L'étonnant et bref de
débat de société qui a animé ces lieux durant quelques jours, m'a poussé à
aller voir — escorté de F. évidemment, fidèle compagnon des bons et mauvais
films — Vénus Noire d'Abdellatif
Kechiche.
Le résultat apparaît
des plus décevants, compte tenu de la réputation du réalisateur et du choix du
sujet qui laissait pourtant amplement matière à d'intéressantes polémiques.
Passons sur la mise en scène un peu lourde, pompiériste même par moments, qui
relate la déchéance de Saarje Bartman, jeune Hottentote d'abord
exhibée comme bête de foire à Londres, avant d'être prostituée à Paris et
disséquée par M. Cuvier. Malgré
des longueurs récurrentes, la tension dramatique se maintient, les costumes
sont bien faits et les acteurs plutôt convaincants. Mais ces qualités et
défauts n'ont que peu d'importance face au propos du film.
Focalisé sur le
personnage de Saarje Bartman, Abdellatif Kechiche réussit l'exploit de ne
susciter aucune sympathie pour celle-ci, en dépit des gros plans systématiques
sur le beau visage de l'actrice Yahima Torres, en s'obstinant à lui refuser tout caractère propre.
Il est certes difficile de ressusciter une icône lointaine, connue uniquement par les témoignages du début du XIXe siècle et colportant leurs lots de
préjugés, mais c'était là toute la gageure d'un tel film. Or, le réalisateur,
comme la plupart des orientalistes renversés qui sévissent aujourd'hui, manie
l'antiracisme à la truelle, en balançant à l'écran de grandes séquences
narratives qui se suffiraient à elles-mêmes pour dévoiler les mécanismes des
fantasmes occidentaux. Las, ce procédé non seulement transforme Saarje Bartman
en caricature de "bon sauvage", dont la docilité et les tentatives
de révolte paraissent aux spectateurs totalement incompréhensibles, mais réduit
également tous les personnages l'entourant au même état caricatural, qu'il
s'agisse du petit peuple londonien, des parvenus de l'Empire à Paris, ou de
Georges Cuvier présenté en scientifique glacial et légèrement obsédé. Entre les
deux extrêmes de l'héroïne filmée à bout portant et de la foule balayée de
loin, ce sont finalement les personnages des trois crapules qui exploitent
Saarje, qui finissent par apparaître comme les plus attachants et les plus
vivants...
L'impression
de gâchis est accentuée par le fait qu'à plusieurs reprises le film s'offre des
possibilités de poser des questions bien plus intéressantes — on pense
notamment à la scène du procès et aux subtiles différenciations qui sont faites
entre l'esclavage et le salariat ou aux rapports amoureux qui semblent lier
l'héroïne à ses exploiteurs — mais qui sont toutes brutalement abandonnées pour
offrir à nouveau aux spectateurs blasés les images répétées ad nauseam de l'avilissement de la malheureuse. On touche là
d'ailleurs un des points les plus révélateurs du conformisme de la réalisation,
puisque l'essentiel de ces scènes de voyeurisme (celui des spectateurs dans le
film et dans la salle) tourne autour du fameux tablier génital des femmes
hottentotes qui pas une seule fois ne sera montré ! Un manque d'audace
significatif puisque Abdellatif Kechiche, prétendant de manière objective placer
le public face à ses propres démons, se hâte de jouer les censeurs au nom de la
dignité de la femme qu'il a lui aussi complaisamment contribué à exposer pendant
près de deux heures et demie. Ultime astuce, il se défausse de ce manque de
courage en faisant passer lors du générique les images de l'enterrement
grotesque et en grande pompe de la Vénus Noire en 2002 par le régime
corrompu jusqu'à la moelle de l'ANC
qui s'est hâté à son tour de transformer la morte en symbole...
Bruno FORESTIER
Il me semble que M. Forestier n'a vu que ce qu'il voulait voir dans la "Vénus noire". Il est ainsi passé complètement à côté de la violence du film. Si Saarje Bartman est si passive, c'est justement parce qu'elle n'est pas une héroïne (de la condition féminine, de la cause noire etc.). "L'antiracisme à la truelle" ne serait-il pas plutôt d'en faire à tout prix une révoltée ? Voilà qui la rendrait sûrement plus "sympathique", n'est-ce pas ?
RépondreSupprimerM. Forestier, qui a vu dans la gauche scène de procès le moment le plus "intéressant" du film, aurait sûrement voulu une dissertation sur la Vénus hottentote. Ses remarques suffisantes sur la mise en scène "pompiériste" et les costumes "bien faits" (!) achèvent de le disqualifier comme critique de cinéma…
@ Anonyme 17:52
RépondreSupprimerEh ben…! Quelle colère ! Mais est-ce que vous admettez d'autres opinions que la vôtre ?
M. Forestier a pourtant le droit de ne pas avoir aimé ce film, tout autant de vouloir le critiquer. Bien entendu, si le mot "pompiériste" ou l'utilisation d'une expression malheureuse comme "costumes bien faits" vous semblent rédhibitoires pour un critique, il n'y a rien à faire.
Autre remarque en passant : M. Forestier ne dit pas que la scène du procès est "le moment le plus intéressant du film", mais que celle-ci aurait pu apporter des développements intéressants (qui donc n'ont pas eu lieu).
Pour le reste, je suis curieux de connaître l'opinion de l'auteur…
Décidément cette Vénus hottentote, elle crée partout la polémique !
RépondreSupprimerJe souhaite à beaucoup de critiques de cinéma d'écrire un article comme celui-ci. Je l'ai trouvé très bien construit, et pour ma part j'aime assez l'image de l'antiracisme manié à la truelle!
RépondreSupprimerJ'aimerais que "Anonyme" achève de se ridiculiser en nous expliquant ce que l'expression "costumes bien faits" a de malheureux?...
Mais il faut avouer que j'aime beaucoup sa prétention à juger qui réunit ou pas les qualités de critique de cinéma.
@ LB, Lucien Jude et Naturalibus :
RépondreSupprimerÀ qui le dites-vous ? Il semble que de son vivant comme après sa mort, la malheureuse Saarje Baartman a eu vocation à attirer les fâcheux de toutes sortes, chacun d'entre eux cherchant absolument à conforter ses préjugés en se confrontant à son image... Monsieur de l'anonyme qui s'offusque si fort, en est une belle illustration. Mais puisqu'il a fait l'effort de construire un tant soi peu son invective, il mérite quelques mots de réponses:
@ anonyme de 17h 52:
"Je n'ai vu que ce que je voulais voir dans le film"... Certes, je crois même que c'est là le propre de tout spectateur face à une oeuvre, chacun y cherchant ou y trouvant ce qui parle à son expérience et à sa sensibilité, vous et moi compris. Passons.
Vous me reprochez surtout d'être passé à côté de la violence du film. Je crois que vous n'avez pas compris mon propos, puisque je reproche justement au réalisateur de l'avoir complaisamment étalé sans jamais vraiment l'expliquer. Saarje Bartman n'est pas une héroïne ? En effet M. Kechiche en fait une martyre de la cause noire, de la condition féminine, de la science, de la société du spectacle (à preuve la canonisation qui clôture le film) ce qui somme toute est infiniment plus grotesque et obscène qu'une dissertation ou un bon film de propagande. Mais visiblement vous êtes passé à côté de cet aspect du film...
Je ne demande pas de précisions sur la suffisance de mes remarques et je ne veux pas insister non plus sur votre étrange prétention à me disqualifier d'une qualité que je ne crois pas avoir jamais réclamé, mais je serais curieux de savoir en quoi mon innocente observation sur le pompiérisme du film vous gêne ?