mercredi 9 février 2011

Le roman-feuilleton selon Dumas

Nimier, avec son arrogance critique, son chat sur l’épaule et sa belle voiture, s’est essayé dans un article au pastiche de Dumas et s’est moqué gentiment d’un genre qui a fait les belles heures de notre jeunesse : le roman-feuilleton.
Il n’en fallait pas plus pour nous donner envie de replonger dans Le Comte de Monte-Cristo, d’autant que des circonstances exceptionnelles de paresse d’esprit et de temps nous en donnaient la possibilité.
Nous avons relu Dumas, car, comme aurait pu dire de Gaulle avec ce style tautologique qui le caractérise : « l’aventure c’est l’aventure » et ça ne demande pas trop de réflexion.
Mais hélas, de longues années de lecture et surtout de longues heures passées devant les séries télé américaines, ont rendu notre sens critique aigu et presque aussi prétentieux que Nimier ; impossible de revenir aux enchantements simples de notre prime adolescence.
On est donc plus sensible aux passages trop longs et inutiles à l’intrigue, aux transitions poussives, aux pirouettes, etc. Bref, aux fainéantises du nègre, comme dirait Monsieur Guerlain. L’enchaînement des chapitres est parfois maladroit, mais on se laisse mener aussi sûrement qu’un ministre d’État à bord d’un jet privé, confiant dans la virtuosité dramatique de l’auteur, car s’il a bien du mal à peindre en finesse les émotions, Dumas n’en demeure pas moins maître dans l’art de faire "monter la sauce".

On ne prête pas trop d’attention aux grosses ficelles feuilletonesques puisque c’est la loi du genre, mais l’on s’étonne, quelques jours plus tard, notre paresse intellectuelle n’ayant pas trouvé de limite, de les lire sous la plume d’un auteur comme Gobineau dans ses Pléiades, dont le thème se veut bien trop sérieux pour que l’on puisse songer à une galéjade.
Il n’en reste pas moins que le style de Dumas, notamment ses dialogues délicieusement surannés de salonard, s’imprime dans l’esprit du lecteur qui, hélas, essayant par amour du vouvoiement et une certaine préciosité de les reproduire avec quelques connaissances, se heurte aux impératifs de productivité verbale du monde moderne qui va décidément trop vite.

Sur le fond, les méchants sont punis : morts, fous ou pire encore ruinés et tout ça finit très bien. Notre héros richissime a calmé sa grande colère et s’abandonne à croire de nouveau en l’amour avec sa jeune esclave grecque. Distrayant.

GV

Images : couverture du tome 1 du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas dans la collection Nelson (source ici), couverture des Pléiades de Gobineau dans la collection livre de poche (source ici).
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7 commentaires:

  1. Tiens, j'en avais gardé un souvenir plus ému que "distrayant"… La relecture est parfois, souvent, décevante !

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  2. Par principe, je ne relis jamais les romans (feuilletons ou non). Mais ayant gardé un bon souvenir du style "aventurier" de Dumas, j'ai lu il y a quelques mois Le Vicomte de Bragelonne... Certes, tout n'y est pas parfait, mais l'essentiel y est : de l'action, des intrigues, des trahisons et des dialogues exceptionnels !
    Je ne sais pas ce que vaut Gobineau, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il faut être descendu à niveau abyssalement dramatique de délabrement mental pour s'ennuyer en lisant Dumas.

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  3. @LB et L. Il ne faut pas s'y tromper, si j'ai relu Monte Cristo c'est bien parce que moi aussi, j'en avais gardé un excellent souvenir !

    L. ne faites donc pas de la lecture ou de la relecture une question de principe, c'est tellement triste... ! On relit pour le plaisir, et parfois, on est déçu. Par exemple : les dialogues dans Monte Cristo sont très bien tournés sauf quand Dumas s'aventure dans des nuées qu'il veut philosophiques, là ça ne va plus, c’est mauvais...

    Pour l’intrigue, c’est un peu la même chose, certains passages ne sont pas à la hauteur de l’intensité dramatique dont ils procèdent.

    Et puis il y a le manichéisme des personnages, la peinture des caractères et des sentiments qui est souvent outrée, ainsi que des facilités du genre « un visage que même les meilleurs artistes auraient renoncé à peindre, que les plus grands poètes n’auraient pu décrire… »

    Bref, une bonne relecture est toujours profitable.

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  4. Que demander de plus à la littérature sinon de nous distraire ?
    Mais pour ce qui est de relire, je partage assez l'avis de L. bien que je déroge parfois à mon principe, notamment pour Céline.

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  5. Où vont donc se loger les principes de nos jours ?! Et ce naïf de Gide qui écrivait pour être relu… Il ne connaissait pas les "principes" de nos lecteurs…

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  6. @ GV
    Puisque tu parles de Gide, parlons-en ! Il disait écrire pour être relu et, chose frappante, il était lui-même très souvent déçu par ses relectures (je veux dire relectures d'ouvrages d'autres auteurs) !
    Peut-être avait-il donc pour but d'écrire suffisamment bien pour ne pas décevoir son lecteur à la seconde lecture ?

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  7. Qu’un livre « résiste » à une seconde lecture est sans doute la preuve d’une certaine qualité littéraire, mais être relu, peut aussi s’entendre comme passer par une lecture critique.
    Et Gide n’est pas tendre avec Monte Cristo qu’il lit à l’occasion d’une « crise néphrétique », il exprime son profond désintérêt à l’égard « des tribulations compliquées de ces fantoches », et le livre finit par lui tomber des mains !

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