dimanche 31 janvier 2010

Ganache du mois : Menou

La Révolution française a révélé des généraux de vingt-cinq ans qui partout en Europe ont triomphé des meilleures armées et sans doute n’y a-t-il jamais eu d’autres exemples dans l’histoire d’une si belle promotion de génies militaires. Ce succès a même contraint l’un de ses plus acharnés adversaires, le sourd et aveuglé Charles Maurras, à prétendre sans rire que c’était à l’Ancien Régime que l’on devait l’éclosion de tels talents ! Il y eut néanmoins quelques nullités au milieu de la multitude de généraux apparue après 1789, et l’on attribuera volontiers à l’Ancien Régime la paternité de celles-ci. Parmi ces nullités, le général Menou (1750-1810) n’est pas la moindre, cumulant incapacité et ridicule avec un art consommé de la mise en scène.
Rappelons ainsi, pour l’honneur de notre grande Révolution, que Menou n’en est pas un pur produit, au contraire d’un Hoche ou d’un Marceau : son nom complet est Jacques-François de Menou, baron de Boussay, et c’est comme député de la noblesse qu’il assista aux États généraux de mai 1789. Militaire de carrière, le baron se rallie habilement à la Révolution dès 1790 (il préside un temps l’assemblée constituante), ce qui le fait accéder au grade de commandant grâce aux départs des officiers émigrés. Envoyé en Vendée comme général de division, il ne tarde pas à révéler son incapacité militaire. Si l’homme fait preuve de vaillance (blessé à plusieurs reprises), il subit déjà de graves revers, notamment face à l’armée du jeune La Rochejacquelein qui le chasse de Saumur en juin 1793. Mis à la retraite après ces prouesses, il revient en grâce à la chute de Robespierre. Menou donne aussitôt des gages de bonne volonté à la Réaction en réprimant impitoyablement les émeutes sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine (mai  1795). Pour cette entreprise digne d’un traître, il n’hésite pas à se servir des infâmes Muscadins, ces jeunes royalistes aux affublements grotesques qui apparurent après Thermidor. Dès lors, on comprend assez bien pourquoi le même Menou se montre d’une coupable inertie lorsque le coup d’état royaliste éclate en septembre de la même année (13 Vendémiaire). Destitué pour cette trahison, il n’en est pas moins acquitté à la suite de quelque magouille judiciaire. Et sa carrière continue, hélas !

En 1798, cette ganache de Menou s’embarque pour l’expédition d’Égypte que dirige le général Bonaparte. Quelques semaines après son arrivée, l’homme se convertit à l’islam et épouse une Égyptienne. Il se fait désormais appeler « Abdallah-Jacques », mais les soldats le surnomment plus volontiers « Abdallah le Renégat ». Une fois Bonaparte discrètement reparti en France, c’est le général Kléber qui commanda les armées restées en Égypte. On sait qu’après avoir redressé une situation désespérée, il fut lâchement assassiné par un fanatique syrien le 14 juin 1800. Le médiocre Menou, jaloux de Kléber qui le méprisait avec raison, se réjouit ouvertement de sa mort qui lui permet de devenir général en chef. Mais il fait encore mieux en baptisant aussitôt son fils du prénom de l’assassin : Soleyman. La grande classe.
Détesté par tous les généraux qu’il commande, Menou achève en catastrophe l’expédition d’Égypte. Comme partisan du maintien français, il entame une politique ouvertement colonialiste et pratique la ségrégation à l’égard des minorités (coptes, juifs et soufis). Par ailleurs, maintenu dans ses fonctions par le premier consul Bonaparte qui se méfie des anciens partisans de Kléber, Abdallah le Renégat n’en fait qu’à sa tête. Il est logiquement écrasé par les Anglais à la bataille de Canope (mars 1801) où un général lui lance avant de mourir : « Jamais un homme comme toi n’aurait dû commander les armées françaises. Tu n’étais bon qu’à diriger les cuisines de la République ! ».
Acculé à la capitulation à la suite de cette triste bataille, Menou évacue les restes de l’armée et quitte l’Égypte avec femme et enfant à l’automne 1801. Loin d’être mis à la retraite malgré sa solide expérience de ganache, il est nommé au Tribunat puis en Italie comme gouverneur de Venise. C’est là qu’il meurt paisiblement en 1810.

KLÉBER*

*Ma signature ne doit pas laisser croire qu’il y a de la mauvaise foi dans cet article. Menou fut une ganache et tout ce que j’ai pu rapporter ci-dessus n’est qu’une partie de l’affligeante carrière que mena cet homme.

Images : portrait du général Menou (source ici), dessin du même par Dutertre (source ici), proclamation du général Menou du 9 Ventôse an IX (source musée de l'Empire, Salon-de-Provence) et la bataille de Canope par P.J. Loutherbourg (source ici).
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vendredi 29 janvier 2010

Un concert à la Cité de la Musique

Mardi et mercredi, la Cité de la Musique à Paris recevait la visite d’un fabuleux fabuliste : Thomas Fersen, pour son spectacle Mythologie. On ne présente plus celui que bien des critiques caractérisent comme "le père de la nouvelle chanson française". Le concert était à la hauteur de ses albums : Thomas Fersen n’est pas sur scène, il est avec le public, avec ses musiciens (notamment Pierre Sangra), et il est drôle. Si on peut regretter qu’il ne soit pas déguisé comme lors de ses tournées, c’est un bien petit détail que l’on oublie rapidement quand il se met à mimer un cavalier sur Je n’ai pas la gale, ou quand il récite des textes écrits "sur le chemin pour venir ici", changeant la scène en manoir-abattoir où il ne vient qu’à marche forcée. Thomas Fersen laisse son public (en folie) applaudir longuement pour le rappeler  (au moins quatre fois !) et offre en échange quelques nouveautés qui augurent à merveille d’un prochain album que l’on espère voir arriver le plus tôt possible.

LOULOTTE

Image : Thomas Fersen (source ici).
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mercredi 27 janvier 2010

Pin-up du mois : Louise de Prusse

Morte il y a deux siècles à l’âge de 34 ans, Louise de Mecklembourg-Strelitz (1776-1810) fut l’une des plus grandes beautés de son temps et le symbole du nationalisme prussien. Belle et pangermaniste, voilà qui est intriguant…
Mariée en 1793 au prince héritier de Prusse Frédéric-Guillaume (futur numéro III), Louise fit, dit-on, un mariage d’amour avec celui qu’il faut pourtant bien désigner comme l’homme le plus mou de son temps à égalité avec le duc d’Angoulême. Elle n’eut en tout cas pas les mêmes regrets que la duchesse d’Angoulême puisqu’elle donna naissance à dix enfants en dix-huit ans de mariage, ce qui est un beau chiffre. Hélas, nous n’en dirons pas autant de ces innombrables rejetons, l’un d’eux devant devenir cette vieille fripouille de Guillaume Ier, celui-là même qui se fit empereur d’Allemagne dans le palais de Versailles pendant que le peuple parisien mourrait de faim dans la capitale assiégée… Mais revenons à nos moutons. 
Louise devint reine de Prusse en 1797 et elle comprit assez vite qu’elle serait plus qu’une "première dame" (expression ô combien ridicule que nous n’employons ici que pour mieux la flétrir). Il faut dire qu’à défaut d’être aussi énergique que son épouse, le roi de Prusse avait au moins l’avantage d’être pacifique, notamment à l’égard de la France révolutionnaire. Cependant, les nouvelles ambitions de Napoléon Bonaparte allaient fatalement se heurter aux intérêts du royaume de Prusse et donner à Louise l’occasion d’affirmer son bellicisme.

C’est ainsi qu’en 1806, elle soutint ostensiblement le parti de la guerre contre la France tandis que son mari hésitait encore. Cette idée baroque (Napoléon venait de ridiculiser Russes et Autrichiens à Austerlitz) entraîna la chute de la Prusse en un temps record (Iéna, Auerstaedt, douces plaines) et la fuite des époux royaux à Memel, en actuelle Lituanie. C’est lors de l’entrevue franco-russe de Tilsit, en juillet 1807, que le destin de la Prusse humiliée se joua. Le Tzar Alexandre Ier de Russie, bien qu’amoureux de Louise, ne fit rien d’exceptionnel en faveur des Prussiens. C’est la reine Louise elle même qui tenta d’adoucir les conditions de paix en obtenant un tête à tête avec Napoléon dont elle se persuadait in petto qu’elle parviendrait à le séduire. Las, ce falot de Frédéric-Guillaume III, jaloux de savoir son vainqueur seule avec son épouse, interrompit les négociations en pénétrant dans la pièce où ils s'entretenaient ! Plus tard, lors du dîner, notre galant empereur offrit une rose à la reine qui, toujours aussi habile, lui dit avec son plus beau sourire : « J’accepte cette rose en échange de Magdebourg ». Inutile de dire que Napoléon ne lui fit pas ce cadeau car, en plus d’être galant, il était malin.

La fin de vie de la reine Louise consacra son prétendu martyre. Elle suivit son époux dans l’exil et tous deux ne rentrèrent à Berlin qu’en 1809, lorsque Napoléon le leur permit généreusement. Cependant, déjà affaiblie par ses voyages, la belle reine mourut brusquement le 19 juillet 1810. Son jeune âge, sa résistance à l’envahisseur français et l’énergie qu’elle avait déployée lors de cette mémorable débâcle prussienne firent sa légende et son culte pour longtemps, y compris sous le IIIe Reich. On peut ajouter à cela sa grande vertu car la reine Louise fut, paraît-il, un modèle d’épouse. Mais la fidélité qu’elle montra au roi de Prusse ne doit pas pour autant occulter l’amour supposé platonique qu’elle eut pour le Tzar Alexandre Ier. Lorsqu’en 1806, les armées françaises occupèrent le château de Charlottenburg à Berlin, on y découvrit leur correspondance et, l’empereur étant un incorrigible ragoteur, on en publia les bonnes feuilles dans Le Moniteur. Ces lettres, sans être croustillantes, n’en étaient pas moins suspectes et offensantes pour le malheureux roi de Prusse… Loin des sempiternels tableaux de sainte martyr qu’on a voulu peindre, au moins faut-il reconnaître que ces lettres dévoilèrent une autre Louise de Prusse, celle dont le célèbre capitaine Coignet écrivit : "j'aurais donné une de mes deux oreilles pour rester avec elle aussi longtemps que l'empereur".

KLÉBER


Images : portrait de Louise de Prusse par Josef Maria Grassi, en 1802 (source ici), Napoléon Ier et Louise de Prusse lors de leur entrevue à Tilsit (source ici), portrait de la reine (source ici).
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samedi 23 janvier 2010

Mort de Jacques Martin

Le dernier roi des Belges

L'hiver se révèle cette année particulièrement faste, en nous offrant, grâce à une belle moisson d'illustres décédés, de nombreuses possibilités d'hommages funèbres. Last but not least, le dessinateur Jacques Martin qui vient de mourir ce 21 janvier s'impose non seulement en tant que dernier grand maître de l'École de Bruxelles (on peut dire aussi BD franco-belge), mais également en raison de la passion qui lie nombre de membres de la rédaction à son œuvre.
Ajoutons tout de suite cependant que cet événement qui pourrait être attristant pour des âmes vulgaires nous réjouit au plus haut point tant depuis quelques années (14 ans pour être exact) chaque sortie d'album nous était devenue pénible, voire même tout simplement odieuse dans le cas des derniers exemplaires. Une souffrance que ne peuvent que partager les vrais admirateurs de l'oeuvre de Jacques Martin, qui fut sans doute l'un des plus importants représentants du classicisme en matière de bande dessinée, avant d'être détrôné par François Bourgeon, l’actuel maître incontesté de la bande dessinée historique.

Son destin n'est pas sans évoquer pour nous ceux des miniaturistes orientaux qui, après avoir consacré leur vie à leur art et aux jeunes garçons, créé des écoles et des styles, finissaient aveugles et débiles, oubliés du grand nombre. Il n'est donc pas inutile, peut-être, de rappeler brièvement les traits les plus marquants de sa vie et de son œuvre…
Né à Strasbourg en 1921, le jeune Martin vécut une jeunesse agitée dans l'Alsace de l'entre-deux-guerre - il reçut adolescent un coup de poignard d'un jeune autonomiste alsacien, comme il nous le rapporta lors d'une rencontre à Obernai, il y a quelques années de cela - et pour le moins trouble pendant la guerre même, puisqu'il fit ses premières armes en matière de bande dessinée, en collaborant avec Je Maintiendray, la revue des Chantiers de Jeunesse de Vichy...
Ce ne fut que dans l'après-guerre que débuta la carrière proprement dite de Jacques Martin, sous le patronage exigeant du pape de la Bande dessinée, Hergé, qui accueillait à l'époque bien d'autres jeunes talents (dont le flaminguant Bob de Moor…). En 1948, paraît ainsi en feuilleton dans Le Journal de Tintin, Alix l'Intrépide, qui malgré l'incroyable cuculterie du titre est un succès. Deux autres histoires suivront, également en feuilleton, de 1948 à 1952, dans lesquelles le jeune Enak fera ses premières apparitions. 
En 1953, Jacques Martin a la brillante idée de créer le pendant moderne d'Alix, le reporter Guy Lefranc, également flanqué - quoique de manière plus suspecte - d'un jeune acolyte. C'est à cette même période que Martin et ses deux assistants (Leloup et Demaret) intègrent officiellement les Ateliers Hergé.

Pendant plus d'une décennie, Jacques Martin, tout en participant avec d'autres compagnons à la réalisation des œuvres du Maître (Tintin au Tibet et L'Affaire Tournesol notamment), publie la suite des aventures d'Alix (neuf alboums) et de Guy Lefranc (quatre alboums). En 1974, atteint par les débuts d'une maladie qui devait le rendre à peu près aveugle, il passa la réalisation graphique de Lefranc à Bob de Moor, puis à Gilles Chaillet, tout en gardant la maîtrise des scénarios. Il faudra attendre les années 1980 pour voir débuter la troisième série phare, Jhen, originellement appelé Xen, (oui, c'est bizarre). Plus tard, enfin, il sortira d'autres séries mineures, dont Orion (1990) et le très réussi mais peu connu Arno (1983), illustré entre autre par André Juillard.

L'intérêt des trois séries phares de Martin repose autant sur la beauté du dessin, notamment à partir de 1956 où son style commence à s'affirmer pour de bon, que sur ses histoires très prenantes. Si aux yeux d'un public blasé par des années de vulgarité généralisée dans la bande dessinée, les aventures d'Alix ou de Guy Lefranc peuvent paraître désuètes, voire niaises, c'est certainement une erreur d'appréciation, Lefranc, Alix comme Jhen partageant, au delà d'un physique aryen prononcé, une réelle profondeur. Il est vrai que cette dimension n'apparaît le plus souvent chez eux qu'en contraste avec les méchants mis en scène, lesquels, ne le cachons pas, constituent sans doute la vraie raison du succès des héros de Jacques Martin.
De ce point de vue, l'entreprise de Martin est à l'inverse de celle de Hugo Pratt qui transformait peu à peu son héros en anti-héros. En effet le personnage du fascinant Axel Borg acquerra avec le temps une autonomie croissante, et un traitement presque égal à celui de son antagoniste. L'épisode obernois L'arme absolue (1983), en plus d'une parfaite maîtrise du dessin et des couleurs, peut être considéré comme le plus abouti du point de vue de la maturation des personnages, notamment dans ses ultimes pages. Les rapports de fascination-répulsion qu'entretiennent Lefranc et Borg seront d'ailleurs traduits un an plus tard, de manière beaucoup plus nette, avec le lancement de la série médiévale Jhen où le couple d'adversaires Lefranc-Borg est remplacé par l'étroite relation qui lie Gilles de Rais à Jhen.

Il est d'ailleurs intéressant de constater que la série Jhen, la plus tardive et la moins connue des trois, est également la plus sombre (dans l'histoire comme dans les couleurs) et la plus violente. Une manière comme une autre pour Martin d'assumer la part obscure de ses deux autres héros solaires (1) et de dépasser le puritanisme qui pesait sur ses précédentes productions.
Désormais, et conformément à ce que souhaitait Jacques Martin, les séries continueront avec l'équipe de dessinateurs progressivement mise en place par ses soins. Si les mauvais albums (particulièrement les Lefranc) ne s'arrêteront donc pas tout de suite, la mort du créateur ralentira sans doute leur cadence avant, espérons-le, d'achever les cycles. Car c'est incontestablement cet acharnement à publier de médiocres succédanés qui a fait le plus de tort au maître de la bande dessinée que fut et restera Jacques Martin.

Bruno FORESTIER



(1) Je me permets de rajouter un léger aparté, pour signaler qu'une partie non négligeable du lectorat estime que cette part obscure n'a jamais été dissimulée dans les deux premières séries. Cette affirmation reposant d'une part sur les rumeurs insistantes de philopédie qui lieraient Alix et Enak (ainsi qu'un certain nombre de hauts dignitaires romains) et d'autre part sur la rumeur tout aussi insistante qui ferait de Lefranc un ancien de la
LVF, il va de soi que nous ne saurions y souscrire.

Images : Jacques Martin à Obernai, en novembre 2007, lors d'une visite sur les traces de l'album L'arme absolue (source "Les enfants d'Alix"), couverture de Alix l'intrépide (source ici), Hergé et Jacques Martin (source ici), couverture de L'arme absolue (source ici), extrait du Mystère Borg (Lefranc), extrait des Écorcheurs (Jhen), vignette de fin du Mystère Borg (photos LJ).
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mercredi 20 janvier 2010

The Drums en batterie

Les audacieux spécialistes du rock annoncent le groupe The Drums comme espoir de l’année 2010.
Les deux membres de cette toute jeune formation new-yorkaise ont en effet acquis la célébrité en 2009 grâce à leur tube Let’s Go Surfing, vu plus de 400 000 fois sur Youtube. Depuis, faute d’avoir pu sortir un album complet, les Drums ont lancé un EP (Summertime) composé de sept morceaux. Sans être très révolutionnaire, leur musique, influencée par The Wake, Orange Juice ou encore The Smiths, a le mérite d’être efficace et, comme diraient les Inrocks, rafraîchissante. Précisons tout de même que l’ensemble de Summertime reste assez inégal ainsi qu’en témoigne le très mauvais I Felt Stupid promu comme deuxième tube sur internet (on n’a toujours pas compris pourquoi)… Nonobstant cette faute de goût majeure, les Drums offrent d’autres bons morceaux en plus de leur chanson de référence, ce qui n’est pas si courant : Submarine et Down by the Water sont par exemple tout aussi réussis que Let’s Go Surfing
Un groupe à suivre donc, même s’il semble un peu excessif d’affirmer qu’il représente "l’espoir" musical de l’année 2010, voire, comme cela a été dit par certains grands penseurs, "le groupe de Brooklyn le plus cool de ces dix dernières années" !

Lucien JUDE

Admirez cette vidéo très sobre qui a permis aux Drums de faire de la gymnastique et un bon clip pour une somme fort modique.


Image : pochette de l’EP Summertime, sorti fin 2009.
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dimanche 17 janvier 2010

Malaparte journaliste

On connaît la Seconde Guerre Mondiale de Curzio Malaparte (1898-1957) à travers les récits peu croyables qu’il en fit dans ces deux romans géniaux que sont Kaputt et La peau. Ami de Malraux, l’auteur de la Technique du coup d’état partageait avec lui une déplorable mais remarquable mythomanie… C’est pourquoi il est intéressant de se plonger dans La Volga naît en Europe, recueil d’articles écrits pendant ses deux séjours sur le front russe en 1941 et 1942 et publiés à l’époque par le journal italien Corriere della Sera.

En tant que correspondant de guerre affecté près des troupes d’invasion italiennes (juin 1941), Malaparte se devait d’être un peu plus véridique que d’habitude, exercice difficile pour cet écrivain à l’imagination débordante. Le style de ses articles s’en ressent : faute de pouvoir en permanence narrer une anecdote savoureuse, l’auteur se fait un devoir de décrire par le menu tout ce qu’il voit, quitte à tirer un peu à la ligne pour raconter chaque fois quelque chose de neuf. En se mettant constamment en scène et en donnant un thème précis à chacun de ses articles, Malaparte parvient toutefois à ne pas ennuyer le lecteur et on le suit sans peine malgré l’absence assez flagrante d’événements… De fait, la première partie de La Volga naît en Europe (composée des articles écrits lors de son séjour sur le front d’Ukraine) montre une avancée militaire paisible malgré les prédictions répétées de l’auteur sur la résistance à venir des troupes russes. Cette « Cassandre attitude » vaudra d’ailleurs à Malaparte quelques ennuis : d’abord la censure de la presse fasciste (passages rétablis dans la présente édition), notamment un étonnant article à la gloire de l’armée révolutionnaire et deux passages décrivant des exactions typiquement nazies. Ensuite son arrestation par la Gestapo qui apprécie modérément sa prose et le renvoie manu militari en Italie où Mussolini le fait assigner à résidence durant quatre mois.

À peine libéré, le voici qui repart pour le front, affecté, en guise de punition, auprès des troupes finlandaises qui participent au siège de Leningrad ! C’est pourtant là que La Volga naît en Europe devient vraiment passionnant. Le danger ne manque pas de ce côté du front et les anecdotes malapartiennes avec. Les lecteurs de Kaputt se souviennent certainement des célèbres chevaux de glace du lac Ladoga, histoire parfaitement douteuse qu’un scientifique a cependant tenu à expliquer… Ici, l’immense étendue glacée est de nouveau l’occasion d’aventures pour Malaparte : entre des trains fantômes russes qui roulent vers les lignes finlandaises, des promenades dans la forêt où pendent aux arbres des parachutistes soviétiques gelés et des visages humains imprimés dans la glace comme le Suaire de Turin, le lecteur est servi ! Ces histoires à la Münchhausen autour du lac Ladoga méritent le détour, d’autant que l’auteur, conscient de leur caractère éminemment suspect, les certifie avec sa bonne foi habituelle : « j’hésite à raconter cette histoire ; les lecteurs sont méfiants, pleins de suspicion à l’égard des choses extraordinaires. Mais c’est pourtant un fait réel ».

La Volga naît en Europe apparaît donc comme un excellent complément à Kaputt, tant par le style que par le genre, et ce en dépit de quelques articles trop descriptifs ou techniques dans sa première partie. Très curieusement, aucun des faits extraordinaires du roman de Malaparte ne se retrouve dans ses chroniques de Russie. Il est vrai que son passage en Pologne auprès du gouverneur général Frank, son retour en Italie et toute une partie de son séjour en Finlande où il resta jusqu’en 1943 n’y sont pas racontés et laissent matière à beaucoup de récits qu’on retrouve dans Kaputt. La rédaction de ce roman ayant été commencée à l’été 1941, l’auteur aura peut-être voulu garder le meilleur pour son œuvre. Mais venant de Malaparte, on peut aussi nourrir quelques doutes sur la complète véracité de ces « choses vues », car on ne retire rien à ce grand écrivain en répétant que son expérience était aussi riche que son imagination.

Lucien JUDE

Ceux qui seraient intéressés par ce livre peuvent éventuellement le trouver d’occasion chez des bouquinistes mais il n’a jamais été réédité depuis sa publication chez Domat en 1948. Il comporte une longue et très intéressante préface directement écrite en français par Malaparte dans laquelle celui-ci explique son titre étrange :
« Parmi les préjugés bourgeois sur la Russie soviétique, le plus obstiné est celui qui consiste à considérer le communisme comme un phénomène typiquement asiatique. Cette explication de la révolution communiste et des problèmes qu’elle pose à l’Europe est trop facile pour être accueillie sans danger. Le titre de ce livre, La Volga naît en Europe, est une allusion à ce préjugé mesquin. […] La Volga, dit Pilniak, se jette dans la mer Caspienne. Oui, mais elle naît en Europe, elle prend sa source en Europe, c’est un fleuve européen. La Seine, la Tamise, le Tibre (le Potomak aussi) sont ses affluents. »
Images : Curzio Malaparte (source ici), la "route de la vie" sur le lac Ladoga durant l'hiver 1940-1941 (source ici), couverture de La Volga naît en Europe, Domat, 1948, 345 pages, traduction de l'italien par Juliette Bertrand (source LJ).
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jeudi 14 janvier 2010

Hadewijch

Suite de mes pérégrinations cinématographiques et changement de registre. F… qui est un garçon audacieux accepte courageusement de m'accompagner pour voir avec quelque retard Hadewijch de Bruno Dumont dans une des dernières salles parisiennes qui le passe encore.
Bruno Dumont, professeur de philosophie passé à la réalisation est assez peu connu en France. Il est vrai que ses films contrastent radicalement avec ce que le cinéma français comme étranger peut proposer, tant par son style au "réalisme épuré", et par le choix systématique d'acteurs non-professionnels autour desquels il forge ses œuvres, que par les thèmes abordés (la quête du désir et la culpabilité).
Ce qui était déjà à l'œuvre dans La Vie de Jésus (1997), L'Humanité (1999) ou le magnifique Flandres (2006) trouve dans Hadewijch une formulation plus nette et plus précise, au prix peut-être aussi d'une certaine confusion.
L'histoire est celle de Céline (Julie Sokolowski), très jeune étudiante en théologie en proie à un mysticisme amoureux et douloureux. Comme dans tout Roman d'amour, l'histoire débute par la rencontre et la séparation des amants. Céline "amoureuse du Christ" qui souhaite devenir religieuse est rejetée dans le Monde en raison des mortifications qu'elle s'inflige. Un comportement interprété par les soeurs comme relevant plus de l'amour de soi que de l'amour de Dieu.
Dans cette première étape du film, où la jeune femme erre dans les bois et le froid pour aller retrouver son amant, séparé d'elle par une grille, un Christ de pierre gisant sur le sol, le "mythe" apparaît presque pur, même s'il sera recouvert comme il se doit plus tard par d'autres éléments. Céline chassée dans le "Monde" va désormais être soumise aux épreuves (course en motos, voyage en orient) que doivent subir tous les amants séparés en vue de les purifier et de pouvoir enfin accéder à cet Amour auquel il aspirent. Ce cheminement vers la pureté est traduit par la caméra: les scènes du couvent, où l'enfermement est suggéré par les plans serrés au plus près des visages, comme celle de l'hôtel particulier où revient la jeune fille, sont plongés dans la pénombre ou l'obscurité. Les visages durs des religieuses engoncées dans leurs guimpes ou celle du père figé dans un sourire inquiétant et plongé dans la pénombre contraste violemment avec celui de Céline, dont tout le corps traduit une aspiration à la vie. De même, l'or stérile des autels ou des chambres de maîtres ne parvient pas à éclairer la jeune fille. À l'inverse, la rencontre avec la mystique islamique en la figure de Khaled et de son frère s'effectuera dans une luminosité et une distanciation croissantes, jusqu'au plan où sur une terrasse en Palestine ne se découperont plus que des silhouettes obscures et lointaines sur un fond blanc.

Cette recherche de la pureté et de la lumière conduit Céline, dans un apparent paradoxe, à passer du couvent et de la nature sauvage, domaine de la douleur et des pleurs, à celle du terrorisme islamique où elle se transforme et s'épure, apparemment apaisée - comme l'indique l'étonnante douceur qui se dégage de la conversation entre la jeune fille et Nassir.
La quête de Céline va cependant trouver sa formule dans la seconde moitié du film, par l'émouvante prière sanglotée près du Christ gisant : "Amour, sois moi clément, toi qui es le soleil des jours, quand mes jours sont des nuits". Une déclaration qui éclaire le film sur son véritable sujet. Car Hadewijch n'est pas un film sur la foi, ou en tout cas pas sur celle qu'on suppose. La religion de Céline-Hadewijch, ce n'est ni le christianisme ni l'islam, mais l'Amour-Passion, c'est-à-dire, le désir caché et non reconnu. À ce titre, Hadewijch peut être interprété comme une lecture moderne du "mythe" dévoilé par Denis de Rougemont.

Film sur le désir, Céline que son corps fait souffrir, mais qui ne veut aimer que le Christ, rejette toutes les possibilités de réalisation ou de canalisation de ce désir. Elle refuse l'amour du prochain, comme l'amour charnel - "je n'ai pas besoin d'un homme, j'ai besoin de Dieu", reste en dehors de l'extase proposée par la musique - les musiciens en transe du concert sur les quais - et ne comprend pas la Cause politique à laquelle pourtant elle se rallie. Car ce qu'elle cherche c'est le désir de désirer, et la douleur qui s'ensuit. Cette "Passion", héritage du vieux fond manichéen propre à la conception de l'Amour en Occident (compris dans un sens très large, englobant la civilisation musulmane) n'est qu'une marche vers la mort, à travers une souffrance perçue comme purificatrice. Ce désir dissimulé d'abord (elle se couche nue dans ses draps comme dans un linceul)  et qui explose littéralement à la fin du film, n'en est pourtant pas la conclusion. Comme dans ses précédents films, Dumont ne filme pas simplement le péché et la mort, mais aussi la rédemption et la victoire de la grâce.
C'est ainsi que s'explique l'ouverture du film par le visage tendu vers le ciel pluvieux de David (David Dewaele), lequel devenu incarnation charnelle du Christ, apparaîtra également dans la dernière scène en sauvant physiquement et spirituellement la jeune femme de la nuit qui s'apprêtait à l'engloutir.

Bruno FORESTIER

Images et vidéo : photos du film et bande-annonce (source Allociné).
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dimanche 10 janvier 2010

Publicité mensongère


Source : revue "Le spectacle du monde", années 1960.
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jeudi 7 janvier 2010

Une vie : John Brown (1800-1859)

Parmi les nombreuses et admirables figures du mouvement abolitionniste au XIXème siècle, peu d'entre elles peuvent se flatter autant que John Brown d'avoir été à tel point l'incarnation de leur époque. Cet étonnant parent  américain du français Auguste Blanqui ou du russe Alexandre Herzen, issu d'une pure famille yankee de la Nouvelle-Angleterre profondément calviniste, fut le symbole vivant de la lutte de la liberté contre l'esclavage. Il paya le prix de son engagement par son exécution à la veille de la guerre de Sécession

Travailleur habile aux talents multiples, comme nombre de pionniers américains, tour à tour tanneur, fermier ou éleveur, il fut aussi un homme d'affaires du tout jeune capitalisme américain. Cependant, malgré ses nombreuses tentatives dans ce domaine, il fut toujours un exécrable businessman et ne parvint jamais à faire fortune. Au contraire, malgré son ardent désir de réussite, il fut à de nombreuses reprises acculé à la ruine, notamment lors d'un des tous premiers grands cracks, celui de la "Crise de 1837" où il fit une banqueroute complète ou celui de 1842, où il fut exproprié de sa ferme.  
C'est également cette année 1837 que le journaliste abolitionniste Elijah P. Lovejoy fut abattu lors d'une fusillade contre des esclavagistes. Ces deux événements poussèrent certainement John Brown à orienter ses efforts vers la grand combat de sa vie : l'abolition de l'esclavage, cette "institution particulière", qui permettait à la plantocratie du Sud d'asseoir sa fortune et d'étendre sa domination bien au delà des États esclavagistes.
Or, John Brown, comme la plupart des Yankees de la Nouvelle-Angleterre, descendants des colons puritains, était totalement hostile à l'esclavage, qu'il considérait comme une abomination. Il jura de se consacrer entièrement à sa destruction : "Here, before God, in the presence of these witnesses, from this time, I consecrate my life to the destruction of slavery". Tout le reste de sa vie sera vouée à tenir cette promesse. 
Bravant la réprobation il s'installa en 1848 avec sa famille, à North Elba (New-York), une colonie fondée par un riche philanthrope pour les esclaves affranchis. Un an auparavant il avait rencontré et s'était lié d'une amitié sincère avec Frederick Douglass, le seul dirigeant noir d'envergure. Ces années furent consacrées au développement de l'Underground Railroad, qui permit à plus de 30 000 fugitifs de gagner le Canada, malgré les chasseurs d'esclaves et la police fédérale. La pression de l'oligarchie sudiste sur le pays durant ces années était telle que pour nombre de militants abolitionnistes les États-Unis ne pouvaient qu'être tombés sous la domination de Satan et on envisageait désormais ouvertement  la sécession de la Nouvelle-Angleterre. Ce fut dans ce climat tendu à l'extrême que débutèrent les premières escarmouches de la Guerre Civile : le bleeding Kansas (1854-1858).

Brown émigra au Kansas en 1855 suite aux nouvelles alarmantes que ses fils, installés là-bas, lui avaient fait parvenir sur les menées des Ruffians borders, ces milices sudistes venus du Missouri voisin qui terrorisaient et assassinaient les colons free-soilers venus du nord. 
En représailles John Brown escorté de ses fils et amis exécutèrent cinq colons sudistes en 1856 à Pottawatomie Creek. Les Brown s'illustrèrent dans la Border War, au cours de plusieurs combats fameux (à Black Jack ou à Osawatomie), très largement couverts par la presse américaine et européenne. Durant cette guerre du Kansas, l'un de ses fils fut tué et un autre devint irrémédiablement fou, mais ce conflit allait faire de John Brown un héros international et populariser considérablement la lutte contre l'esclavage. Les réseaux de la bourgeoisie bostonienne finançaient largement ses activités et lui fournissaient armes, matériel et argent. Le philosophe Thoreau et le journaliste Ralph Waldo Emerson lui apportèrent aussi leur soutien, ainsi que Karl Marx qui le considérait comme le leader de l'aile révolutionnaire du mouvement abolitionniste. 
En 1858, tirant le bilan de son expérience du Chemin de Fer souterrain et du Kansas, il prépara activement le projet grandiose et fou auquel il songeait depuis longtemps : descendre au coeur des États esclavagistes et y provoquer une révolte généralisée des esclaves, dont les familles seraient évacuées vers le nord. Il recruta des hommes, collecta des fonds et prépara son plan plusieurs mois durant. 
Le 3 juillet 1859, accompagné de quelques hommes il se rendit à Harpers Ferry (Virginie), siège d'un arsenal fédéral. Il y attendait plusieurs centaines de volontaires mais seule une poignée d'hommes l'accompagna finalement. Pire, Frederick Douglass à qui il avait proposé de prendre la tête de la révolte refusa finalement de les rejoindre. Malgré ses échecs, Brown se lança dans l'action le 16 octobre. Il n'avait avec lui que 21 hommes, dont plusieurs vétérans du Kansas. 
Incroyablement, l'opération fut d'abord un succès: l'arsenal fut pris, les communications coupées, quelques notables esclavagistes retenus en otage (dont un petit-neveu de Washington) et des messagers furent envoyés dans les plantations pour appeler les esclaves à rejoindre les insurgés. Cependant, la nouvelle du coup de main se répandait dans la région et la milice locale se ressaisit avant de recevoir des renforts de troupes en nombre croissant. Désormais, barricadés dans l'arsenal, Brown et ses hommes se retrouvèrent prisonniers dans Harper Ferry, sans possibilité de compter sur un soulèvement des esclaves. Après un siège acharné, dans lequel un autre de ses fils et plusieurs de ses partisans furent tués, la place fut prise d'assaut le 18 octobre par les marines du colonel Robert E. Lee, futur général en chef des armées confédérées. 
Arrêté, Brown fut rapidement jugé pour meurtre, incitation à la révolte et haute trahison contre l'État de Virginie. Il fut condamné à mort après 45 minutes de délibérations. Malgré une campagne de protestation à laquelle participèrent notamment Elisée Reclus et Victor Hugo, il fut exécuté le 2 décembre 1859. Abraham Lincoln qui venait d'être élu refusa sa grâce présidentielle… La guerre civile éclata quelques semaines plus tard.

PAUL LAMARE

Le martyr de John Brown inspira un beau chant de guerre : John Brown's Body qui deviendra L'Hymne de bataille de la République (vidéo, source Youtube).

Images : John Brown (source ici), les Marines attaquant l'arsenal tenu par John Brown lors de son raid à Harpers Ferry, gravure publiée en novembre 1859 (source ici), les derniers moments de John Brown (source ici).
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