vendredi 3 décembre 2010

Pin-up du mois : Alexandra Kollontaï

Née en 1872, fille unique d'une famille d'origine carélienne intégrée à la haute administration militaire tsariste, c'est peu dire que la jeune Alexandra Kollontaï vécut une enfance heureuse et soignée à Saint-Pétersbourg. Elle bénéficia d'une éducation poussée et baigna dans un milieu sensiblement libéral, ce qui lui donna assez de force de caractère pour refuser un mariage arrangé à l'âge de 17 ans, puis pour épouser quelques années plus tard un jeune ingénieur de bel aspect, mais désargenté, dont elle eut un fils en 1893.
Cependant, la jeune femme, très vite lassée de sa vie de famille, après avoir milité dans les organisations de secours mutuels, abandonna rapidement homme et enfant pour effectuer un tour d'Europe et aller étudier entre autres l'économie politique à l'Université de Zurich. Ce fut notamment en Suisse qu'elle fréquenta les milieux de l'émigration politique russe, notamment Georges Plekhanov, le fondateur de la social-démocratie russe, puis le gratin du socialisme européen (Paul Lafargue, Karl Liebknecht…).
Adhérente au Parti social-démocrate russe dès 1898, avant de rejoindre la fraction menchevique lors de la scission de 1903, elle arpente les salles des congrès de la Seconde Internationale en laissant traîner derrière elle un léger parfum de scandale dû à ses mœurs jugées très libres pour l'époque (ce qu'elle appelle la "monogamie successive") et multiplie les conquêtes parmi les dignitaires de l'Internationale. Il est vrai que cette grande et belle femme à l'air décidé ne devait pas laisser indifférents les graves orateurs, avec ses yeux clairs, ses lèvres charnues et ses traits légèrement mais délicieusement asymétriques.
Si elle ne joue aucun rôle notable dans la Révolution de 1905, elle participe cependant à la création de "l'Internationale Socialiste des femmes", le 17 août 1907 à Stuttgart, et contribuera de manière non négligeable aux nombreuses campagnes menées pour l'émancipation des femmes, lesquelles auront des répercussions surprenantes quelques années plus tard, lorsque le 8 mars 1917 la grève des ouvrières de Petrograd déclenchera les débuts de la Révolution russe.

Au côté de Klara Zetkin, cette "Jaurès en jupon" se fait la défenseuse de l'internationalisme prolétarien dans les années qui précèdent la Première Guerre Mondiale, alors que la confusion et le doute commencent à gangrener nombre des partis socialistes, à commencer par les plus importants : SFIO et SPD notamment. Sans surprise, elle rallie dès 1915 la fraction bolchevique, seul parti russe demeuré opposé à la guerre, devenant la correspondante pour la Scandinavie de Lénine réfugié en Suisse.
Revenue en Russie au printemps 1917, elle est nommée au comité central du Parti bolchevique quelques semaines avant la Révolution d'Octobre et devient la première femme membre d'un gouvernement en obtenant le Commissariat du peuple à l'assistance publique. Son action politique dans les premiers temps favorise l'apparition de droits nouveaux pour la femme soviétique : droit de vote et éligibilité, accès à l'éducation et égalité des salaires, divorce par consentement mutuel, égalité entre les enfants légitimes et naturels et droit à l'avortement. Cette politique avancée est accompagnée de polémiques bien plus audacieuses encore puisqu'elle prône la disparition du mariage et de la fidélité, ce qui ne plaît que très médiocrement aux autres dirigeants du Parti qui ont des vues plus classiques sur la question. La presse soviétique se fera souvent l'écho en des termes assez orduriers de ce conservatisme ("La Kollontaïnette" est encore son surnom le plus doux…).

Du reste, elle perd son poste au gouvernement dès le printemps 1918 en se ralliant sottement à l'opposition de gauche du Parti (opposée à la paix de Brest-Litovsk) puis à l'opposition ouvrière (défendant le pluralisme politique des partis révolutionnaires et l'autonomie des syndicats). Très minoritaire, elle se brouille définitivement avec Lénine qu'elle qualifie de "défenseur du capitalisme" en 1921.
Affaiblie politiquement et menacée d'exclusion, elle est finalement envoyée comme ambassadrice en Norvège à partir de 1922, où elle écrit quelques romans (notamment un improbable Amours des abeilles laborieuses) et mène des opérations diplomatiques sensibles qui lui vaudront une excellente réputation dans les pays scandinaves — c'est notamment elle qui prépare l'armistice concluant la "Guerre d'Hiver" de 1940 — au point qu'elle sera très sérieusement présentée comme nobélisable en 1946.
Alors qu'elle avait réussi dans les années 30 à échapper aux purges (en raison de sa capitulation totale face à Staline dès 1924 comme de la relative notoriété dont elle jouissait), elle est directement visée par le Procès des blouses blanches en préparation au début des années 50. Elle n'y échappe que de peu en décédant judicieusement le 9 mars 1952 à Moscou, dans l'isolement le plus complet.

Bruno FORESTIER

Images : photographie non datée (source ici), autres photos sans dates (source ici et ), Marxisme & révolution sexuelle par Alexandra Kollontaï chez Maspéro (source ici).
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8 commentaires:

  1. Une forte personnalité. On regrette un peu cependant de ne pas avoir plus de détails sur son côté "pin-up".

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  2. C'est vrai, Bruno Forestier nous a habitués à plus de scabreux ! Mais cet article a le mérite de donner un bon résumé de la vie de cette féministe trop méconnue en France.

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  3. Des détails ! Des détails !

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  4. Cette rubrique est certes intéressante, mais je trouve utile d'y ajouter quelques remarques à l'intention de Loulotte qui semble si fanatique de ce personnage.
    Remplacez seulement le mot de "Staline" par celui de "Hitler" dans votre texte. Aussitôt cette ravissante snobinarde d'Alexandra Kollontaï, toute aristocrate qu'elle fut, deviendra bien moins sympathique.
    Pourquoi diable? Pourtant Staline était, comme tout le monde le sait maintenant, un Hitler à la puissance 10 (antisémitisme inclus, puisque c'est essentiellement, semble-t-il, ce qu'on reproche à ce dernier), et celui-ci était fort intéressé, dans les années 30, par l'expérience de son ami Staline sur le fonctionnement des camps de concentration.
    C'est un des grands mystères de l'imprégnation marxiste de notre société française, que cette sympathie pour des personnages "engagés" dans cette sinistre aventure communiste. Et ce, même par bêtise, comme ce semble être le cas pour cette dangereuse cruche. Julien Green à qui on demandait: "croyez-vous au Diable?" Répondit: "Bien sûr: sa première manifestation, c'est la bêtise!"
    Pourtant il y eut quelques avertissements avant même Kravchenko (et bien plus tard Soljenitsine), rarissimes, il est vrai, mais parfois tonitruants tels que celui de Gide (dès les années 30) génial et courageux auteur dont - à juste titre - vous parlez souvent ici. Et c'est d'ailleurs bien pour cela que cet auteur dont pourtant le succès ne ralentit pas (il suffit de voir ses ventes en livre de poche) a toujours fait pincer la bouche, et parfois le nez, à nos "intellectuaels"(le "a" pour la prononciation).
    L'héroïne de cette rubrique me rappelle irresistiblement un autre amusant personnage qui a animé notre paysage germanopratin: l'illisible Simone de Beauvoir.
    Son célèbre grand ami ne disait-il pas au moment de l'affaire Kravchenko: "ceux qui ne sont pas communistes sont des salauds"?

    XXX

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  5. @ XXX
    Le débat risque d’être long sur un si vaste sujet, mais on peut tout de même rappeler quelques points. Certes, Staline reste moins détesté que Hitler, mais est-ce si étrange ?
    La France n’a jamais été en guerre avec l’URSS, mieux elle n’a jamais été occupée par l’armée rouge, encore mieux elle doit à la lutte de celle-ci contre le IIIe Reich une bonne part de sa délivrance. Par ailleurs, la comparaison Hitler/Staline, si fréquente, montre assez rapidement que le second était bien plus politique, bien moins illuminé aussi, que le premier. L’extermination des Juifs reste un génocide inégalé en horreur qui propulse Hitler sur la première marche du podium des criminels. Bien que rival très sérieux avec la dékoulakisation, les purges, les déportations, etc., Staline reste somme toute le modèle grand format d’un dictateur classique : mégalo, sanguinaire et calculateur, tandis que Hitler fut un fou poursuivant coûte que coûte ses lubies, avec quelques intuitions politiques de génie et beaucoup de chance…

    Concernant cette rubrique, vous aurez en tout cas remarqué que nous avons déjà évoqué une pin-up proche d’un dictateur, en l’occurrence Hitler !

    Et concernant Gide, nous n’avons pas non plus manqué de parler de son fameux voyage en URSS.

    Décidément, on parle de tout sur ce blog !

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  6. De tout sauf des détails croustillants de la vie de Mme Kollontaï !

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  7. Je réponds à Kleber. Ce n'est pas comme vous le dites d'un air blasé, une mode intellectuelle de comparer nazisme et communisme, mais une simple réalité.
    Le nazisme (mouvement national socialiste) et le communisme (qui a abouti à la création de la République Socialiste Soviétique) sont, du fait des parenthèses précédentes, deux mouvements socialistes. Ils ont été à l'origine, l'un et l'autre, des pouvoirs totalitaires. L'un et l'autre ont créé des univers concentrationnaires, et le premier comme élève du second. L'un et l'autre ont créé ds camps réservés aux juifs: n'oubliez pas Treblinka qui m'a été révélè à la fin des années 50 par un ami juif célèbre et que je en citerai pas.
    Alors, Quelle différence? Staline un brillant politique plein de bon sens? Il ne faut oublier ni les massacres innombrables et la plupart inutiles (soyons cyniques) donc oeuvre d'un esprit stupide, et dont il fut l'instigateur direct, ni sa fin hallucinée. Non, Il s'agisait de deux fous à la tête de de deux systèmes équivalents dans leur bêtise.
    Quant à l'implication de ces deux personnages sur notre pays, la France a été effectivement envahie par l'un, mais avec l'aide active de l'autre (avez-vous oublié le pacte germano-Svoiétique et les sabotages de l'industrie français de l'armement dans les années 30?) et aussi totalement pourrie et économiquement détruite par les syndicats communistes comme on le constate maintenant. C'était peut-être plus habile, mais l'URSS, trop loin géographiquement, n'avait pas d'autre moyens que psychologiques activements financés par elle comme on le sait maintenant.
    Quoi qu'il en soit, les résultats à l'échelon mondial donnent assurément la palme au communisme que ce soit en anéantissemnt économique ou nombre de morts.

    Mais je deviens ennuyeux (comme ceux qui s'indignent et donc parfois Bloy et Darien...) Répondez donc à Litte! Ce sera plus drôle.

    XXX

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  8. Sans faire de grands discours, chose dont je me sens bien incapable, je m'introduis brièvement dans le débat : le communisme est moins critiqué que le nazisme (pour parler grossièrement) parce que l'idéal qu'il représente est toujours valable. Certes, les moyens historiques mis en place (Staline) se sont révélés catastrophiques, mais l'Idée n'est pas à remettre en cause. Je ne trouve plus les termes philosophiques exacts, mais c'est l'histoire de l'idéal vers lequel il faut tendre et de l'idéal qu'il faut appliquer concrètement. Le nazisme n'a jamais rien eu d'idéal, il pêche dès la théorie.

    Mais je soutiens la demande de LLtte, Loulotte et XXX : donnez-nous notre sel quotidien !

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