samedi 31 juillet 2010

Rencontre avec Michel Déon

Le hussard sous son toit

Quelque part à l’ouest de l’Irlande, au bout d’une route étroite et sinueuse que parsèment de rares maisonnées, se trouve le refuge de Michel Déon, immortel aujourd’hui âgé de 90 ans. Cet auteur prolifique (plus de quarante livres) fait partie du fameux groupe littéraire que Bernard Frank appela « les Hussards » et qui avec Roger Nimier, Jacques Laurent et Antoine Blondin donna quelques très grands romans à la littérature française d’après-guerre. Même si, comme d’autres intéressés désormais disparus, Déon a toujours nié l’existence d’une telle entité, force est de reconnaître que tous ces écrivains appartenaient à une même génération, politiquement à droite, qui tenta par ses livres (Le Hussard Bleu, L’Europe Buissonnière, Les Corps tranquilles…), ses éditions (La Table Ronde) et ses revues (Arts, La Parisienne) d’aller à contre courant de la vague existentialiste lancée par Sartre.
C’est pour parler de ce passé, de ses livres comme de ses influences que Michel Déon a aimablement accepté de nous accueillir chez lui au début de ce mois. Par un temps pluvieux qui honorait la légende irlandaise, nous avons été reçus par le maître des lieux sur le perron de sa demeure. Celui-ci est d’un aplomb étonnant pour son âge : rieur, affable, il n’a rien de l’idée peu avantageuse que l’on peut se faire d’un académicien ! Le ciel nous ayant refusé le jardin, c’est autour d’un thé servi dans son salon que deux heures durant nous nous sommes entretenus en sa compagnie.

Face au paravent fleurdelisé d’une belle cheminée, nous avons naturellement commencé par revenir sur ses premiers engagements monarchistes. Résolument rangé du côté de L’Action Française dès son adolescence, Michel Déon travailla pour le journal quotidien de cet organe politique. À partir de 1942, à Lyon, il y fut secrétaire de rédaction. Les aléas de la guerre l’amenèrent à côtoyer de très près le penseur et chef de file du parti, Charles Maurras, pour lequel il servit même de chauffeur faute de candidat à ce poste dangereux. Sans se dérober, le vieil écrivain reconnaît que son engagement auprès d’un chef compromis par son aveugle adhésion à la politique du Maréchal lui coûta quelques ennuis à la Libération.
Interdit de carte de presse en 1945, Michel Déon parvint néanmoins à travailler au noir pour plusieurs revues. C’est vers cette époque que parurent ses premiers livres et que fut fondée la maison d’édition de La Table Ronde autour de laquelle allaient se réunir les futurs « Hussards ». Une carrière littéraire s’ouvrait enfin à lui, loin des études juridiques entamées pour faire plaisir à sa mère et dont il ne retient encore aujourd’hui que les entraînants discours de Joseph Barthélémy, professeur de droit constitutionnel, qui démontrait à ses étudiants pourquoi la démocratie était une chimère (le même Barthélémy allait devenir le ministre de la justice qui sous Vichy signa la loi créant les sections spéciales…).

En littérature, les influences de Michel Déon apparaissent aussi nombreuses que variées, tant françaises qu’étrangères, de droite ou de gauche. Ses Lettres de château récemment publiées en donnent un bon aperçu. Il faut d’abord citer Paul Morand, qui fut son ami et que l’on présente souvent comme le père spirituel, avec Chardonne, des « Hussards ». Mais il y a aussi Giono, dont les romans fascinèrent très tôt Déon, et même André Gide, incontournable pour un jeune intellectuel des années 30, fut-il d’extrême droite. À propos de ce dernier, Déon loue particulièrement le constant souci qu’il avait des jeunes littérateurs. Toute mauvaise blague mise à part, il remarque en effet que Gide s’est toujours intéressé de près aux écrivains naissants, leur adressant des encouragements, leur prodiguant des conseils, sans jamais faire montre d’aucune condescendance ni d’aucune supériorité. C’est ainsi qu’il rappelle comment le grand écrivain répondit fort poliment et en s’excusant à la lettre d’un jeune inconnu qui, après un envoi, se plaignait de n’avoir toujours pas reçu de réponse de la part de la NRF. Ce jeune inconnu s’appelait Valéry Larbaud.
C’est justement Larbaud qui apparaît peut-être comme la principale référence littéraire de Michel Déon. Cela n’a rien de surprenant si l’on songe que Déon a passé sa vie à voyager à l’instar de l’écrivain vichyssois. Mais au-delà des seuls récits de voyage de ce dernier, il n’hésite pas à conseiller la lecture d’un ouvrage trop peu connu encore, A.O. Barnabooth, qui annonce selon lui le Ulysse de Joyce, dont Larbaud fut d’ailleurs le premier traducteur.

Aujourd’hui, loin de ces belles références, les fonctions de Michel Déon au Grand prix du roman de l’Académie française font de celui-ci un lecteur régulier de notre littérature contemporaine. Recevant une moyenne de cinq livres par jour, il ne nous cache pas que la plupart ne valent rien. Mais il n’en est pas pour autant pessimiste, ce qui le distingue une fois encore de certaines ganaches passéistes toujours promptes à vomir l’avenir.

Lui-même travaille encore. Il n’est plus question d’écrire un roman, tâche bien lourde pour laquelle il ne se sent plus la même force qu’autrefois, mais une nouvelle édition de son œuvre majeure, Les Poneys sauvages, est en préparation. Comme il nous l’a montré, il s’agira d’une édition revue et corrigée, certains mots ayant été changés, quelques passages biffés, d’autres ajoutés, tout cela d’après les sentiments qu’une relecture de son livre lui a inspirés. Cette œuvre couronnée par le Prix Interallié en 1971 fut le fruit de cinq longues années de travail. En ce temps là, il vivait en Grèce, son autre patrie d’adoption avec l’Irlande. À dire vrai, le programme de ses journées à cette époque laisse rêveur : baignade le matin, sieste l’après-midi, écriture le soir. Peu d’écrivains ont la chance d’écrire dans des conditions aussi idylliques ! Il n’en reste pas moins que l’écriture des Poneys sauvages lui coûta bien des efforts, ce que la somme que représente ce livre montre assez. C’est pourquoi, lorsque nous lui avons demandé lequel de ses livres avait sa préférence, il a choisi sans beaucoup hésiter Un déjeuner de soleil, « parce que c’est le livre qui m’a donné le plus de plaisir à écrire ».
Sans presque jamais s’arrêter de voyager et d’écrire, Déon a donc vécu tel qu’il le souhaitait, en écrivain pérégrin. L’Irlande semble être devenue sa terre, ce qui ne l’empêche nullement de revenir à Paris assurer son rôle d’académicien, ni même de reprendre la mer à la manière d’un de ses écrivains préférés, Conrad. Dans cette retraite tranquille entourée de chevaux, Déon poursuit ses projets comme si le temps ne jouait pas contre lui. Il est le seul « Hussard » encore en vie, l’un des plus anciens académiciens. Beaucoup l’ont oublié tant son nom paraît relié à une lointaine aventure littéraire. Il n’a pourtant jamais désarmé.
En nous raccompagnant jusqu’à notre voiture, Michel Déon ne nous a pas fait d’adieux. « On se reverra » a-t-il affirmé en nous saluant. Qui le contredirait ?

Lucien JUDE (entretien réalisé en compagnie de Louis L. et Christophe P.)

Images : couverture du volume consacré à Michel Déon par L'Herne, 2009 (source ici), Charles Maurras en académicien, radié à la Libération (source ici), couverture d'A.O. Barnabooth de Larbaud, L'Imaginaire (source ici), couverture des Poneys sauvages de Déon, folio (source ici).
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4 commentaires:

  1. Tout cela est fort sympathique, mais on en vient à se demander s'il ne s'agit pas là d'une nouvelle sorte de "ganache du mois" !

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  2. C'est un peu cruel, BBC…! Michel Déon reste un bon auteur et son appartenance au groupe des Hussards fait de lui un personnage historique. Certes, il n'a pas révolutionné la littérature, mais ses œuvres ont le mérite d'avoir du style. Par ailleurs, Déon n'investit pas l'espace public pour faire parler de lui à la manière des plus grandes ganaches littéraires.

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  3. Superbe article! C'est si bien écrit qu'on croirait avoir été reçu chez lui...
    Merci d'avoir raconté cette belle rencontre.
    @BBC: "une nouvelle ganache du mois"? Etayez donc, parce que je ne vois pas le rapport.

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  4. merci pour cet article aussi intéressant que touchant, belle initiative que cette rencontre avec l'un de nos grands auteurs.
    J'espère qu'il y en aura d'autres.

    Ps: très bon titre

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