifs du Pape par exemple - ils étaient évidemment dangereusement
exposés à la fureur populaire lors des explosions sociales qui déchiraient
régulièrement les villes.
En effet, dans la
plupart des villes commerçantes, de l'Italie du Nord à l'Angleterre en passant
par la Champagne, la Rhénanie et les Flandres, les affrontements de classes
étaient permanents et souvent sanglants. Strasbourg à cette époque pourrait
presque être considéré comme un cas d'école.
Ville libre depuis le
début du XIIIe siècle, les bourgeois de Strasbourg en s'alliant à l'Empereur
avaient successivement évincés l'Évêque, puis les deux grandes familles
féodales (Zorn et Müllenheim) qui se disputaient le pouvoir. Depuis 1332, la
ville était exclusivement dirigée par des membres du Patriciat, membres de
maisons nobles d'origine mercantile, qui concentraient en leurs mains les
pouvoirs politiques, économiques et juridiques. En bons gérants des intérêts de
la ville qui se confondaient avec leurs propres intérêts économiques, les
autorités municipales protégeaient la prospère communauté juive qui
fournissait de confortables revenus.
Cette situation de
monopole devait bien sûr entraîner un certain nombre de rancoeurs et de détestations.
La vague de pogroms qui touchait les autres villes de la région avait été
partout l'occasion de graves troubles urbains. À Strasbourg au moins, ces
troubles prirent l'aspect d'un véritable coup d'État, dont l'un des principaux
enjeux devait être le massacre des juifs de la ville.
Au début de l'année
1349, la ville n'avait pas encore été touchée par l'épidémie de peste, mais les
rumeurs alarmantes allaient bon train, notamment celle accusant les juifs
d'empoisonner les puits. On en vint à réclamer l'expulsion ou l'extermination
des juifs, avant que la maladie ne se déclare... La municipalité, peu soucieuse
de perdre une telle source de revenus, biaisa en ouvrant une enquête et en
demandant des rapports à d'autres villes qui avaient obtenu par la question des
aveux de quelques juifs arrêtés.
Le 8 février à Benfeld s'ouvrit une conférence devant décider du sort des
juifs de la Basse-Alsace. Les choses tournèrent très mal. Les Stadtmeisters
(maires) de Strasbourg, le juge Sturm et Conrad Kuntz von Winterthur, soutenu par l'Ammeister Peter Schwaber prirent la défense des juifs contre la majorité des
délégués, soutenus eux par l'Évêque. Pris à parti le lendemain par les délégués
des artisans qui réclamaient le partage de l'argent qu'ils avaient dû recevoir des
juifs pour ne pas les condamner, Peter Schwaber fit arrêter une partie des
meneurs.
La révolte éclata
aussitôt à Strasbourg. Le 10 février, rue du Dôme, devant la Cathédrale, les
artisans réunis sous les bannières, accompagnés par des chevaliers en armes,
firent arrêter chez eux les deux Meisters, saisirent les sceaux et les
bannières de la ville et déposèrent l'ensemble du Conseil municipal. Les
artisans créèrent dans la foulée un nouveau Conseil composé d'artisans, mais
aussi de chevaliers et de bourgeois, parmi lesquels le nouvel Ammeister Betschold
le Boucher qui devait s'illustrer
quelques jours plus tard. Le renversement du Conseil avait permis aux féodaux
de regagner une grande partie de leurs prérogatives (deux des nouveaux Meisters
sur quatre appartenaient à la noblesse), alors que les corporations étaient
désormais les maîtresses de la vie politique.
Le nouveau Conseil, dès son arrivée au pouvoir, lança le pogrom, sans se soucier des conséquences
économiques, ni de la foi jurée. Du reste, il est peu probable que les nouveaux
dirigeants aient pu arrêter le mouvement, quand bien même ils l'auraient
désiré. Aussi, le jour de la Saint-Valentin, le quartier juif fut-il investi
par la foule qui se déchaîna, avant d'entraîner les habitants jusqu'au cimetière
juif, où avait été érigé un immense bûcher sur lequel deux mille d'entre eux
devaient être brûlés vifs plusieurs jours durant. D'après les chroniques, seuls
furent épargnés les apostats, les petits enfants et quelques jeunes femmes.
Sans compter, bien sûr, ceux qui avaient eu la sagesse et les moyens de quitter
la ville les jours précédents. Plus important que le massacre même, toutes les
dettes dues aux juifs furent annulées et les gages et les lettres de crédit
rendus à leurs possesseurs. Les biens récoltés pendant le pillage de la
Juiverie furent également répartis entre les artisans, principaux vainqueurs de
ces journées, l'évêque et la municipalité. Celle-ci promulgua un décret
interdisant toute installation de juifs dans la ville pour deux cents ans.
La
précaution fut sans doute insuffisante, car la peste noire s'abattit sur la
ville quelques mois plus tard.
Paul LAMARE
Sur
le sujet, on peut lire le roman de Charly Damm, Niclaus Findel,
publié en 2005 aux éditions de la Coprur, qui retrace l’histoire de Strasbourg
de 1248 à 1349.
Y a pas à dire, ça change des articles traditionnels et cucus sur la St-Valentin... Et c'est très instructif, j'ignorais que le 14 février était aussi célèbre pour ses massacres. Est-ce qu'il y en a eu vraiment tant que ça au cours de l'Histoire ?
RépondreSupprimerEn tout cas, il y aussi la Saint-Valentin de 1929 qui fut un célèbre massacre entre mafieux à Chicago (Al Capone et cie…).
RépondreSupprimerNe peut on faire un lien entre ce massacre du XIVè et les massacres de Septembre auquel le titre de votre blog rend hommage ?
RépondreSupprimerDans les deux cas on massacre par peur du complot...
"les affrontements de classes étaient permanents"
RépondreSupprimerest ce à dire que la "lutte des classes" faisait déjà fureur à l'époque dans toute l'Europe ?
Les juifs ont ils été massacrés pour une raison de croyance populaire (la peste) ou pour une raison économique (les dettes) ?
Comment faire la part des choses ?
@ anonyme:
RépondreSupprimerComparaison n'est certes pas toujours raison, mais vous touchez, je crois, quelque chose de juste. Massacrer une population est rarement un acte banal (quoiqu'on en pense) et pour aboutir à un tel événement il faut toujours une certaine préparation psychologique. Vous citez les massacres de Septembre, mais on pourrait aussi évoquer le "complot huguenot" qui déclencha entre autres la tuerie de la St-Barthélemy, ou même très récemment le génocide rwandais.
Tant qu'au titre du blog, outre la légère provocation qu'il représente, je crois qu'il s'agit surtout d'un hommage aux héros anonymes d'une Révolution française "prise comme un bloc".
@ Vernet:
En fait, le concept de "Lutte des classes" n'est apparu qu'au XIXe siècle sous la plume de St-Simon avant d'être popularisé par la pensée marxiste. Pour autant, la "Lutte des classes" que je mentionne ici, n'est pas celle qui opposerait bourgeoisie et le prolétariat (ce qui serait anachronique), mais bien les différentes classes urbaines qui forment à la fin du moyen-âge un enchevêtrement de couches sociales aux intérêts économiques et politiques souvent divergents, mais voilés et obscurcis. Même la "juiverie" sous son apparence uniforme d'une classe d'usurier était en fait traversée par des clivages très marqués...
Pour votre seconde question, on peut peut-être remarquer que les chroniques tendent à indiquer que la rumeur d'empoisonnement servit surtout de prétexte au coup d'État des corporations. D'autre part, s'il est assez apparent que les intérêts matériels ont sans doute primé dans les motivations de certains acteurs, il est fort possible que l'antijudaïsme médiéval ait suffi pour déclencher le pogrom.
P. L.
J'ajoute qu'il existe un petit texte de P. Lafargue, intitulé "Les luttes de classes en Flandres", qui pour un peu vieilli qu'il soit, permettra aux lecteurs intéressés de se faire une idée un peu plus précise, sans se plonger dans la passionnante mais volumineuse historiographie actuelle:
RépondreSupprimerhttp://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1882/01/flandre.htm
P. L.
Pour compléter les dires de Paul Lamare, j'ajoute qu'une réédition assez complète de l'ensemble des textes révolutionnaires de Paul Lafargue vient d'être publiée chez Texto.
RépondreSupprimerÀ lire en particulier : "La légende de Victor Hugo" et "Le droit à la paresse".
Qu'est-ce que le Christ en croix vient faire à côté du Juif empoisonnant le puits ?
RépondreSupprimerJ'imagine que c'est pour rappeler que les Juifs sont déicides, en plus d'être des empoisonneurs de puits.
RépondreSupprimerun mal qui répand la terreur
RépondreSupprimerun mal que le ciel inventa pour punir les crimes de la terre
la peste
puisqu'il faut l'appeler par son nom
ils n'en mourraient pas tous mais tous en été atteints
Je ne vérifie pas le texte sur mon livre "les fables de la Fontaine"
De vagues souvenirs me reviennent en mémoire
Tous les animaux avouèrent leurs crimes des plus odieux au plus insignifiant et c'est l'âne qui hérita de la sanction pour avoir juste brouter dans un champ voisin
et tellement vrai
C'est un commentaire censuré ou seulement laborieusement décousu ?
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