Le Nicolas
Ostrovski (1904-1937) auquel cet
article fait allusion à la fin, et dont Gide raconta la rencontre dans un appendice à son Retour de l’URSS, est aujourd'hui un
auteur à peu près oublié. Il connut cependant, dans les années précédant et
suivant la Seconde guerre mondiale, un incontestable succès et fut longtemps un
des grands noms de la littérature soviétique, même si le succès de ses deux
romans, Et l'acier fut trempé (1932) suivi de Enfanté par la tempête (1935), s'explique moins par le talent littéraire
d'Ostrovski que par sa force morale qui transparaît à travers son oeuvre.
Le premier livre,
d'inspiration largement autobiographique, a été considéré — sans doute à raison
— comme le modèle le plus pur du "Réalisme socialiste" dans la
littérature russe de cette époque. Le roman retrace la vie de Pavel
Kortchaguine, jeune prolétaire
volhynien s'engageant dans l'Armée Rouge pendant la guerre civile, puis dans les Komsomols durant la difficile période de la reconstruction.
Blessé et malade, Kortchaguine devient peu à peu aveugle et paralytique, mais
refuse de sombrer dans le désespoir, grâce notamment à l'écriture d'un roman
autobiographique. Nos lecteurs auront compris que la vie du héros ressemble
presque trait pour trait à celle de son auteur.
Ce livre, qui devint
durant la période stalinienne un véritable best-seller soviétique (la légende
veut qu'il fut lu dans toutes les unités soviétiques pendant la guerre) suscita
aussi un fort engouement à l'étranger, malgré les pesanteurs du style et les
obligations propagandistes. Traduit en France par les Éditions sociales
internationales dès 1937, et réédité
à plusieurs reprises, ce roman était ainsi l'un des préférés de Louis
Aragon et le personnage
d'Ostrovski-Kortchaguine lui inspira en grande partie son Joseph Gigoix des Communistes.
Lesté de ces
informations, l'émouvant passage où André Gide rapporte sa rencontre avec
Ostrovski agonisant, placé à la fin de son Retour de l'URSS , prend ici tout son sens et résume en quelques
lignes tout le désarroi de l'écrivain français, tard venu au communisme, et
n'arrivant dans la Russie stalinienne des Grandes Purges que pour y découvrir
une Révolution mourante, symbolisée par la lente agonie d'Ostrovski :
"Je me lève pour partir. Il me demande de l'embrasser. En posant mes lèvres sur son front, j'ai peine à retenir mes larmes; il me semble soudain que je le connais depuis longtemps, que c'est un ami que je quitte ; il me semble aussi que c'est lui qui nous quitte et que je prends congé d'un mourant".
Il est intéressant de
lire ce qu’en pense Romain Rolland, fidèle du Parti, dans sa préface à Et
l’acier fut trempé :
"Nicolas Ostrovski est un de ces hommes, un de ces hymnes de vie ardente, et héroïsme. André Gide, qui l'a visité et qui lui a rendu un hommage d'admiration émue, n'a pas su le voir et l'entendre, quand il le représente comme une "âme privée de presque tout contact avec le monde extérieur et ne pouvant trouver base où s'étendre" ; il s'est figuré, quand il lui tendait la main, qu'elle pouvait être pour Ostrovski, "comme un rattachement à la vie". Mais des deux hommes, c'est le mourant qui aurait pu "attacher l'autre à la vie". Comment Gide ne l'a-t-il pas senti ? Cette torche d'action aurait dû lui brûler les doigts."
Bruno FORESTIER
Images : extrait d'un article de la Pravda du 3 décembre 1936, reproduit dans L'Humanité en 1937 (source BF), photo de Nicolas Ostrovski (source ici).
Ah ce Romain Rolland, toujours le même...
RépondreSupprimerEn tout cas, il a une sacrée bobine Ostrovski, avec son crâne à la Périclès.
Je suis assez d'accord, il a "une sacrée bobine". Je trouve qu'il fait un peu savant fou russe. Son histoire a l'air très émouvante, je vais tenter de me la procurer. Mais peut-être est-ce l'hommage de Gide qui lui donne cet aspect ?
RépondreSupprimer"Périclès", "savant fou"…Il faut bien admettre que cette photo n'avantage pas notre ami, mais allez savoir pourquoi, j'ai l'impression que c'est la seule à circuler sur le net. Il est pourtant nettement mieux sur les autres photos que j'ai pu voir de lui plus jeune.
RépondreSupprimer@ BBC:
Je crois que c'est justement tout le talent littéraire de Gide que de parvenir à restituer en quelques lignes l'émotion qui l'étreint lors de sa visite. Mais s'il était ému à un tel point, c'est bien parce que la vie d'Ostrovski est particulièrement émouvante...
Je suis en train de lire le bouquin en ce moment-même. Je vous dirai !
RépondreSupprimerOstrovski est évoqué dans la première partie de cet article parue la veille de celle-ci, dans l'Humanité du 18 décembre 36.
RépondreSupprimerJe viens de la mettre en ligne avec une photographie non moins étonnante de Gide veillant Ostrovski sur son lit de mort.
Je viens de lire l'article au complet sur votre site, et le moins qu'on puisse dire, c'est que la première partie est aussi fielleuse que la seconde ! En tout cas, grands mercis d'avoir complété ainsi notre re-publication.
RépondreSupprimerLa photo que vous mettez en ligne est très belle en effet. On a presque l'impression d'une composition dans un tableau religieux: les visages figés, graves ou douloureux, les regards intenses des deux hommes, la blancheur des draps et des vêtements...