À la suite de l’article
de GV, À propos du « Ruban blanc », nous publions une réponse de Bruno Forestier qui vient apporter un autre regard sur ce film fertile
en débats. Inutile de préciser que cet article s’adresse avant tout
à ceux qui ont vu l’œuvre en question.
L'article de GV m'a
beaucoup intéressé et je trouve son analyse d'autant plus méritoire que Le
Ruban Blanc est loin d'être
facile à interpréter. Pour autant je ne partage pas entièrement son opinion sur
le sens à donner au film.
Certes, comme souvent
dans l'oeuvre de Haneke
(notamment Caché ou les
deux Funny Games), ce qui est en jeu c'est bien comment la violence
et ses différents mécanismes se dévoilent. Cependant, je ne pense pas que dans
le film cette violence concernerait plus spécifiquement celle qu'exercent les
adultes contre leurs enfants, ou celle qui s"exercerait dans la "sphère
du privé", même si cet aspect est indéniablement présent.
En fait, à mon humble
avis, la force du film vient du dévoilement des différents types de
violences qui se superposent et se brouillent mutuellement, ce qui est représenté
par les interactions permanentes des personnages les uns avec les autres, et le
renversement des perspectives qui s'en suit.
Ce que Haneke montre
au début du film c'est d'abord la violence d'une société "de classes" :
une société paysanne, aux mœurs encore largement imprégnées de féodalité,
dominée par un hobereau et ses relais dans le village (le pasteur, le régisseur, etc.).
Dans cette première strate, il existe une violence hiérarchique et admise
(s'exprimant par exemple par les interventions menaçantes du baron au temple
contre les bourreaux de son fils), ritualisée jusque dans les révoltes contre
elle (le même baron, devant son potager ravagé, pense qu'il s'agit d'une réclamation
salariale…).
Plus généralement, on
l’observe tout le long du film par l'obsession permanente des convenances qui
ont pour seul but de rendre visible la hiérarchie villageoise. De cette
première forme de violence qui irrigue ainsi tous les "rapports
sociaux" de cette société paysanne sourd une seconde forme de violence
plus souterraine qui en effet, comme l'indique GV dans son article, relève plutôt
de la sphère privée. Mais elle est loin, je crois, de concerner exclusivement
les rapports adultes-enfants ou ceux des enfants entre eux, et touche de manière
beaucoup plus générale les rapports du couple et de la famille. La scène la
plus féroce est certainement celle de la répudiation de sa vieille maîtresse
par le médecin.
D'après mes souvenirs
de séance, je crois avoir observé que les scènes de violence "privées"
sont souvent filmées en intérieur et dans une semi-clareté (voire dans
l'obscurité complète avec l'idiot du village claquemuré) alors que les
violences "sociales" se font plutôt à l'air libre et sous la
lumière crue du soleil ou des torches. Tout ce développement pour arriver au
constat que c'est dans cette atmosphère de violence extrême, quoique dissimulée
ou encadrée de façon plus ou moins nette, que se situent les
"crimes". Or, à mon avis, ceux-ci ne sont justement pas
"explicitement" imputables aux enfants. Pas plus qu'à quiconque
d'ailleurs. En réalité, l'élucidation des crimes n'est même qu'un
point secondaire.
Tout l'art de Haneke consiste
à ne jamais donner de réponses , car pour lui, un film ne doit pas donner au
spectateur des vérités qui le tranquilliseraient (exemple : martyriser des
paysans, des enfants, ou des animaux ou être martyrisé par eux conduit au
nazisme) mais bien le pousser à réfléchir au-delà du cadre imposé par le réalisateur.
En somme Haneke est un cinéaste qui estime que les spectateurs devraient avoir
autre chose à faire qu'aller au cinéma… Tant pis pour lui.
En tant que
spectateur, et pour revenir à l'article de GV, je pense moi aussi qu'il est vain de vouloir trouver dans Le Ruban Blanc des "explications
simplistes", mais je crois que c'est également une fausse piste que de
vouloir chercher à identifier les criminels et leurs mobiles. Les crimes se
situent justement au carrefour des deux violences que j'ai présentées, ce qui
fait d'ailleurs toute leur ambiguïté.
S'agit-il d'une
vengeance sociale (l'incendie de la grange, serait un grand classique par
exemple ou le premier bolossage de l'exaspérant petit Lord Fauntleroy prussien)
ou bien simplement l'explosion haineuse de tel ou tel particulier (les enfants
entre autres) devant une pression constante ?
Il ne peut pas y
avoir de réponse officielle et le spectateur, pour trouver une réponse
satisfaisante, devra s'extraire du cadre strict du film.
Notons que le fait
d'avoir placé l'intrigue à la veille du carnage de 1914-1918 et dans une des régions
les plus emblématiques des violences du XXe siècle (la Prusse, à moins que ce
ne soit même la Prusse-Orientale ?) est loin d'être anodin et peut être interprété
comme un encouragement à examiner le film hors du film…
Bruno FORESTIER
Analyse intéressante, en effet. Mais si je comprends bien, autant le film ne montre pas comment on devient un nazi, autant il chercherait à annoncer la violence de 14-18…
RépondreSupprimerEn fait, non. Mais je dois avouer que la fin de mon article manque de clarté.
RépondreSupprimerPour essayer de préciser brièvement: On trouve dans le film quelques allusions imprécises au futur proche de l'Allemagne. Je crois cependant qu'elles relèvent de la part du réalisateur de la même stratégie de brouillage que les crimes dans le village et les témoignages divergents qu'ils suscitent.
Les indices historiques présents dans le film (le choix de la Prusse et de l'année 1913-14) visent à créer un paysage mental lourd de menaces voilées qui doivent laisser le spectateur en état d'intranquillité. "Caché" d'Haneke utilisait déjà le même procédé de manière très efficace avec en toile de fond la guerre d'Algérie.
Cependant, il ne s'agit pas d'annoncer ou de dénoncer particulièrement le Nazisme plutôt que la première guerre (sans quoi pourquoi pas la seconde, ou la Révolution allemande ou les guerres des corps-francs aux frontières ?) mais de décrire la violence, admise ou non, refoulée ou pas dans laquelle baigne la société moderne.
Évidemment, Haneke peut difficilement dire les choses de manière aussi crue, d'où le confusion généralisée orchestrée dans le film qui doit pousser les spectateur incertains à réfléchir sans l'aide du réalisateur. Mais malheureusement pour ce dernier, le public trop bien dressé par ses attentes, cherchera le plus souvent à orienter ses recherches vers des solutions admises (les enfants sont les coupables et le film porte sur la genèse du nazisme) et les trouvera comme le montre
les articles de MAC ou de GV, par exemple.
C'est tout l'art et la limite du cinéma de Haneke !
Autre point, les amateurs de films d'horreur apprécieront les clins d'oeil à quelques beaux classiques, comme le "Village des Damnés" ou les "Enfants du maïs".
RépondreSupprimer@ Bruno Forestier
RépondreSupprimerL'analyse de GV impute en effet les crimes aux enfants mais dit bien, contrairement à ce que vous écrivez, qu'ils ne sont pas coupables, en ce sens que la culpabilité provient des adultes qui les ont éduqués avec autorité et violence.
Par ailleurs, il ne me semble pas que l'article de GV dise autre chose que ce que vous dites, savoir que le film montre la violence de la société. Il cherche seulement à désigner en particulier la violence de certains adultes sur leurs enfants. Or, vous semblez extrapoler à toute la société ce que montre le film, alors même que plusieurs indices montrent que la violence n'est pas partout, par exemple dans la famille de la fiancée de l'instituteur.
Oui, disons plutôt que GV justifie les crimes des enfants par l'ambiance délétère qui règne dans le village. Ce qui peut se tenir, en effet.
RépondreSupprimerSur le second point, à propos de la famille de la fiancée, vous avez raison, c'est le seul contre-exemple que propose Haneke à la société villageoise. Mais on peut aussi constater que ce modèle alternatif, qui évoque plutôt le conte de fée ou le merveilleux (les sept têtes blondes alignées qui attendent le retour du père-géant) n'est pas appelé à s'ancrer dans la réalité villageoise, puisque la demande du prétendant sera poliment repoussée. La famille de l'instituteur n'existera donc pas dans le film.