mardi 6 juillet 2010

Le Tour de France par deux auteurs

Chez les Septembriseurs, nous ne méprisons pas la culture populaire. On ne rechigne pas notamment devant le sport à la télévision ; oui nous avons suivi le mondial de foot, et c’est pourquoi nous voulons maintenant vous entretenir du Tour de France. Mais pas n’importe quel Tour de France ! Celui de deux auteurs, aussi brillants que dissemblables, Blondin et Barthes.
Dans Sur le Tour de France, Antoine Blondin en a chroniqué l’histoire et certaines étapes pour son plus grand plaisir, d’autant plus grand semble-t-il qu’il y prenait une revanche. En effet, jeune, ayant perdu un concours, il n’avait pu assister à une étape du Tour, récompense accordée aux premiers de la classe n’en ayant rien à faire (maudissons-les tous ensemble encore une fois). Cette frustration de jeunesse et l’intérêt qu’il prend à suivre le Tour, Blondin semble vouloir les justifier, puisque, nous dit-il, si vous n’y prenez pas autant de plaisir que moi, c’est parce que vous n’avez pas connu le vrai Tour, celui qu’on vit en accompagnant au jour le jour les coureurs. Dans cette tentative, Blondin nous apparaît, malgré toute le respect que nous avons pour lui, un peu égoïste. Pour faire passer son admiration, il cite un journaliste américain : « je ne connais qu’un chef-d'œuvre d’organisation qui puisse lui être comparé, c’est le débarquement en Afrique du Nord » (ce que nous avions déjà noté !).
Il ne boude pas son plaisir, mais peine à convaincre et à le faire partager. D’ailleurs, après la lecture de Barthes, il faut bien le dire, les envolées de Blondin, certes assez bien écrites, laissent quelque peu sceptique…

En effet, Barthes analyse les ressorts de l’écriture du Tour dans Mythologies, livre dont les cavillations nous laissent croire qu’il aurait pu écrire sur n’importe quel sujet et lui donner un lustre intellectuel et culturel. Écrit en 1955, le livre de Barthes semble être un commentaire de celui de Blondin paru en 1977. Or Blondin valide après coup la thèse de Barthes qui fait de l’écriture du Tour de France une mythologie du genre épique (il faut noter que les quotidiens sportifs du monde entier sont parmi les derniers à encore employer ce style). Le hussard met le lecteur en garde : ne parlons pas du Tour de France comme d’un carnaval ou une opérette, c’est bien plus sérieux que ça, c’est de l’ordre du légendaire, de l’épopée. Et de fait Barthes précise de son côté : le Tour est une épopée dans laquelle on entre par l’onomastique, c'est-à-dire, dont le nom des grands coureurs fait fonctionner l’imaginaire et la légende. Par exemple, Poulidor résonne dans l’hexagone comme "l’éternel second", son surnom de Poupou, le rapproche de son public, mais entérine aussi son statut de héros épique. Barthes relie le surnom à : « ce mélange de servilité d’admiration et de prérogative qui fonde le peuple en voyeur de ses dieux ».

Et le dopage dans tout ça ? Blondin nous parle d’une « pratique catastrophique », « l’arme illusoire des plus faibles ». Pas question ici de remettre en cause les idoles, les vainqueurs… Pour lui, les contrôles antidopage doivent rester l’apanage du médecin de famille, sans rire ! Toute une époque… Il continue : les malheureux garçons pris dopés sont en fait dupés. Et quand bien même seraient-ils partie prenante dans ces sales affaires, il faut s’émouvoir nous dit Blondin, non de l’outrage au sport et à la santé, mais bien du sacrifice que font ces coureurs qui « vont chercher le meilleur d’eux même dans on ne sait quel purgatoire ».
Désarmante naïveté d’une époque ou d’un homme ! Le dopage chez Barthes, apparaît comme une offense divine, c’est-à-dire qu’il ôte à Dieu le privilège de donner ou non le feu sacré à un coureur. Mais ce dernier se fait aussi plus politique, dans sa dénonciation du mythe, disant : c’est la base du Tour qui est vicié, l’aspect économique corrompt l’épreuve, et génère son lot d’alibis idéologique. C’est ce que Blondin ne voit pas ou refuse de voir. 
Cependant, et pour finir, Barthes pondère son jugement, et rejoint Blondin, quand il conclut que le Tour est avant tout le « spectacle d’une clarté totale entre l’homme, les hommes et la nature ».

GV

Images : couverture de Sur le Tour de France d'Antoine Blondin, La Table Ronde, 1996 (source ici), couverture de Mythologies de Roland Barthes, Points, 1970 (source ici), Antoine Blondin sur les routes du Tour en 1962 (source ici).
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3 commentaires:

  1. Ça reste des mecs tout rouges avec des gros mollets transpirant comme des boeufs sur leur vélo...

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  2. Un autre auteur qui a écrit sur le Tour de France, bien avant Blondin et Barthes, c'est Albert Londres. Dans "Tour de France, tour de souffrance", il dénonçait dès 1924 le dopage généralisé et les conditions physiques éprouvantes pour les cyclistes.
    Ce petit livre est évidemment à charge, contrairement aux deux livres susmentionnés ; il n'en reste pas moins incontournable sur le sujet.

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  3. Avec Blondin à l'écriture des articles de l'Equipe, j'aurais presque pu m'intéresser à ce sport qui pourtant, me débecte.
    Sympa cette photo de lui à l'arrière de la moto.
    Je préfère son approche du Tour de France à celle de Barthes. Les formules de Barthes intellectualisées jusqu'à la moelle pour finalement ne pas dire grand chose ... Bof.

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