Samedi soir, au théâtre
Marigny, se jouait la cinquième et
dernière représentation de The Tempest, pièce de William
Shakespeare mise en scène par Sam
Mendes, plus connu comme réalisateur,
notamment avec Noces rebelles ou American Beauty. Celui-ci a lancé en 2007 « The
Bridge Project », collaboration entre
des théâtres anglais et américains pour la représentation d’œuvres classiques
dans plusieurs pays. La troupe qu’il dirige était donc à Paris pour quinze
jours afin de présenter The Tempest, précédé la première semaine
de As you like it
du même Shakespeare.
Disons d’emblée que le prix des
places était spécialement prohibitif. En dépit de sa dimension
« internationale », le « Bridge Project » ne prétend pas à
l’internationalisme. Le public l’avait du reste fort bien compris, mondain et
parfumé, tout comme les ouvreuses prêtes à d’odieuses bassesses pour extorquer
un pourboire au plus désargenté des spectateurs. M. Pierre Lescure, directeur du théâtre Marigny, assistait en
personne à cette « dernière », bien installé au centre du parterre
non loin de l’actrice Marie Gillain
et de l’acteur américain Ethan Hawke, les autres stars de cette soirée.
Commencée en retard, comme il se
doit, la pièce en version originale était à tout hasard surtitrée en français.
À tout hasard, en effet, car relever la tête pour lire
péniblement la traduction garantissait au spectateur un immédiat torticolis,
sans compter qu’une pareille posture n’était pas du meilleur effet pour beaucoup
de ces esthètes venus « écouter du Shakespeare ». Il s’agissait bien
d’écouter d’ailleurs, car pour ce qui était de voir, les tignasses ébouriffées
du rang précédent étaient naturellement là pour vous en empêcher…
Nonobstant
ces désagréments et la sainte indignation qu’ils suscitèrent, la pièce fut
plutôt réussie. Nous oublierons volontiers le peu d’inventivité des costumes et
décors pour retenir le très bon jeu des acteurs, particulièrement Ron Cephas
Jones dans le rôle de Caliban et Edward Bennett dans celui de Ferdinand. De même, emmenés par deux violonistes installés de
part et d’autre de la scène, les passages musicaux venaient parfaitement
rythmer la pièce, avec cette spécificité qu’ils parvenaient à réveiller par
leur entrain quelques douairières assoupies sous les effluves de leurs propres
parfums. Car si le public écoutait religieusement et paraissait se pâmer à
l’unisson, nous n’hésiterons pas à révéler que nombre de spectateurs, dont nous
fûmes hélas, souffrirent le martyre dans l’air asphyxiant de la salle. Le supplice
fut d’autant plus long qu’il n’y eut aucun entracte (2h15). Cette absence trahissait justement l’abandon délibéré de la mise en scène
traditionnelle au théâtre, ce qui ne constituait pas l’un des aspects les moins
frappants de cette représentation : entrée de Prospero sur scène au milieu du brouhaha de la salle et les
lumières allumées, aucun changement de décor pendant toute la pièce, pas plus
d’obscurcissement de la scène, nul rideau pour finir. Ce parti pris qui ne fera
probablement pas sourciller un habitué des théâtres, ne fit en tout cas aucune
ombre au succès de The Tempest puisque la pièce se ponctua
opportunément sur un tonnerre. D’applaudissements.
Lucien JUDE
NB : Le lecteur voudra bien
nous excuser d’avoir si peu parlé de théâtre et tant disserté sur l’événement,
mais il nous accordera que la scène n’était pas uniquement là où elle
aurait dû être.
J'aime cette description du plus désargenté des spectateurs, victime des bassesses de la thuriféraire ouvreuse...
RépondreSupprimerSans parler des rombières assoupies sous les effluves de leur propre parfum, se gaussant d'admiration. On s'y croirait.
En revanche, il y a un petit quelque chose que je ne supporte pas: les transpositions modernisées à l'excès des chefs-d'oeuvre de la littérature.
Une petite pincée de modernité, c'est charmant, voire indispensable.
Mais on ne compte plus les oeuvres massacrées par les débordements délirants de je ne sais quel pseudo-artiste du moment. Ces "furtivo-momentistes" que raillait Alphonse Allais.
Je n'inclus évidemment pas Sam Mendès dans cette catégorie: sa réputation n'est plus à faire. Mais se serait-il égaré dans les travers d'une mise en scène à tout prix révolutionnaire, de crainte de déplaire au diktat des auto-proclamés intellectuels?
Vanitas vanitatum, omnia vanitas ! Votre goût immodéré pour les mondanités causera votre perte mon cher Jude !
RépondreSupprimerNotez, qu'il y a quelques temps j'ai eu une expérience comparable quant aux sous-titres, en assistant à une pièce d'une troupe polonaise, sous-titrée en anglais. Ce petit inconvénient m'a au moins permis de me concentrer sur le jeu des acteurs (qui était fort bon) et de lire la pièce plus tard, dans la quiétude de mon domicile...
@ Naturalibus:
Vous avez l'air bien remonté contre les transpositions modernes. Des mauvaises expériences, peut-être ?
Voyons, on en va pas éteindre les lumières alors que le spectacle est visiblement autant dans la salle que sur scène. Pierre Lescure sait ce qu'il fait !
RépondreSupprimerAu fait, à combien étaient les places ?
@Bruno Forestier: une mauvaise adaptation de Lohengrin à l'Opéra Bastille (j'ai d'ailleurs eu les mêmes problèmes de sous-titrage!), une affligeante et moderne mise en scène du Malade imaginaire, une méfiance naturelle envers les classiques revisités (pauvre Mozart), et une solide mauvaise foi...
RépondreSupprimerJe ne sais plus trop si je dois regretter ou me réjouir de n'avoir pas pu avoir de place pour cette représentation. Article en tout cas délicieux. Ne serait-ce que pour lui, votre souffrance n'aura pas été vaine !
RépondreSupprimer@ Anonyme
RépondreSupprimerLes premiers prix étaient aux alentours de 30 euros. Et cela montait haut, très haut, jusqu'à 90 euros !
Il semble bien que le surtitrage soit un problème récurrent au théâtre ou à l'opéra. Personne ne peut suivre une pièce en dodelinant de la tête de la sorte…
Et puisqu'on est au chapitre du confort, j'en profite pour évoquer un autre problème très répandu : le manque de place pour s'installer confortablement (en particulier les jambes). Ce fut un autre supplice de cette mémorable séance. M. Lescure, il est temps de faire quelque chose pour votre théâtre !
90€ pour une pièce de Shakespeare ça ne me semble pas excessif, si on est très bien placé.
RépondreSupprimerRegardez les concerts de Britney Spears et autres incongruités musicales: les prix peuvent largement atteindre ces sommets.
Il y a deux mois je suis allé voir un concert de piano salle Pleyel, les places étaient à 135 euros.
C'est évidemment une rondelette petite somme, mais si on a très envie d'assister à une représentation et qu'on a l'assurance d'être bien placé, pourquoi pas.
Précisément, un prix pareil pour tous les désagréments évoqués me paraît excessif...
RépondreSupprimerPour autant, vous avez raison de faire la comparaison avec les concerts (du moins les concerts de stars, comme Paul McCartney). Tout cela est décidément scandaleux...