"En avril ne te découvre
pas d’un fil". Tel est le simple dicton qu’aurait dû méditer le général
Nivelle (1856-1924) avant de lancer sa
désastreuse offensive du chemin des Dames, le 16 avril 1917. Mais celui qu’on surnomma à juste titre "le
boucher" n’était pas une ganache à moitié : obstiné dans son erreur,
il parvint en quelques semaines à décimer ses armées dans ce que Céline qualifia d’"abattoir international en
délire", provoquant une vague de mutineries sans précédent dans les
annales de l’histoire militaire française. Un pareil phénomène mérite qu’on lui
consacre quelques mots.
Né à Tulle en 1856, Robert
Georges Nivelle fut un petit génie comme la plupart des ganaches de notre
illustre armée. Polytechnicien, bilingue (sa mère était anglaise), artilleur de
formation, il fit partie du corps expéditionnaire qui combattit en Chine la révolte des Boxers (1900), puis partit
servir aux colonies d’Afrique, passage obligé à cette époque. Le brave homme
était colonel quand éclata la première guerre mondiale. Sa belle conduite dans
les combats d’août et septembre 1914 lui valut d’être remarqué, essentiellement
en raison de sa qualité d’artilleur. Il fut promu général en même temps que Pétain à qui il succéda
pour conduire la bataille de Verdun,
en avril 1916. C’est là que sa gloire éphémère allait naître.
Nivelle fut en effet nommé parce
qu’on avait confiance en sa rage de vaincre ; l’homme était réputé être un
chaud partisan de l’attaque, mais "technicienne" s’il vous plaît.
En compagnie du général Mangin, son
fidèle second, lui aussi "connu pour son ardeur offensive" (dixit Pierre
Miquel), il déclencha à Verdun quelques
contre-offensives infructueuses et meurtrières en guise de préambule. Il faut
dire que Nivelle montrait peu de scrupules à sacrifier ses troupes tant qu’il
pensait entrevoir une espérance de victoire. Comme malheureusement il croyait
fermement à la victoire, les offensives se succédaient… Elles finirent malgré
tout par payer puisque le fort de Douaumont fut repris en octobre 1916, et du même coup "gagnée" la bataille de Verdun. Le retentissement de cette victoire
fit de cette ganache le héros du gouvernement, gouvernement qui s’empressa de
le nommer généralissime en lieu et place du vieux Joffre poussé à la retraite. Tout le monde se persuadait
alors qu’une offensive décisive pourrait terminer la guerre. Qui mieux que
Nivelle pour en assurer la tâche ?
Celui-ci fanfaronnait, vieille manie
des officiers français : "Nous romprons le front allemand quand nous le
voudrons". Le lieu est choisi, ce sera le Chemin des Dames, une position
imprenable où les Allemands sont établis dans des cavernes et souterrains à
l’abri de tout bombardement. La stratégie de percement envisagée sur ce point
très peu vulnérable laisse rêveur. Elle scandalisa le général Lyautey lorsqu’il en prit connaissance, qui s’écria : "C’est un plan digne de la grande duchesse de Gérolstein !". Pétain émit de sérieuses réserves à son
tour. Mais la confiance régnait chez Nivelle et ses sbires.
Le 16 avril 1917, l’offensive est
lancée. Après une préparation d’artillerie à la hauteur de l’événement mais à
l’efficacité aussi nulle que lors de la bataille de la Somme, les troupes
d’assaut montent à l’attaque. Elles sont aussitôt anéanties par les
mitrailleuses allemandes et les meilleures unités ne parviennent qu’à grande
peine sur leurs objectifs, pour les abandonner presque aussitôt. Mangin
lui-même est contraint de limiter son offensive. Les pertes sont effroyables ;
en interdisant tout recul, Nivelle condamne des milliers de soldats. Les
blessés ne peuvent pas être transportés sur l’arrière, ils périssent faute de
soins sur les pentes des plateaux de Craonne et de Californie,
devant la ferme Heurtebise… Bien
ennuyé de voir échouer son attaque (si technicienne pourtant), Nivelle persiste
durant plusieurs jours ce qui amplifie l’hécatombe à défaut de faire
avancer qui que ce soit d’un seul kilomètre. Sa complète négligence de la
résistance des lignes allemandes a mené à la catastrophe. Il démissionne le 15 mai après avoir
été sommé de partir. Du 16 avril au 10 mai, les pertes officielles, donc
minorées, se chiffrent à 139 589 hommes.
Le général Nivelle, responsable
de cet immense massacre, n’est évidemment pas jugé pour ses crimes. Une
commission d’enquête le dédouane, attribuant l’échec de l’offensive aux hasards
de la guerre, soulignant surtout le rôle du pouvoir politique qui l’avait
poussé à agir. Sa disgrâce se limite à un exil forcé en Algérie, à la tête des
forces armées d’Afrique du Nord. Dieu Merci, il retrouve vite les honneurs,
d’abord avec un poste au Conseil supérieur de la guerre, puis avec quelques
décorations supplémentaires pour orner son splendide uniforme. Comme de juste,
il meurt dans son lit, en 1924, à l’âge de 67 ans. Bien jeune pour une ganache.
L’excès de bonne chère, sans doute.
KLÉBER
Un homme bien sympathique, à ce que je vois... La question a déjà été posée pour les pin-up, mais comment choisissez-vous les ganaches ? Sont-ce des personnalités déjà connues de vous ou des découvertes ? Hasard ou recherche ?
RépondreSupprimerEnfin, je ne comprends pas bien la couverture du Rire : que tient-il exactement ?
@bbc à mon sens, il tient un pilon géant et écrase généreusement un corps surmonté d'un casque à pointe, mais on peut supposer après la lecture de cet article qu'il y a aussi quelques français dans le lot, et oui, "les hasards de la guerre"...
RépondreSupprimerLes ganaches sont choisies si possible en fonction de la date (ici le 16 avril) ou de l'actualité (documentaire sur l'affaire de Souain pour le général Réveilhac). Mais le plus souvent c'est un choix purement arbitraire (comme pour les pin-up) en fonction de nos connaissances. Nous faisons alors de plus amples recherches sur l'élu du mois afin d'en dresser le plus juste portrait.
RépondreSupprimerPour ce qui est de la couverture du Rire, Vernet a bien résumé la scène. Ce journal était plutôt patriote pendant la guerre d'après ce que j'ai pu en voir. L'illustration ci-dessus date de 1917, mais probablement avant la démission de Nivelle. Il montre donc la force de Nivelle en train de "niveler" à coup de pilon le terrain jonché d'Allemands. On peut penser qu'il y aussi quelques Français là-dessous mais ce n'était probablement pas l'intention première du dessinateur…
Ce qui a perdu ce brave garçon finalement c'est son optimisme.
RépondreSupprimerRappelons tout de même que Nivelle perdit son titre de "vainqueur de Verdun" au profit de Pétain. Après l'échec de son offensive en 1917, il ne pouvait plus être question de lui et son titre de vainqueur (ce qu'il était de fait) devenait encombrant pour la légende. On le donna donc à Pétain qui avait été plutôt le défenseur que le vainqueur (au début de la bataille). Mais, on sait que ce titre porta encore moins chance au Maréchal…
RépondreSupprimerTrès marrante la dernière photo, on se demande s'il sourit à l'objectif ou s'il a une paralysie de la face.
RépondreSupprimerÀ propos du passage obligé dans l'armée d'Afrique pour les futurs chefs de l'État Major, on peut remarquer que cette saine tradition s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui. La très grande majorité des officiers d'État major passent par les unités "d'infanterie de marine" qui stationnent dans nos anciennes colonies.
RépondreSupprimerCela me fait penser à l'Affaire des caporaux de Souain, cible de Kubrick dans ses Sentiers de la gloire.
RépondreSupprimerBravo pour cet article bien documenté(à part l'accord de "massacre" au féminin, je lui donne 20/20), on trouve décidemment d'excellentes choses sur ce site!
@ naturalibus
RépondreSupprimerMerci, je corrige ça tout de suite !
Quant à l'affaire des caporaux de Souain que vous citez, je me permets de vous renvoyer vers un précédent article dans lequel nous l'avions évoquée, à l'occasion de la ganache du mois de novembre dernier, le général Réveilhac : http://lesseptembriseurs.blogspot.com/2009/11/ganache-du-mois-reveilhac.html
Bonjour.
RépondreSupprimerJe vous invite à lire l'ouvrage de M.Denis Rolland " Nivelle. L'inconnu du Chemin des Dames " paru chez Imago en 2012.
Ensuite vous pourrez parler de ce que vous connaissez.
Ane Honyme
Excellente la remarque à propos de son optimisme! L'objet qu'il tient dans la caricature est une hie de paveur. Jérome Ferri
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