dimanche 28 novembre 2010

Ganache du mois : Vorochilov

Cédant à la redoutable manie des commémorations faciles, nous orientons ce mois-ci nos deux rubriques phares vers la Révolution d'Octobre 1917, en examinant deux éminents spécimens de bolcheviques : l'intéressante Alexandra Kollontaï (article à paraître dans la semaine) et l'improbable Kliment Vorochilov. Ces deux dignitaires du Parti communiste soviétique présentent, en dépit d'origines passablement dissemblables et de physiques résolument divergents, quelques points communs amusants.

Kliment Iefremovitch Vorochilov, naquit le 23 janvier 1881, à Dniepropetrovsk (ancienne Verkhneïé), au coeur de l'Ukraine industrielle dans une famille d'ouvriers d'origine paysanne. La vie obscure, triste et sale qu'il mène dans ses premières années — partagée entre le rude labeur et la mendicité — se serait sans doute longtemps poursuivie, si le pourrissement du régime tsariste et les vents révolutionnaires qui commençaient à balayer la vieille Russie ne l'avaient pas conduit à rejoindre les rangs du Parti social-démocrate russe en 1903.
Comme nombre de militants des partis illégaux, il connaît rapidement les prisons du régime, qu'on surnomme alors "les écoles de la Révolution", et où effectivement il apprendra à lire et à écrire… Mais guère plus d'après les mauvaises langues du Parti.

Mobilisé en 1914, il ne semble pas jouer un rôle marquant sur le front pas plus qu'au sein des troubles ouvriers qui agitent les grandes villes, jusqu'au début de la Révolution, en février 1917. L'histoire le déniche enfin lors du fameux siège de Tsaristyne (future Stalingrad), où il dirige l'Armée rouge avec un dénommé Staline...  Pendant plusieurs mois, et malgré son écrasante supériorité numérique, il défend à grand-peine la ville contre les blancs de Denikine. Il est vrai que son alcoolisme et ses conceptions plus que sommaires de l'art de la guerre (l'attaque sabre au clair), comme son refus affirmé de recourir à la discipline militaire et à l'intégration de "spécialistes" (c'est-à-dire des officiers tsaristes ralliés), y ont été pour beaucoup. La nullité dont les deux dirigeants font preuve durant cette bataille de plusieurs mois sera non pas oubliée mais glorifiée dans d'interminables poèmes, chansons et romans. Et Vorochilov, aidé par la fraternité d'ivrognes qui le liera désormais toute sa vie à Staline, entamera une fructueuse carrière de courtisan.
Dès 1921, le voilà membre du comité central du Parti. En 1925, il obtient le commissariat du peuple à la guerre et la présidence du conseil militaire révolutionnaire (arrachée à Trotski) et intègre dès l'année suivante le bureau politique, où il battra tous les records de longévité en y restant vissé jusqu'à l’année 1952, en dépit des purges quasi permanentes.

Placé à la tête de l'Armée rouge, Vorochilov met un point d'honneur à reproduire en grand les méthodes qui lui ont si bien réussi pendant la guerre civile : ainsi, il s'oppose avec une constance exemplaire à tous les efforts de modernisation voulus par Toukhatchevski, son point de vue prévalant définitivement lors de la purge de 1937 qui décapite l'ensemble de l'état-major et un tiers du corps des officiers.
Fort de ce beau succès, le désormais maréchal Vorochilov orchestre la fructueuse campagne de 1939 vers l'Ouest durant laquelle les États Baltes et la Pologne orientale sont annexés — il est l'un des coresponsables du massacre de Katyn. Las, la désastreuse "Guerre d'hiver" en Finlande entraîne sa disgrâce partielle. Placé à la tête des armées du Nord-Ouest, l'offensive allemande de juin 1941 est une nouvelle chance pour lui de témoigner de son incroyable incapacité. Les Allemands assiègent Leningrad dès le 8 septembre (siège qui durera tout de même 900 jours) et il faudra toute l'énergie du général Joukov, un des rares survivants des purges, pour sauver la ville. Symbole de ce désastre, le sort du KV, unique blindé trouvant grâce aux yeux du maréchal, parce qu'il avait été baptisé de son nom, et dont la taille monstrueuse, la lenteur et l'absence de mobilité en firent une cible de choix lors des premières semaines de l'opération Barbarossa.

Totalement déconsidéré, Staline le laisse pourtant encore sévir en 1944 dans le domaine militaire (il rate magistralement une offensive pour tenter de briser le siège de Leningrad), avant de redéployer ses talents dans les opérations de police : il participe à la "soviétisation" de la Hongrie en 1945. Sans doute n'est-il pas assez convaincant, car son vieux complice, devenu oublieux ou ingrat, entend le faire figurer en bonne place dans les nouveaux procès de Moscou qui se préparent à partir de 1952-1953, à titre d'"agent de l'impérialisme anglais". La mort du tyran lui permet d'y échapper de justesse.
Ragaillardi, ce comploteur maladif fait parti de la clique Khrouchtchev-Malenkov qui liquide Beria en 1953, avant de se joindre à celle Molotov-Malenkov contre Khrouchtchev en 1957. Il s'en retire à temps, mais est finalement évincé par le jeune Brejnev en 1960 et exclu (enfin) du comité central, comité dans lequel il revient pourtant lorsque Khrouchtchev est à son tour renversé en 1964 !
Fait "Héros de l'Union Soviétique" une seconde fois en 1968 — personne n'avait peur du ridicule cette année-là, semble-t-il — il décède paisiblement dans son lit à 88 ans, après avoir, c'est l'essentiel, bien travaillé.

Bruno FORESTIER

Images : portrait officiel du général Vorochilov (source ici), Staline et Vorochilov se racontant de bonnes blagues lors d'une réunion (source ici), Vorochilov et son état-major prenant des poses méditatives (source ici), le même arborant sa belle collection de médailles (source ici).
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3 commentaires:

  1. Il est bon de voir que le modèle français de la ganache s'est si bien exporté ! Vorochilov réunit toutes les conditions, jusqu'à ce détail important que constitue la moustache !

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  2. J'avais aussi noté la moustache. C'est intéressant, une ganache étrangère. Et celui-là ne semble pas avoir démérité du titre ! Félicitations donc pour cette ganache hivernale d'un pays hivernal...!

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  3. Fan-des-Septembriseurs29 novembre 2010 à 22:14

    J'ai hâte de lire l'article sur Alexandra Kollontaï ! Est-ce que la dissemblance physique entre eux va plus loin que la moustache ?

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