Née en 1872, fille unique d'une famille d'origine carélienne
intégrée à la haute administration militaire tsariste, c'est peu dire que la
jeune Alexandra Kollontaï vécut une enfance heureuse et soignée à Saint-Pétersbourg. Elle
bénéficia d'une éducation poussée et baigna dans un milieu sensiblement
libéral, ce qui lui donna assez de force de caractère pour refuser un mariage
arrangé à l'âge de 17 ans, puis pour épouser quelques années plus tard un jeune
ingénieur de bel aspect, mais désargenté, dont elle eut un fils en 1893.
Cependant, la jeune femme, très vite lassée de sa vie de famille,
après avoir milité dans les organisations de secours mutuels, abandonna
rapidement homme et enfant pour effectuer un tour d'Europe et aller étudier
entre autres l'économie politique à l'Université de Zurich. Ce fut notamment en
Suisse qu'elle
fréquenta les milieux de l'émigration politique russe, notamment Georges
Plekhanov, le fondateur
de la social-démocratie russe, puis le gratin du socialisme européen (Paul Lafargue, Karl Liebknecht…).
Adhérente au Parti social-démocrate russe dès 1898, avant de rejoindre la fraction
menchevique lors de la scission de 1903, elle arpente les salles des congrès de
la Seconde Internationale en laissant traîner derrière elle un léger parfum de scandale dû
à ses mœurs jugées très libres pour l'époque (ce qu'elle appelle la "monogamie
successive") et multiplie les conquêtes parmi les dignitaires de l'Internationale.
Il est vrai que cette grande et belle femme à l'air décidé ne devait pas
laisser indifférents les graves orateurs, avec ses yeux clairs, ses lèvres
charnues et ses traits légèrement mais délicieusement asymétriques.
Si elle ne joue aucun rôle notable dans la Révolution de 1905, elle participe cependant à la création
de "l'Internationale Socialiste des femmes", le 17 août 1907 à Stuttgart, et
contribuera de manière non négligeable aux nombreuses campagnes menées pour
l'émancipation des femmes, lesquelles auront des répercussions surprenantes
quelques années plus tard, lorsque le 8 mars 1917 la grève des ouvrières de Petrograd déclenchera les débuts de la Révolution
russe.
Au côté de Klara Zetkin, cette "Jaurès en jupon" se fait la défenseuse de
l'internationalisme prolétarien dans les années qui précèdent la Première
Guerre Mondiale, alors que la confusion et le doute commencent à gangrener
nombre des partis socialistes, à commencer par les plus importants : SFIO et
SPD notamment. Sans surprise, elle rallie dès 1915 la fraction bolchevique,
seul parti russe demeuré opposé à la guerre, devenant la correspondante pour la
Scandinavie de Lénine réfugié en Suisse.
Revenue en Russie au printemps 1917, elle est nommée au comité
central du Parti bolchevique quelques semaines avant la Révolution d'Octobre et devient la première femme membre d'un
gouvernement en obtenant le Commissariat du peuple à l'assistance publique. Son
action politique dans les premiers temps favorise l'apparition de droits
nouveaux pour la femme soviétique : droit de vote et éligibilité, accès à
l'éducation et égalité des salaires, divorce par consentement mutuel, égalité
entre les enfants légitimes et naturels et droit à l'avortement. Cette
politique avancée est accompagnée de polémiques bien plus audacieuses encore
puisqu'elle prône la disparition du mariage et de la fidélité, ce qui ne plaît
que très médiocrement aux autres dirigeants du Parti qui ont des vues plus
classiques sur la question. La presse soviétique se fera souvent l'écho en des
termes assez orduriers de ce conservatisme ("La Kollontaïnette" est
encore son surnom le plus doux…).
Du reste, elle perd son poste au gouvernement dès le printemps
1918 en se ralliant sottement à l'opposition de gauche du Parti (opposée à la paix
de Brest-Litovsk) puis à
l'opposition ouvrière (défendant le pluralisme politique des partis
révolutionnaires et l'autonomie des syndicats). Très minoritaire, elle se
brouille définitivement avec Lénine qu'elle qualifie de "défenseur du
capitalisme" en 1921.
Affaiblie politiquement et menacée d'exclusion, elle est
finalement envoyée comme ambassadrice en Norvège à partir de 1922, où elle écrit quelques
romans (notamment un improbable Amours des abeilles laborieuses) et mène des opérations diplomatiques
sensibles qui lui vaudront une excellente réputation dans les pays scandinaves
— c'est notamment elle qui prépare l'armistice concluant la "Guerre
d'Hiver" de 1940 — au point qu'elle sera très sérieusement présentée comme
nobélisable en 1946.
Alors qu'elle avait réussi dans les années 30 à échapper aux
purges (en raison de sa capitulation totale face à Staline dès 1924 comme de la
relative notoriété dont elle jouissait), elle est directement visée par le Procès
des blouses blanches en
préparation au début des années 50. Elle n'y échappe que de peu en décédant
judicieusement le 9 mars 1952 à Moscou, dans l'isolement le plus complet.
Bruno FORESTIER
Une forte personnalité. On regrette un peu cependant de ne pas avoir plus de détails sur son côté "pin-up".
RépondreSupprimerC'est vrai, Bruno Forestier nous a habitués à plus de scabreux ! Mais cet article a le mérite de donner un bon résumé de la vie de cette féministe trop méconnue en France.
RépondreSupprimerDes détails ! Des détails !
RépondreSupprimerCette rubrique est certes intéressante, mais je trouve utile d'y ajouter quelques remarques à l'intention de Loulotte qui semble si fanatique de ce personnage.
RépondreSupprimerRemplacez seulement le mot de "Staline" par celui de "Hitler" dans votre texte. Aussitôt cette ravissante snobinarde d'Alexandra Kollontaï, toute aristocrate qu'elle fut, deviendra bien moins sympathique.
Pourquoi diable? Pourtant Staline était, comme tout le monde le sait maintenant, un Hitler à la puissance 10 (antisémitisme inclus, puisque c'est essentiellement, semble-t-il, ce qu'on reproche à ce dernier), et celui-ci était fort intéressé, dans les années 30, par l'expérience de son ami Staline sur le fonctionnement des camps de concentration.
C'est un des grands mystères de l'imprégnation marxiste de notre société française, que cette sympathie pour des personnages "engagés" dans cette sinistre aventure communiste. Et ce, même par bêtise, comme ce semble être le cas pour cette dangereuse cruche. Julien Green à qui on demandait: "croyez-vous au Diable?" Répondit: "Bien sûr: sa première manifestation, c'est la bêtise!"
Pourtant il y eut quelques avertissements avant même Kravchenko (et bien plus tard Soljenitsine), rarissimes, il est vrai, mais parfois tonitruants tels que celui de Gide (dès les années 30) génial et courageux auteur dont - à juste titre - vous parlez souvent ici. Et c'est d'ailleurs bien pour cela que cet auteur dont pourtant le succès ne ralentit pas (il suffit de voir ses ventes en livre de poche) a toujours fait pincer la bouche, et parfois le nez, à nos "intellectuaels"(le "a" pour la prononciation).
L'héroïne de cette rubrique me rappelle irresistiblement un autre amusant personnage qui a animé notre paysage germanopratin: l'illisible Simone de Beauvoir.
Son célèbre grand ami ne disait-il pas au moment de l'affaire Kravchenko: "ceux qui ne sont pas communistes sont des salauds"?
XXX
@ XXX
RépondreSupprimerLe débat risque d’être long sur un si vaste sujet, mais on peut tout de même rappeler quelques points. Certes, Staline reste moins détesté que Hitler, mais est-ce si étrange ?
La France n’a jamais été en guerre avec l’URSS, mieux elle n’a jamais été occupée par l’armée rouge, encore mieux elle doit à la lutte de celle-ci contre le IIIe Reich une bonne part de sa délivrance. Par ailleurs, la comparaison Hitler/Staline, si fréquente, montre assez rapidement que le second était bien plus politique, bien moins illuminé aussi, que le premier. L’extermination des Juifs reste un génocide inégalé en horreur qui propulse Hitler sur la première marche du podium des criminels. Bien que rival très sérieux avec la dékoulakisation, les purges, les déportations, etc., Staline reste somme toute le modèle grand format d’un dictateur classique : mégalo, sanguinaire et calculateur, tandis que Hitler fut un fou poursuivant coûte que coûte ses lubies, avec quelques intuitions politiques de génie et beaucoup de chance…
Concernant cette rubrique, vous aurez en tout cas remarqué que nous avons déjà évoqué une pin-up proche d’un dictateur, en l’occurrence Hitler !
Et concernant Gide, nous n’avons pas non plus manqué de parler de son fameux voyage en URSS.
Décidément, on parle de tout sur ce blog !
De tout sauf des détails croustillants de la vie de Mme Kollontaï !
RépondreSupprimerJe réponds à Kleber. Ce n'est pas comme vous le dites d'un air blasé, une mode intellectuelle de comparer nazisme et communisme, mais une simple réalité.
RépondreSupprimerLe nazisme (mouvement national socialiste) et le communisme (qui a abouti à la création de la République Socialiste Soviétique) sont, du fait des parenthèses précédentes, deux mouvements socialistes. Ils ont été à l'origine, l'un et l'autre, des pouvoirs totalitaires. L'un et l'autre ont créé des univers concentrationnaires, et le premier comme élève du second. L'un et l'autre ont créé ds camps réservés aux juifs: n'oubliez pas Treblinka qui m'a été révélè à la fin des années 50 par un ami juif célèbre et que je en citerai pas.
Alors, Quelle différence? Staline un brillant politique plein de bon sens? Il ne faut oublier ni les massacres innombrables et la plupart inutiles (soyons cyniques) donc oeuvre d'un esprit stupide, et dont il fut l'instigateur direct, ni sa fin hallucinée. Non, Il s'agisait de deux fous à la tête de de deux systèmes équivalents dans leur bêtise.
Quant à l'implication de ces deux personnages sur notre pays, la France a été effectivement envahie par l'un, mais avec l'aide active de l'autre (avez-vous oublié le pacte germano-Svoiétique et les sabotages de l'industrie français de l'armement dans les années 30?) et aussi totalement pourrie et économiquement détruite par les syndicats communistes comme on le constate maintenant. C'était peut-être plus habile, mais l'URSS, trop loin géographiquement, n'avait pas d'autre moyens que psychologiques activements financés par elle comme on le sait maintenant.
Quoi qu'il en soit, les résultats à l'échelon mondial donnent assurément la palme au communisme que ce soit en anéantissemnt économique ou nombre de morts.
Mais je deviens ennuyeux (comme ceux qui s'indignent et donc parfois Bloy et Darien...) Répondez donc à Litte! Ce sera plus drôle.
XXX
Sans faire de grands discours, chose dont je me sens bien incapable, je m'introduis brièvement dans le débat : le communisme est moins critiqué que le nazisme (pour parler grossièrement) parce que l'idéal qu'il représente est toujours valable. Certes, les moyens historiques mis en place (Staline) se sont révélés catastrophiques, mais l'Idée n'est pas à remettre en cause. Je ne trouve plus les termes philosophiques exacts, mais c'est l'histoire de l'idéal vers lequel il faut tendre et de l'idéal qu'il faut appliquer concrètement. Le nazisme n'a jamais rien eu d'idéal, il pêche dès la théorie.
RépondreSupprimerMais je soutiens la demande de LLtte, Loulotte et XXX : donnez-nous notre sel quotidien !