lundi 10 mai 2010

Ganache du mois : Gamelin

En ce 10 mai de sinistre mémoire, notre rubrique ne pouvait pas manquer d’honorer l’un des plus beaux exemples d’incompétence et de crétinerie militaires, l’homme qui passe encore aujourd’hui pour le modèle né de la ganache : Maurice Gamelin (1872-1958).
De fait, son nom est pour toujours associé à la plus grande défaite militaire française depuis Waterloo, disons même depuis Azincourt, défaite qui commença il y a exactement 70 ans aujourd’hui.
Saint-cyrien, excellent élève, considéré très vite comme un remarquable penseur militaire, tout prédestinait Gamelin au rôle de ganache. Second du maréchal Joffre dont nous avons déjà raconté les glorieux états de service, notre homme avait de qui tenir. À ce titre, il doit partager la gloire de La Marne comme celle des ingénieuses manœuvres qui coûtèrent la vie à tant de poilus. Mais Gamelin acquit pourtant une réputation d’humaniste en se montrant soucieux d’économiser la vie de ses hommes, mode qu’il adopta à la suite de Pétain, montrant, en ce domaine au moins, un indéniable sens tactique. C’est cette saine doctrine qui malgré tout le perdra, ainsi que nous allons le voir.
Au début des années 1920, bardé de sa réputation de « chef prudent », unanimement acclamé pour ses lumières, le brave Gamelin est considéré comme l’oracle de l’armée française. Après avoir été promu à un rythme régulier tout au long de l’entre-deux-guerres, il se retrouve inspecteur général des armées en 1935, fonction qu'il cumule avec celle de chef d'état-major des armées. Il ne tarde pas à montrer l’étendue de sa science puisque c’est à l’application de son fameux principe de prudence que l’on doit les premières capitulations : 1936, c’est la remilitarisation de la Ruhr par l’Allemagne nazie sans que la France ne proteste autrement que par la voix de la très redoutable SDN. 1938, c’est la trahison par la France de ses engagements avec la Tchécoslovaquie et le traité de Munich qu’il est devenu commun d’appeler « honteux » aujourd’hui. Ces deux premières débâcles ne choquèrent pas outre mesure. Elles illustraient pourtant à merveille le vers qui valut à Gamelin le surnom de Baudelaire : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ».
Après ces retentissants succès bâtis pour préserver la paix, la guerre éclate en septembre 1939. Que fait celui que les Anglais appellent affectueusement « notre Gamelin » ? Suivant la très respectable et très traditionnelle méthode du Quai d’Orsay, il ne bouge pas. Une offensive commencée dans la Sarre montre bien que l’Allemagne nazie est vulnérable, toute la Wehrmacht étant alors occupée à écraser la Pologne. Mais effrayé par tant de témérité (incursion d’au moins quinze kilomètres en territoire ennemi, pensez-vous !), Gamelin ordonne de cesser l’offensive. Il a beaucoup mieux à faire puisqu’il se charge de bombarder l’Allemagne avec… des tracts. Guerre psychologique.
La « drôle de guerre » s’installe, qui plonge dans l’inaction la France et l’Angleterre. Ainsi que le raconte Rebatet dans Les Décombres 
« Toute la vie, les usines, les armées, les flottes, les parlements, les résolutions inébranlables de deux énormes empires, leurs millions de soldats, leurs milliards chaque jour engloutis, aboutissaient à des patrouilles de quinze hommes rampant entre deux buissons pour ne pas prendre un fantassin allemand. On disait même que Gamelin, pour remplir ses loisirs, prescrivait de sa main le détail de ces expéditions. »
Après plusieurs mois de cette stratégie bien française, les Allemands décident de passer aux choses sérieuses et attaquent. Le généralissime est aperçu le 10 mai 1940 en train de siffloter dans les couloirs de son GQG de Vincennes… La confiance règne. Sûr de son affaire, il lance immédiatement ses unités à la rencontre de l’ennemi, là-haut, quelque part en Belgique. Pendant ce temps, les panzers traversent les Ardennes sans coup férir et coupent l’armée en deux. Guerre stratégique.
Le 16 mai au soir, Gamelin peut annoncer au chef du gouvernement, Paul Reynaud, que « l’armée française est battue ». Six jours seulement, une belle leçon de réalisme ! Il est bien tard pour se rendre compte que ce « Gamelin, avec ses yeux de faïence vide, sa dégaine de chef de bureau était pitoyablement falot » (Rebatet). L’effroi que provoque la percée allemande est dévastateur : les grands génies de l’École de Guerre ne comprennent pas comment les Boches ont pu être si mufles en ne livrant pas « une guerre classique ». L’armée paniquée entame une retraite historique jusqu’aux Pyrénées poursuivie par des civils légitimement inquiets de voir la « meilleure armée du monde » s’enfuir aussi vite.

Le général Gamelin est remercié le 19 mai, remplacé par Weygand qui parachèvera son œuvre avec un talent digne de l’élite militaire française, bien que nettement inférieur au héros du jour.
L’ex-généralissime est quant à lui arrêté par le gouvernement de Vichy qui souhaite le juger avec tous les « responsables de la défaite ». Il comparaît en 1941 devant la Cour de Riom où il ne prononce pas une parole, fidèle représentant de la Grande Muette. « Déporté » en Allemagne, il est logé avec Blum et d’autres personnalités dans une confortable baraque qui jouxte le camp de Buchenwald. Les Américains se chargeront de libérer ce grand homme.
Rentré en France, le général Gamelin se mit à l’œuvre pour tenter une autoréhabilitation de grande envergure. Il rédigea trois épais volumes comiquement réunis sous le titre Servir, et, faute d’être très convaincant, prit une retraite définitive. Celui qui eut sous ses ordres la seule armée capable d’empêcher le délire criminel de l’Allemagne nazie mourut sans remords à 86 ans.

KLÉBER

Images : photo du général Gamelin (source ici), portrait fantaisiste du même en tenue de combat de la Première Guerre Mondiale (source ici), Gamelin méditant un coup fumant à sa table de travail (source ici), brochure à la gloire du général parue juste avant la débâcle (source ici).
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12 commentaires:

  1. Certains généraux ne sont pas faits pour accéder au commandement opérationnel, en voilà une illustration magistrale.
    En tant que second de Joffre, les observateurs lui reconnaissent habituellement une certaine efficacité, mais en tant que stratège, bonjour les dégâts.
    D'aucuns expliquent l'incompétence de Gamelin par le fait qu'il était touché de syphilis à un stade avancé supposé atrophier les neurones.
    Pour ma part, cela me semble pousser le raisonnement un peu loin!
    Cela dit quand on y réfléchit, en 1940 la France était plutôt dans une optique bien frileuse de défense et non d'attaque. A ce titre, Gamelin avait donc tristement le profil...

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  2. Il a pourtant l'air gentil sur la photo du haut, avec ses sourcils. Par ailleurs, ce portrait à charge répond certes aux critères de vos "ganaches du mois", toutefois, n'est-il pas excessivement cruel à l'encontre de Gamelin ? Replaçons-nous donc un instant dans le contexte avant de juger de façon si définitive ! Qu'il soit bien clair que je ne cherche pas à excuser Gamelin, ni même à le défendre, seulement il me semble que vous cédez un peu trop à l'envie d'écrire pour faire rire (aux dépends de Gamelin et avec beaucoup de succès) et laissez donc de côté certains éléments historiques qui le feraient paraître un peu moins ridicule.

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  3. @ BBC
    Il a l'air gentil mais surtout très peu énergique, comme paraît-il sa poignée de main.
    Est-ce un portrait à charge ? Le problème est que Gamelin offre prise à beaucoup de critiques… Sa seule gloire a été de seconder Joffre qui ne fut pas exempt de reproches. Il a aussi bien conduit ses troupes, dit-on, en 1918. Je vous accorde enfin que les capitulations de 36 et 38 étaient plus politiques que militaires. Il n'empêche qu'un commandant énergique aurait imposé ses vues.
    Quoi qu'il en soit, est-ce suffisant pour oublier 1940 ? Le contexte n'y change presque rien. Que la France ait voulu attendre l'attaque allemande, pourquoi pas. Mais que l'armée ait été si mal tenue, que les chars aient été répartis au petit bonheur dans tous les régiments, que l'aviation ait été incapable d'agir en coordination avec l'infanterie et que le Jour J tout ce beau monde se soit élancé à la rencontre d'un ennemi invisible en quittant ses bases, cela dépasse l'entendement.
    Ainsi que le dit justement Naturalibus, Gamelin était, comme Weygand d'ailleurs, un excellent second. On ne gagne pas une guerre avec un tel chef...
    Rire aux dépens de Gamelin, c'est bien le seul plaisir qui reste ! Après tout il a ridiculisé l'armée française pour suffisamment de temps pour qu'on se permette de ne pas l'oublier…

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  4. Pour apporter un peu d'eau au moulin de BBC, on trouve un texte amusant de Gabriel Chevallier qui réhabilite le général Gamelin :

    "En d'autres termes, ce fut un bien pour nous d'avoir à notre tête un Gamelin. Mieux commandés, nous aurions dû nous battre à fond. Il est toujours désastreux pour une armée d'avoir à le faire, ça décime ses meilleurs éléments et ça fout la pagaille dans ses rangs. [...] Certes nous fûmes accablés de honte en 1940 après notre fulgurante débâcle, encore inexplicable. Mais cette honte nous laissait la vie, bien inestimable. On s'inclina devant l'honneur des morts, si tant est qu'ils eussent été tués dans l'honneur, non en fuyant (ce qui arrive aussi), mais ils étaient morts, ce qui leur fermait tout avenir. Pour la première fois, nous réussîmes à faire battre les autres à notre place, refusant le rôle glorieux d'avant garde et d'armée de Verdun qui nous était assigné pour la commodité de tous."

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  5. C'est vrai qu'il a l'air assez mou le général G, malgré ses tentatives pour se donner un visage dur et fermé, on y croit pas trop.

    N'a t il pas laissé, comme ses prédécesseurs, d'impérissables phrases sur la victoire contre les allemands ?

    Merci pour les citations de Rebatet et de Chevallier, la comparaisons des points de vue est intéressante, mais il y a quand même une différence notable : Chevallier à fait la guerre, lui.

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  6. @ Anonyme 11:27
    Rebatet a aussi "fait la guerre", du moins celle de 1940 car il était trop jeune en 1914. La citation faite plus haut sur les expéditions prescrites par Gamelin est suivie d'un "Je devenais enragé" car l'auteur regrette tout haut l'attentisme de l'armée française. En plusieurs passages des "Décombres", Rebatet dit bien qu'il souhaite se battre puis la honte de la défaite (notamment un très long passage sur les morts de 14-18, "tous massacrés sinon même pour rien, mais pour que la France capitulât aux portes de Bordeaux"). Il a beau admirer les Nazis, il n'est pas moins nationaliste, du moins jusqu'à la défaite. Après c'est une autre affaire !
    Quant à Chevallier, il faut y voir peut-être un brin de provocation, même si son pacifisme explique pour beaucoup ce discours.

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  7. @Kléber: petite question qui me taraude.
    N'y a-t-il pas un drôle de paradoxe, lorsqu'on se réclame du nationalisme, à déplorer la défaite de 1940 puis à soutenir sans rire que la seule issue est de s'engager dans la collaboration avec l'Allemagne nazie?
    Ce qui m'embête avec ces "nationalistes", c'est leur fuite massive à la Libération. Je sais bien qu'ils ne se faisaient aucune illusion sur leur sort (et ils avaient raison puisque l'épuration fut sauvage). Mais cela manquait de panache, et tend à prouver qu'ils n'avaient pas la conscience tranquille.

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  8. @ Naturalibus
    Disons qu'il s'agit d'un nationalisme moins étroit qu'il n'y paraît. Un nationalisme fasciste, à "dimension européenne", en ce sens qu'il vise à l'hégémonie d'une nation sur les autres. Si cela avait pu être la France, Rebatet et les siens en auraient été ravis. Pour autant, dans la lutte entre France démocratique et Allemagne nazie, ils penchaient encore pour leur pays (après avoir milité pour la paix). A partir du moment où il était battu, ils embrassaient la cause nazie avec d'autant moins de scrupules qu'ils aspiraient à cette doctrine !
    Cela permettait selon eux qu'une France nazie trouve sa place en Europe. Tout un programme.
    Leur fuite à la libération s'explique donc très bien. Ils avaient tout misé sur l'Allemagne et leur nationalisme avait cédé le pas à l'idéologie.

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  9. 10 mai 1940 : "Je suis inquiet, nous allons voir ce que vaut Gamelin". Paul Reynaud.

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  10. La France des années trente est un pays de pacifistes avant tout. La défaite française de 40 est due à une évolution des mentalités du coté français : l'esprit "napoléonien" est mort dans les tranchées de Verdun. La guerre est perçue comme une absurdité, qu'il faut éviter a tout prix.

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  11. En regardant bien le général Gamelle j'ai l'impression qu'il n'est pas exactement incompétent comme une vraie ganache mais plutôt mesquin et sans forte personnalité comme un second couteau auquel un hasard mal inspiré aurait distribué le premier rôle. Il n'est pas responsable du retard tactique français, aucune armée ne pouvait affronter la Wehrmacht sans prendre d'emblée une grosse claque. Mais on peut (doit ? ) lui reprocher l'inactivité de la drôle de guerre, la piètre coordination interarmes, le démembrement du commandement avec Georges auquel il laisse sournoisement la responsabilité du désastre en gestation et l'aventure en Belgique pour une bataille de rencontre que l'armée française n'avait pas préparé et qu'elle était censée éviter (avec pour corser le tout, la percée surprise de Sedan).

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  12. En quarante, Gamelin était miné par la vérole. Avec à peine deux à trois heures de lucidité par jour, le résultat ne se fit pas attendre.

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