vendredi 16 avril 2010

Ganache du mois : Nivelle

"En avril ne te découvre pas d’un fil". Tel est le simple dicton qu’aurait dû méditer le général Nivelle (1856-1924) avant de lancer sa désastreuse offensive du chemin des Dames, le 16 avril 1917. Mais celui qu’on surnomma à juste titre "le boucher" n’était pas une ganache à moitié : obstiné dans son erreur, il parvint en quelques semaines à décimer ses armées dans ce que Céline qualifia d’"abattoir international en délire", provoquant une vague de mutineries sans précédent dans les annales de l’histoire militaire française. Un pareil phénomène mérite qu’on lui consacre quelques mots.

Né à Tulle en 1856, Robert Georges Nivelle fut un petit génie comme la plupart des ganaches de notre illustre armée. Polytechnicien, bilingue (sa mère était anglaise), artilleur de formation, il fit partie du corps expéditionnaire qui combattit en Chine la révolte des Boxers (1900), puis partit servir aux colonies d’Afrique, passage obligé à cette époque. Le brave homme était colonel quand éclata la première guerre mondiale. Sa belle conduite dans les combats d’août et septembre 1914 lui valut d’être remarqué, essentiellement en raison de sa qualité d’artilleur. Il fut promu général en même temps que Pétain à qui il succéda pour conduire la bataille de Verdun, en avril 1916. C’est là que sa gloire éphémère allait naître.

Nivelle fut en effet nommé parce qu’on avait confiance en sa rage de vaincre ; l’homme était réputé être un chaud partisan de l’attaque, mais "technicienne" s’il vous plaît. En compagnie du général Mangin, son fidèle second, lui aussi "connu pour son ardeur offensive" (dixit Pierre Miquel), il déclencha à Verdun quelques contre-offensives infructueuses et meurtrières en guise de préambule. Il faut dire que Nivelle montrait peu de scrupules à sacrifier ses troupes tant qu’il pensait entrevoir une espérance de victoire. Comme malheureusement il croyait fermement à la victoire, les offensives se succédaient… Elles finirent malgré tout par payer puisque le fort de Douaumont fut repris en octobre 1916, et du même coup "gagnée" la bataille de Verdun. Le retentissement de cette victoire fit de cette ganache le héros du gouvernement, gouvernement qui s’empressa de le nommer généralissime en lieu et place du vieux Joffre poussé à la retraite. Tout le monde se persuadait alors qu’une offensive décisive pourrait terminer la guerre. Qui mieux que Nivelle pour en assurer la tâche ?
Celui-ci fanfaronnait, vieille manie des officiers français : "Nous romprons le front allemand quand nous le voudrons". Le lieu est choisi, ce sera le Chemin des Dames, une position imprenable où les Allemands sont établis dans des cavernes et souterrains à l’abri de tout bombardement. La stratégie de percement envisagée sur ce point très peu vulnérable laisse rêveur. Elle scandalisa le général Lyautey lorsqu’il en prit connaissance, qui s’écria : "C’est un plan digne de la grande duchesse de Gérolstein !". Pétain émit de sérieuses réserves à son tour. Mais la confiance régnait chez Nivelle et ses sbires.

Le 16 avril 1917, l’offensive est lancée. Après une préparation d’artillerie à la hauteur de l’événement mais à l’efficacité aussi nulle que lors de la bataille de la Somme, les troupes d’assaut montent à l’attaque. Elles sont aussitôt anéanties par les mitrailleuses allemandes et les meilleures unités ne parviennent qu’à grande peine sur leurs objectifs, pour les abandonner presque aussitôt. Mangin lui-même est contraint de limiter son offensive. Les pertes sont effroyables ; en interdisant tout recul, Nivelle condamne des milliers de soldats. Les blessés ne peuvent pas être transportés sur l’arrière, ils périssent faute de soins sur les pentes des plateaux de Craonne et de Californie, devant la ferme Heurtebise… Bien ennuyé de voir échouer son attaque (si technicienne pourtant), Nivelle persiste durant plusieurs jours ce qui amplifie l’hécatombe à défaut de faire avancer qui que ce soit d’un seul kilomètre. Sa complète négligence de la résistance des lignes allemandes a mené à la catastrophe. Il  démissionne le 15 mai après avoir été sommé de partir. Du 16 avril au 10 mai, les pertes officielles, donc minorées, se chiffrent à 139 589 hommes.

Le général Nivelle, responsable de cet immense massacre, n’est évidemment pas jugé pour ses crimes. Une commission d’enquête le dédouane, attribuant l’échec de l’offensive aux hasards de la guerre, soulignant surtout le rôle du pouvoir politique qui l’avait poussé à agir. Sa disgrâce se limite à un exil forcé en Algérie, à la tête des forces armées d’Afrique du Nord. Dieu Merci, il retrouve vite les honneurs, d’abord avec un poste au Conseil supérieur de la guerre, puis avec quelques décorations supplémentaires pour orner son splendide uniforme. Comme de juste, il meurt dans son lit, en 1924, à l’âge de 67 ans. Bien jeune pour une ganache. L’excès de bonne chère, sans doute.

KLÉBER

Images : célèbre photo de Nivelle (source ici), portrait plus posé du général (source ici), "le général Nivelle niveleur", dessin du Rire en 1917 (source ici), photo du cimetière de Craonnelle, près du Chemin des Dames (source ici), belle photo de notre ganache pour conclure (source ici).
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11 commentaires:

  1. Un homme bien sympathique, à ce que je vois... La question a déjà été posée pour les pin-up, mais comment choisissez-vous les ganaches ? Sont-ce des personnalités déjà connues de vous ou des découvertes ? Hasard ou recherche ?
    Enfin, je ne comprends pas bien la couverture du Rire : que tient-il exactement ?

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  2. @bbc à mon sens, il tient un pilon géant et écrase généreusement un corps surmonté d'un casque à pointe, mais on peut supposer après la lecture de cet article qu'il y a aussi quelques français dans le lot, et oui, "les hasards de la guerre"...

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  3. Les ganaches sont choisies si possible en fonction de la date (ici le 16 avril) ou de l'actualité (documentaire sur l'affaire de Souain pour le général Réveilhac). Mais le plus souvent c'est un choix purement arbitraire (comme pour les pin-up) en fonction de nos connaissances. Nous faisons alors de plus amples recherches sur l'élu du mois afin d'en dresser le plus juste portrait.
    Pour ce qui est de la couverture du Rire, Vernet a bien résumé la scène. Ce journal était plutôt patriote pendant la guerre d'après ce que j'ai pu en voir. L'illustration ci-dessus date de 1917, mais probablement avant la démission de Nivelle. Il montre donc la force de Nivelle en train de "niveler" à coup de pilon le terrain jonché d'Allemands. On peut penser qu'il y aussi quelques Français là-dessous mais ce n'était probablement pas l'intention première du dessinateur…

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  4. Ce qui a perdu ce brave garçon finalement c'est son optimisme.

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  5. Rappelons tout de même que Nivelle perdit son titre de "vainqueur de Verdun" au profit de Pétain. Après l'échec de son offensive en 1917, il ne pouvait plus être question de lui et son titre de vainqueur (ce qu'il était de fait) devenait encombrant pour la légende. On le donna donc à Pétain qui avait été plutôt le défenseur que le vainqueur (au début de la bataille). Mais, on sait que ce titre porta encore moins chance au Maréchal…

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  6. Très marrante la dernière photo, on se demande s'il sourit à l'objectif ou s'il a une paralysie de la face.

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  7. À propos du passage obligé dans l'armée d'Afrique pour les futurs chefs de l'État Major, on peut remarquer que cette saine tradition s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui. La très grande majorité des officiers d'État major passent par les unités "d'infanterie de marine" qui stationnent dans nos anciennes colonies.

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  8. Cela me fait penser à l'Affaire des caporaux de Souain, cible de Kubrick dans ses Sentiers de la gloire.
    Bravo pour cet article bien documenté(à part l'accord de "massacre" au féminin, je lui donne 20/20), on trouve décidemment d'excellentes choses sur ce site!

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  9. @ naturalibus
    Merci, je corrige ça tout de suite !
    Quant à l'affaire des caporaux de Souain que vous citez, je me permets de vous renvoyer vers un précédent article dans lequel nous l'avions évoquée, à l'occasion de la ganache du mois de novembre dernier, le général Réveilhac : http://lesseptembriseurs.blogspot.com/2009/11/ganache-du-mois-reveilhac.html

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  10. Bonjour.
    Je vous invite à lire l'ouvrage de M.Denis Rolland " Nivelle. L'inconnu du Chemin des Dames " paru chez Imago en 2012.
    Ensuite vous pourrez parler de ce que vous connaissez.
    Ane Honyme

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  11. Excellente la remarque à propos de son optimisme! L'objet qu'il tient dans la caricature est une hie de paveur. Jérome Ferri

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