mercredi 16 décembre 2009

"Paranormal activity" : de la belle ouvrage

Baguenaudant vaguement vendredi dernier, l'idée me vint et l'envie me prit d'aller au cinéma. Après quelques coups de sondes en direction de F., mon comparse habituel des sorties cinéma à haut risque, nous nous décidâmes à aller voir Paranormal activity, film lancé à grands buzz.
La foule des vendredi soir à Odéon, les billets hors de prix et le considérable retard de F. augurèrent sinistrement de ma séance. De fait nous eûmes droit tout au long du film aux hululements joyeux d'une jeunesse désinhibée, aux portables luisants allumés puis éteints, et à nouveau allumés, pendant que tout autour de nous flottait l'entêtante odeur du pop-corn. Tels sont les maux que court le spectateur moderne quand il se risque hors des séances du dimanche matin.
Le film, quant à lui, a tenu ses promesses avec une belle efficacité.
Nonobstant qu'elle a été ressassée jusqu'à plus soif, la comparaison avec le Blair Witch Project semble assez fondée. En fait, on peut même considérer que Paranormal activity entraîne le film d'horreur-documentaire à son plus haut niveau. Certes, le style pseudo-documentaire avec ses lois du genre (caméra sur l'épaule, très peu d'acteurs et tous inconnus, décors naturels…) a déjà été repris avec plus ou moins d'habilité par un certain nombre d'autres films d'horreur - dont le récent REC, ou Diary of the Deads de Romero. Notons tout de même une différence qui a son importance : dans tous ces films avec caméras "embedded", la présence d'un très propice matériel cinématographique se justifiait toujours très mal, tout autant que l'acharnement imbécile des victimes (il est vrai qu'il s'agissait de journalistes ou d'étudiants…) à se  filmer en train d'être poursuivis par quelques indicibles atrocités. Paranormal activity évacue habilement cette faille classique du film d'horreur blairwitchien en ouvrant sa première séquence sur l'achat de la caméra et l'obsession du héros, Micah.
Il est visible que le  réalisateur connaît son métier et ses classiques (les amateurs chercheront à repérer quelques références subtiles à Hitchcock ou à L'Exorciste et… aux Monthy Pythons). Reprenant les recettes du suspens hollywodien le plus orthodoxe (montée crescendo de l'horreur, entrecoupée sadiquement de moments de détente), avec des effets très simples - une porte qui grince, une lumière qui s'allume - il y ajoute quelques belles astuces, consistant par exemple à montrer ouvertement la créature -  là où le Blair Witch Project suggérait - puisque celle-ci est invisible ou encore à permettre aux deux victimes de contempler les évènements nocturnes avec quelques minutes de retard par rapport aux spectateurs. Bref, de la belle ouvrage, qui fit  glapir la salle et mon voisin.
Sur la trame de l’histoire, observons qu'elle est également épurée au possible. La créature ne sera jamais vue ni décrite, et identifiée de manière très sommaire comme un "démon" et non pas un fantôme (on n'en saura guère plus). Ce démon par ses activités (bruits, couvertures arrachées…) ressemble d'ailleurs plus au début à un très traditionnel "esprit frappeur", légèrement inquiétant comme un "tomte" d'un récit de Selma Lägerlof.  Mais à cette menace surnaturelle, Micah et Katie ne peuvent opposer que quelques obstacles dérisoires. Une incapacité à résister qui est un indice intéressant sur le désert spirituel des sociétés occidentales. Le film sur cet aspect peut, peut-être, être analysé comme une réponse déjà lointaine à L'Exorciste de 1973. Ce film illustrait le retour en force du spirituel dans une société hautement matérialiste. Ici, le docteur Friedrich, traité ouvertement de charlatan et s'en défendant à peine, déserte au moment du danger et ne fournira aucune aide. Micah verra principalement dans la possession démoniaque de sa compagne une occasion en or pour acheter une caméra, puis une table de "ouija", et quand il prendra réellement conscience du danger, son premier réflexe sera de courir consulter internet (il était bien temps) puis de charger la voiture pour s'enfuir. Cette dernière proposition, la plus profondément américaine en fait, sera malheureusement tout à fait insuffisante.
Pour insister un peu plus encore sur les personnages, on peut aussi constater que conformément aux règles des films d'horreur qui veulent que le danger provienne davantage des héros que de l'extérieur, l'aide de Micah à Katie en proie à une problématique possession démoniaque, n'est pas sans ambiguïté. En fait par bien des aspects, Micah se retrouve possesseur d'un certain nombre de caractères que le folkore attribue aux démons : il raille ouvertement les conseils du "démonologiste" (lequel affirme sentir la colère de la créature quand il est filmé par Micah), dissuade Katie de recourir au secours de l'Église, se montre d'une rare obstination pour parvenir à des buts plus que douteux (entrer en contact avec la créature ou tirer profit de celle-ci) et use volontiers de la formule contractuelle en veillant à respecter scrupuleusement la lettre pour mieux en contourner l'esprit. Bref, à y regarder de plus près un personnage assez inquiétant…
Seul bémol, la scène finale - rajoutée à la demande de Spielberg, ce qui expliquerait bien des choses - est d'une consternante banalité.

Bruno FORESTIER

Images et vidéo : représentation de la manifestation d'un poltergeist en 1911 (source ici), affiche du film (source allociné), bande-annonce du film.
Blogger

10 commentaires:

  1. "Bref, de la belle ouvrage, qui fit glapir la salle et mon voisin."

    Quel courage Bruno ! Je vous imagine stoïque, le regard dur, impassible face au danger…!

    RépondreSupprimer
  2. Ma parole… Mais vous me daubez ! Et au premier commentaire, encore !

    RépondreSupprimer
  3. Qu'entendez vous par :
    "consistant par exemple à montrer ouvertement la créature (...) puisque celle-ci est invisible " ?

    RépondreSupprimer
  4. Le plus souvent dans ce genre de films (et je pense notamment au Blair Witch Project), on suggère par divers moyens la proximité constante des héros et de la créature, tout en évitant les confrontations directes (à l'exception de l'affrontement final). Ici, la créature étant invisible, sa présence est effectivement suggérée, ce qui ne l'empêche pas de se balader en père peinard dans la maison en même temps que les héros.

    RépondreSupprimer
  5. @ Bruno Forestier
    J'attends toujours une réponse à propos de votre article sur le Ruban blanc !

    RépondreSupprimer
  6. Tu évoques la scène finale et la critiques, c'est très bien, mais j'aimerai en savoir un peu plus : pourquoi formules-tu un tel jugement ? Par ailleurs, un peu de banalité n'a jamais nui à personne. Et puis c'est justement cela qui fait du bien, un peu de repos pour l'esprit, rien de vraiment surprenant, le temps de se remettre à respirer avant de sortir du cinéma.
    Sinon, je rejoins le commentaire anonyme au sujet de la créature invisible qui est montrée... Ça ne veut rien dire (même si la réponse éclaire un peu).

    RépondreSupprimer
  7. @ BBC

    Sur la scène finale: Elle me paraît dissonante par rapport au reste du film. L'intérêt de celui-ci tenait à la montée crescendo du suspens provoqué par un minimum d'effets. En clôturant par une scène de mise à mort brutale et frontale, avec sourire inquiétant et ultra-classique bond de-monstre vers la caméra, on tombe dans un registre usé jusqu'à la corde du film d'horreur.
    Il va de soi que je ne voulais pas faire offense à la banalité dont vous (ou tu ?) êtes un si ardent défenseur. J'aurais aussi bien pu dire " désolante platitude" ou "affligeante médiocrité". L'important était de faire paraître un zeste de critique à la fin d'un article peu parcimonieux en louanges…
    Pour le reste: je suis confus d'avoir été confus dans mon explication. Je demanderai à mes collègues de me censurer avec plus d'attention.

    RépondreSupprimer
  8. Désolé pour le tutoiement. Mauvaise habitude.
    Je ne défends pas spécialement le banalité, je me demandais seulement à quoi pouvais être due une telle hargne.
    La réponse est très claire, mille mercis.

    RépondreSupprimer
  9. Nous pouvons tout à fait nous tutoyer, puisqu'il semble que vous êtes (tu sois) en passe de devenir un habitué des lieux !
    Et désolé de vous/ t' avoir un peu brusqué peut-être dans mes réponses, je ne cherche pas à être particulièrement hargneux, mais parfois le clavier dérape !

    RépondreSupprimer
  10. Oui, mais c'est bien normal (de devenir un habitué) quand on trouve un blog de qualité et où l'interaction avec les internautes est réellement présente.
    Bonne continuation et joyeuses fêtes aux rédacteurs !

    RépondreSupprimer