samedi 26 décembre 2009

Ganache du mois : Villeroy


Le général à moustaches de la Grande guerre, exemple accompli du type de la vieille ganache (voir nos précédents articles sur le sujet), ne doit pas faire oublier ses glorieux ancêtres. De fait, pour parvenir à un tel condensé d’incapacité, de mépris et de fatuité, associé à une longévité aussi paisible que scandaleuse, il a fallu plusieurs siècles d’expériences, un lent et patient processus qui en mêlant toutes ces rares qualités a finalement donné le modèle si français de la ganache. Parmi ces aînés trop oubliés, il en est un qui se détache entre tous par l’éclat de sa consternante nullité : le maréchal François de Neufville, duc de Villeroy (1644-1730).
Fils d’un maréchal de France, il fut élevé avec Louis XIV qui sut se montrer sa vie durant d’une bien coupable indulgence pour cet ami d’enfance. En dépit d’évidents signes de sottise et d’une arrogance démesurée, Villeroy cumula les titres et les décorations très tôt : ambassadeur de France à Venise, gouverneur général du Lyonnais, chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, etc. Ces distinctions, somme toute naturelles pour un noble de son rang, culminèrent en 1693 avec son élévation à la dignité de maréchal de France.

Militairement, et alors même qu’il ne manqua jamais d’un certain courage, Villeroy se révéla d’une incapacité exemplaire. Il commença par s’illustrer en bombardant Bruxelles (1695), ceci dans le but purement "stratégique" de terroriser l’adversaire, la ville étant désarmée et dépourvue de la moindre garnison. L’incendie que provoqua cette ingénieuse opération détruisit presque complètement la ville et assura une belle réputation aux Français. Napoléon, pourtant expert en massacres, jugera lui-même l’affaire « aussi barbare qu’inutile ».
Mais Villeroy, toujours en faveur malgré ses déboires militaires, profita de la Guerre de succession d’Espagne (1701-1714) pour conforter sa légende. Humilié par les Autrichiens à la bataille de Chiari (1701), il parvint à se faire capturer comme un débutant lors de l’audacieux raid des Impériaux à Crémone (1702). Ces deux faits d’armes en si peu de temps ternirent à peine son image auprès du roi qui, d’après Saint-Simon, fut très affecté par sa capture. Fort heureusement, le maréchal obtint une rapide libération et, sa nullité n’étant pas seulement une rumeur, sans rançon ! Il faut admettre que les Autrichiens agirent finement puisque leur captif fut aussitôt réintégré à la tête des armées… Comme prévu, le résultat ne se fit pas attendre : Villeroy fut écrasé en beauté à la bataille de Ramilies (1706), l’un des plus grands désastres du règne de Louis XIV. Ce dernier, enfin convaincu de l’incurie de son vieil ami, décida à contre-cœur de le disgracier.
Si la carrière militaire de Villeroy prit fin, d’autres fonctions l’attendaient, car on n’aurait su se passer de ses services. Dans son testament, le roi en fit le gouverneur du jeune Louis XV, charge qu’il occupa durant cinq années avec un talent égal à celui déployé lors de ses entreprises guerrières. On cite souvent cette phrase qu’il eut en montrant au futur roi, du haut d’un balcon des Tuileries, le peuple immense amassé en bas : « Sire, tout cela vous appartient ». Mais on pourrait en citer bien d’autres car il est établi que son éducation fut un fiasco total et le résultat nous le prouve assez. À la suite d’une obscure intrigue de cour, Villeroy fut définitivement chassé par le Régent et se retira sur ses terres où il mourut à l’âge de 86 ans.
Ce brillant parcours de ganache marqué par l’apothéose de Ramilies a quelque chose d’unique : grand courtisan mais chef incapable, Villeroy est souvent considéré comme le pire maréchal de France de l’histoire, ce qui n’est pas peu dire si l’on songe à la concurrence féroce qui sévit dans ce milieu. Il était juste de lui rendre ici hommage.

KLÉBER

Images : François de Neufville, duc de Villeroy, par Caminade (source ici), vue de la Grand place de Bruxelles après le bombardement de 1695, d'après un dessin d'Augustin Coppens (source ici).
Blogger

7 commentaires:

  1. Fascinant de nullité…

    RépondreSupprimer
  2. Une petite chanson a suivi la surprise de Crémone (les Autrichiens y furent repoussés après avoir pénétré dans la ville par surprise) :
    "Par la faveur de Bellone,
    Et par un bonheur sans égal,
    Nous avons conservé Crémone
    Et perdu notre général."

    RépondreSupprimer
  3. "Napoléon, pourtant expert en massacres"
    Encore une phrase diffamatoire sur le grand homme.

    RépondreSupprimer
  4. Disons que j'aurais dû préciser que Napoléon n'a jamais eu un grand souci du sang dépensé. Pour autant, il n'était pas homme à envoyer ses troupes se faire massacrer pour rien. Il était suffisamment grand stratège pour agir à bon escient. Reste que des batailles comme Eylau, Essling, Borodino sans parler de Waterloo furent de véritables boucheries humaines.

    RépondreSupprimer
  5. ça fait bizarre une ganache sans moustache et n'ayant pas spécialement le mépris de ses hommes, à moins que...

    Bientôt un ganachon de l'Empire ?!

    RépondreSupprimer
  6. @ Vernet
    Comme je le précise, Villeroy est un ancêtre du type de la ganache habituelle. D'où l'absence de moustache due à la déplorable mode de cette époque aux perruques longues…
    En revanche, il est à peu près certain que le maréchal de Villeroy se moquait éperdument de ses troupes. Du reste cela n'avait pas autant d'importance dans la mesure où l'armée se composait de professionnels, la plupart mercenaires.
    Pour une ganache de l'Empire, c'est possible mais il faut reconnaître que les généraux de la Révolution et de l'Empire étaient beaucoup plus talentueux qu'en d'autres époques.

    RépondreSupprimer
  7. Pas de moustaches mais un très beau costume et les médailles qui vont avec !
    Un bien digne représentant de la caste des ganaches.

    RépondreSupprimer